En tête du texte d’une pétition, dans Le Monde daté 22 décembre, en page Opinions, ce titre : Après l’étoile jaune, faudra-t-il un jour porter une étoile verte ? “Verte” ne signifie pas ici “écologiste”, comme on le croirait d’emblée après l’échec de la conférence de Copenhague. Mais “musulmane”. Pourquoi pas, s’il s’agissait d’un soutien à la résistance en Iran : elle a choisi cette couleur, mais sans l’opposer ou l’assimiler à une autre qu’elle éliminerait en la remplaçant ; alors que ce “après” signifie évacuer, éliminer, chasser, jeter aux poubelles de l’histoire, “après” les imposteurs, place aux véritables ; et le “un jour” est là pour “lendemains qui chantent”, “levez-vous vite orages désirés qui balaieront le vieux monde” (celui des Juifs : on connaît cette chanson). Ce titre dans le Monde reprend directement un thème de propagande virale à la Ahmadinejad : la jalousie mimétique avec Israël. L’impossible, impensable, intenable, insoutenable “compétition victimaire”.
Dans l’expression absurde, illégitime, illégale, violemment agressive et provocatrice “une étoile verte”, ce qui compte est l’opposition du “une” au “l” apostrophe. L’article défini implique la désignation de quelque chose de réel, d’existant. De définitif, et qui a une définition. C’est le cas de l’étoile jaune. Mais il s’agit là de la banaliser, de la désintégrer dans le tout-venant de l’indéfini, de l’égalitarisme, de l’abolition des différences, du tout-est-dans-tout. En-dessous de ce titre, le texte lui-même, tout ce dont on va vous faire le boniment, “l’article” − un morceau de langue de bois ciselée et chantournée −, n’a pour fin que ce jeu entre les deux articles dans le titre. Accepter de publier son injection de poison, c’était conférer un semblant de réalité à quelque chose d’irréel qui prétend au réel : un fantasme, un mensonge, les deux. Cette confusion des articles étant imprimée et diffusée, ce qui est déjà trop, elle appelle à une étape suivante : à la réalisation. A la fabrication de bouts de tissu vert imitant, parodiant, revendiquant, récupérant, singeant par jalousie mimétique la seule étoile de persécution qui a existé, la juive, la jaune. La marque séculaire de marquage pour trois exclusions en escalade : l’exclusion d’enfermement (le ghetto) ; l’exclusion d’expulsion (France, Espagne, Portugal ; accueil en Pologne, dans l’Empire allemand, en Angleterre) ; l’exclusion hors de la vie − l’élimination par la mort individuelle et collective, qui va des explosions courtes (toujours trop longues) avec les massacres sporadiques, récurrents et endémiques, dont les pogroms, jusqu’à l’extermination génocidaire programmée, industrielle et de longue durée : la destruction nazie des Juifs d’Europe, la Shoah. Le titre du Monde du 22 décembre réduit toute cette masse de réalité(s) à une dilution par le transfert du défini à l’indéfini. C’est du négationnisme entier, radical, brutal. Voilà ce que le Monde a laissé passer par un libéralisme mal compris, celui qui abolit les cribles de la dignité et de la vérité.
Il n’y a qu’une seule étoile, d’une seule couleur. Cette seule marque séculaire a d’abord été appelée “rouelle” quand elle avait la forme d’une petite roue, rouge. Puis elle s’empara, par un comble de haine dans la transgression et dans l’insulte, d’un signe appartenant au judaïsme, par lequel il se souvenait de sa grandeur étatique et nationale, quand il était protégé par son propre Etat unifié avec Jérusalem pour capitale éternelle, grâce à ce roi David qui servit ensuite de référence pour toutes les royautés dans toutes les civilisations et les nations qui s’originent dans la Bible, présent dans toutes les églises, de Rome à Moscou, de Paris à Washington et à Capetown : « l’étoile juive » se nomme en vrai et en réalité « le bouclier (maguenn) de David ». Elle n’est pas forcément (c’est le cas de le dire) jaune ni de tissu : elle est de pierre sur des statues du lion de Juda, elle figure en bleu sur le drapeau de l’Etat d’Israël qui est celui de David continué comme d’autres nations ont le même type de continuité. Elle serait verte qu’elle resterait juive. C’était déjà une dérision par mimétisme, par inversion et récupération, dans les temps de son port forcé en tissu jaune, que d’utiliser ce symbole d’honneur pour l’infamie. Pour une marque obligatoire d’exclusion et d’absence de protection de l’Etat, au contraire sous la menace de sa répression ; des gendarmes de Philippe le Bel à la police de “l’Etat français”-sic de Vichy. Ce serait aujourd’hui, c’est en titre dans le Monde, le même procédé de dérision, d’inversion et de mimétisme que de manipuler à nouveau contre les Juifs leur propre symbole : et cette fois pour les accuser… de l’imposer à d’autres comme marque d’infamie et de persécution, sous une autre couleur !
Les Juifs étaient supposés condamnés et damnés par le même graphisme qui était celui de leur plus grand honneur et de l’Etat dont ils gardaient la mémoire et espéraient légitimement le retour « l’an prochain à Jérusalem ». Aujourd’hui ils seraient supposés condamnés et damnés parce qu’enfin ils se sont donnés les moyens de s’extraire de cette séculaire contradiction suppliciante. Personne, aucun peuple, aucune nation, aucune religion, ne se trouvent aujourd’hui dans la situation où ils étaient : tous ils disposent d’Etats, de lois, de médias. Personne, aucun peuple, aucune nation, aucune religion, n’est autorisé à se permettre une main-mise sur l’histoire des Juifs et en plus contre eux-mêmes : on n’entre pas dans la mémoire de la Shoah comme dans un moulin pour se servir et en repeindre les symboles à sa guise, surtout pour réduire, la comparer, l’égaliser, la bagatelliser, c’est-à-dire la bafouer, et finalement la nier. La dissoudre. Dissolution finale de la “Solution finale”. Cette pétition dans Le Monde est un casse symbolique. Ce journal que nous avons tant aimé apparaît complice d’un vol par effraction. Personne, aucun peuple, aucune nation, aucune religion, n’a le droit − légitime, légal, judiciaire − de manipuler le signe du roi David. Il est le bouclier des Juifs symbole de leurs capacités et de leur volonté réelles de défense et de survie, et il doit le rester absolument : l’interdit de le relativiser est à faire comprendre à nouveau, à réaffirmer, à rétablir. Il faut faire respecter le respect.
Le “maguenn David”, cette belle figure graphique abstraite, ce schéma, changée en caricature, renvoyait aux sans-Etat traités pour cela en sous-hommes, l’écho inversé et grimaçant de leur « schéma », le mot hébreu qui commence la prière ultime « Ecoute Israël », et qui concentre l’appel aux valeurs de devoir de mémoire et de vigilance. Il leur assénait au contraire : « Ecoute, Israël, plus jamais tu n’auras la protection, voici que ton bouclier se change en cible où te percer, c’est par ton propre symbole que nous te marquons comme un animal vers l’abattoir, tu es voué à la disparition par dispersion et destruction ». Personne ne dit aujourd’hui cela à qui que ce soit d’autre. C’est folie, frénésie, que de prétendre qu’il y aurait aujourd’hui sur la planète un seul autre exemple de cela. C’est un crime contre la simple raison que d’en formuler la comparaison. Et de favoriser la publication d’un tel délire. Sa contagion, son épidémie. Reprendre en titre dans un journal qui paraît l’officialiser, le schéma idéologique de la caricature du « Schéma Israël » que fut le port imposé de “l’étoile jaune”, c’est réitérer contre les Juifs la même technique de récupération et d’inversion de leurs symboles et de leur histoire qui a fini sinon par conduire fatalement à la Shoah, en tout cas par déraper dans cet acte unique au monde et dans l’histoire. Aujourd’hui parodier, singer, mimétiser le crime contre l’humanité n’est pas une “opinion” : c’est un délit.
Ces pousse-au-crime avaient été précédés dans le même journal par un dessin au moins douteux de Plantu contre lequel Raphaël Haddad a su lever tous les doutes avec promptitude sur le site en ligne de la revue La Règle du Jeu : désignant le dessein sous le dessin, lorsque l’on prête à rigoler sur l’idée monstrueuse d’une équivalence entre des déportés des camps nazis de la mort industrielle de masse par millions, et quelques migrants afghans transportés par avion. Le sens, le bon sens au pays du grand Descartes, subit là à la Une un meurtre imaginaire, mis en image. Fantasme en graffiti obscène. Mais à quoi bon s’en prendre à cette frivolité cruelle, à ce plaisir au harcèlement moral contre plusieurs générations d’un coup, rescapé(e)s, fils et filles, petits-fils et petites-filles, etc, si un poison bien pire, parce que rédigé, et signé à plusieurs, était en train de se concocter dans les mêmes chaudrons d’une tambouille dont je reniflais depuis quelque temps les remugles infects : juste après Plantu, et à sa suite, par ricochet, voici donc cette prétendue “étoile verte” qui serait équivalente de l’étoile jaune, selon des pétitionnaires dans le même journal. Bien sûr elle est inexistante, puisqu’elle n’a jamais existé : elle n’a et ne peut avoir aucune légitimité, puisqu’elle n’est pas historique. Jamais elle n’a été imposée ni portée ; personne n’en fut marqué pour l’extermination. Elle est imaginaire. Mais la voici imaginée. On sait que la jalousie mimétique est grosse de violence. Que tout plagiaire cherche à éliminer celui qu’il vole. Il est possible que nous assistions dans les jours qui viennent à des passages à l’acte : que des gens confiants dans le sérieux qui fut celui du Monde, se baladent en croyant de bonne foi pouvoir arborer cette imposture d’“étoile verte”. Or elle représente une insulte, forcément passible de poursuites, à toute la législation et à toute la jurisprudence internationales sur le crime contre l’humanité.
Si des initiatives individuelles avaient lieu pour l’arracher, ce qui pourrait tout à fait se comprendre, mais n’est pas du tout à conseiller, combien de blessés, ou pis, causés par cet appel provocateur ? Un problème de maintien de l’ordre se profile à cause de cette bombe à fragmentation lancée par des incendiaires dans un journal qui semble décidément s’aventurer et s’enferrer dans une dangereuse irresponsabilité en cette matière explosive. Favorisée par lui, il y a là encore une escalade par rapport au dessin de Plantu, qui dépassait déjà la ligne… jaune : on risque de voir ces images intrinsèquement perverses de bouts de tissu ou de papier vert proliférer en grandeur réelle, dans les rues, les lieux publics, pas limitées à une caricature en bas de page qui déjà transgressait l’off limits, leur ouvrant et offrant la voie. La formulation du maquillage et travestissement en verdâtre du crime contre l’humanité, dans le Monde du 22 décembre, comme inscrite en grand avec la même dérision arrogante de lettres de fer forgé que celles qui venaient d’être dérobées au-dessus de l’entrée du camp d’Auschwitz, n’est qu’une variante, dans la mise en scénario, du même fantasme que le dessin de Plantu dans le Monde du 21 décembre. Mais cette fois par les producteurs d’un mauvais remake dans le genre “profanateurs de sépultures”, qui peut tourner au cauchemar s’il trouve des figurants, des réalisateurs. Comment en arrêter la production ?
En faisant retour d’une façon plus réflexive et réfléchie sur les bonnes intentions qui ont pavé cet enfer : laisser comparer Eric Besson à Laval, Déat, etc, ne pas contrer ce placement déplacé dans cette période-là de l’histoire, c’était installer les conditions du court-circuit. Et en les permettant, se condamner à l’admettre. Nous sommes dans le noir, ici l’atroce : les plombs ont sauté. Des gens les ont pétés exprès. Ils n’attendaient que ça : leur ça de haine de soi, pour les Juifs/ves parmi eux. Leur acharnement contre leur propre chair, dans une démarche nihiliste active vers ce que j’appelle l’“équivalence d’Auschwitz”. C’est-à-dire vers une deuxième destruction des Juifs d’Europe : celle de leur mémoire, par l’annulation de la singularité de la Shoah.
concernant l’historique de l’étoile jaune: contrairement à ce qu’on lit souvent, ce n’est pas le concile du Latran qui a « inventé » au 13ème siècle le signe distinctif de couleur jaune pour les juifs, mais c’est la doctrine islamique du dhimmi, qui a imposé au 8ème siècle, à la suite du pacte d’Omar, la couleur jaune aux vêtements portés par les juifs et la couleur bleue à ceux portés par les chrétiens, tous citoyens de condition inférieure et discriminés à ce titre.
Si la Shoah est évidemment un Crime contre l’Humanité… vous admettrez aisément qu’elle n’appartient pas qu’à l’Histoire des juifs mais à l’Histoire de l’Humanité dans son ensemble.
Il est donc naturel et évidemment souhaitable que l’Humanité dans son ensemble s’approprie pleinement la Shoah.
Dès lors, le symbole inconagraphique fort qu’est « le bouclier de David » devient inexorablement le symbole même d’un Crime contre l’Humanité dans l’inconscient collectif.
Et pour l’Humanité, « le bouclier de David » perd alors de sa judéïté pour devenir un, sinon « le » symbole universel de ces crimes.
En quoi est-ce un mal ? En quoi cette « croix de David » portée sur le coeur ne pourrait devenir pour le genre humain le symbole même de l’oppression ?
Je pense qu’au contraire, bien loin de « dé-judaïser », elle affirme par un symbole reconnaissable entre tous le refus de ces crimes et par là-même rempli sa mission de souvenir de la Shoah…
N’est-ce pas là l principal ?
Mon paragraphe a été coupé, je continue donc dans ce message.
En conclusion, je désapprouve comme vous l’artifice de communication choisi par ces pétitionnaires.
Mais sans voir comme vous dans ce choix une agression contre les victimes du passé et la mémoire des vivants, ni les prémices d’un renouvellement de ces horreurs. Je pense que votre analyse est aussi incongrue que celles que vous dénoncez au dernier paragraphe : « …laisser comparer Eric Besson à Laval, Déat, … ». Je ne crois pas que la démarche de cette pétition – ou celle du Monde qui la publie – procède de la négation d’un crime contre l’humanité ou d’un antisémitisme rampant.
J’ai trouvé inappropriée cette invention de l’étoile verte.
Cependant votre texte me déroute pour au moins trois raisons :
D’abord votre interprétation du titre même, cette divagation sur l' »après ». « Après », c’est la succession dans le temps. Dans le cadre de cette phrase, un parallèle est établi entre ce qui a eu lieu et ce qu’ils craignent qu’il advienne. Ce parallèle est grossier, ridicule et la comparaison n’a pas lieu d’être. Mais soupçonner une volonté d’oblitération du passé, de la référence historique prise, c’est un procès d’intention. Expliquer que sémantiquement, cette intention est manifestée par « après », c’est inexact et malhonnête.
Ensuite votre façon de blâmer la « concurrence victimaire », qui plutôt que d’en démontrer la bêtise et la vacuité, s’appuie sur la démonstration qu’il n’y a pas de concurrence possible puisque rien n’a dépassé, ne dépasse, ni ne dépassera jamais l’horreur de la Shoah. En un mot, vous semblez indiquer qu’il y a n°1, donc un classement. Que cette place est acquise et indiscutable. C’est pour moi le type même de posture (ce n’est pas un raisonnement) qui favorise les dérapages que vous voulez dénoncer.
Enfin, vous présentez l’étoile jaune comme le symbole unique de persécution des juifs. Les nazi utilisaient d’autres couleurs pour certaines catégories de juifs, et d’autres signes pour d’autres de leurs victimes, assassinées dans les mêmes camps, par les mêmes bourreaux, avec la même sauvagerie (tziganes, homosexuelles…).