Marine Le Pen n’y suffisait pas : il a fallu que la jeune garde socialiste, Benoît Hamon en chef de file, vole au secours du nouvel ordre moral qui, depuis quinze jours, semble tourner des têtes que l’on croyait immunisées contre le moralement correct cher à nos Pères et Mères la Pudeur, type Christine Boutin ou Philippe de Villiers.

Et voici donc un événement considérable, et qui semblait impensable à ceux qui, comme moi, avaient mis leur espoir dans ce groupe de quadras – Benoît Hamon donc, mais aussi Manuel Valls, Arnaud Montebourg… – qui portaient, avec d’autres, les couleurs de la rénovation à gauche : l’alliance folle, profondément contre-nature, suicidaire, entre des héritiers de Jaurès et le parti d’un homme qui, jadis, à Alger, partit faire du tourisme parachutiste autrement plus olé olé que celui dont Frédéric Mitterrand a fait lui-même, il y a quelques années, dans un livre unanimement salué par la critique, l’aveu public et désolé.

Une fois de plus, et comme dans l’affaire Polanski dont cette affaire-ci est, hélas, la suite à la fois logique et délirante, il ne s’agit pas d’excuser des pratiques que leur auteur a eu la franchise de révéler en son temps, et à son entier détriment.

Mais il s’agit, premièrement, d’observer le spectacle navrant de cet escadron de vertueux, estampillé socialiste, qui fonce droit dans le piège tendu par ses pires adversaires.

Et il s’agit, deuxièmement, de savoir si l’on va, désormais, devoir fouiller dans la vie de chacun d’entre nous pour évaluer, dans notre passé, pourquoi pas dans notre adolescence, ou même dans notre prime enfance, notre degré de «moralité».

Responsables, ou futurs responsables, qui, dans vos écrits ou confessions, aurez pris le risque de rapporter telle ou telle histoire, passion, bonne ou mauvaise action, apprenez désormais à vous taire ou sachez, à défaut, que vous serez du gibier de média et d’agora.

Artistes, romanciers, diaristes, journalistes, qui, dans vos fictions et vos autofictions, croiriez bon de nous instruire de telle ou telle tentation, perdition, perversion, turpitude, regardez-y à deux fois car vous devez savoir qu’à gauche comme à droite, au nom de la défense des bonnes mœurs, on vous jettera en pâture à l’opinion et l’on sonnera contre vous l’hallali.

André Malraux, qui fit publiquement l’aveu d’un penchant pour les paradis artificiels contracté dans sa jeunesse et jamais véritablement conjuré, ne resterait, aujourd’hui, pas ministre cinq minutes.

Blum à qui il arriva, au temps de La Revue blanche, de faire l’éloge de l’adultère et de l’extrême liberté de mœurs pour les jeunes filles emprisonnées dans le carcan des familles, devrait se tenir à carreaux de peur d’être dénoncé comme pédophile par les Benoît Hamon de service.

Gide ne publierait pas Corydon ou ne prendrait plus, s’il l’avait fait, la présidence des Comités antifascistes de 1934 ; Jean-Jacques juge de Rousseau finirait avec ses Confessions pendues autour du cou ; et ne parlons pas de Jean Genet dont le Journal d’un voleur ne trouverait tout simplement plus éditeur.

La nouvelle Brigade des mœurs veille. Triste époque.