L’Institut d’études politiques de Paris (IEP), communément intitulé « Sciences Po »a décidé (sa direction a décidé, son directeur de direction a décidé) de supprimer l’épreuve de culture générale au concours d’entrée. L’idée est simple : il s’agit de recruter, non plus des intelligences, mais des « personnalités » ; mais des « individualités ». Cette décision, nous la trouvons non seulement légère, mais nous la trouvons étrange. Nous trouvons étrange, oui, qu’au mot de « culture générale » le directeur directionnel de la direction de Sciences Po sorte son revolver. Pour la direction (actuelle, provisoire, momentanée, anecdotique, passagère, subsidiaire) de l’IEP, la culture générale est quelque chose de bourgeois, voire de petit-bourgeois. Quelque chose d’inégalitaire. Je suis surpris : la culture générale, ce n’est pas l’art de régurgiter des connaissances capitalisées par des générations et des générations au sein d’une même famille : mais c’est ce qui permet, ce qui permettait, grâce à l’école républicaine (du temps où elle faisait son travail) de s’opposer aux traditions familiales par les connaissances, le savoir acquis sur les bancs des salles de classe. La culture générale est supprimée : la manière dont il fallait en faire étalage à l’entrée de l’IEP jusqu’alors n’était peut-être guère heureuse. Il eût été plus intelligent de revoir cette épreuve que de lui couper la tête. Car la « culture générale », monsieur le directeur provisoire, n’est pas un sport fait pour les têtes bien pleines : il permet, justement, à l’intelligence d’avoir un support, un prétexte, un décor, une matière première pour s’exprimer, se dévoiler, se dépasser.
La « culture générale » est une libération : elle est le fruit d’un travail personnel de réflexion qui permet à l’étudiant de parfaire son acuité, d’organiser sa réflexion, de flageller ses réflexes. Elle est le tremplin de l’intelligence. Grâce à elle, par elle, se lit (se lisait) la personnalité des candidats, leur originalité, leur tempérament. Je ne crois pas à l’originalité reposant sur les seules bases de l’originalité : je ne crois pas à l’originalité originale ; je crois à l’originalité qui, ayant digéré les bases de la culture classique, de la culture générale, essaie plus tard de les contrarier, de les provoquer, de les surpasser, de les déjouer. Je crois à Joyce ayant lu Homère. Je ne crois pas à Joyce ayant lu Joyce. Je crois à Picasso connaissant Rembrandt à la perfection ; je ne crois pas à Picasso né de Picasso. Je crois à Schönberg fasciné par Beethoven ; je ne crois pas à Schönberg fasciné par Schönberg. Je ne crois pas à la « personnalité » ex nihilo, ricaneuse, fière de son culot anticulturel, je ne crois pas à « l’individualité » qui ignore l’Histoire et l’art des individus qui l’ont précédé ; je crois à la mémoire. Je ne crois pas à cet athéisme universitaire où l’individu ne se prend plus même pour le roi, mais pour un dieu.
La « culture générale », monsieur le directeur passager, n’a de générale que le nom : elle est en réalité culture personnelle ; elle est culture de soi et par soi – et débouche logiquement vers une culture pour soi. La culture générale n’est pas ce que l’étudiant hérite de naissance : puisque sa jeunesse lui permet d’acquérir, ailleurs que dans les grimoires et les impératifs familiaux, ce qui lui permet de n’être point comme les autres ; la culture générale permet, mieux que n’importe quelle arrogance décrétée, de haïr paisiblement sa famille, de cracher (mieux que le rap surfait, mieux que le rap de plus en plus surfait et scolaire) sur la société. La culture générale, qui relève de l’intime, ne se fait pas par irradiation en restant dans le cabinet de lecture de papa. Elle se fait par transgression ; elle se fait par contradiction ; elle se fait, oui, par instinct. La rue mène autant vers les livres que les banquettes feutrées ; là se dévoile en réalité la véritable personnalité, la véritable originalité, la véritable individualité : entre ceux qui ont la volonté, l’envie, le courage de lire, d’aller voir des films intelligents, et ceux qui ne le font pas. On n’hérite pas de ce mécanisme ; nul ne nous lègue cette rage ; ce vaccin n’est innoculé par personne, si ce n’est par soi, par le plus profond de soi-même. En supprimant l’épreuve de culture générale, vous supprimez, vous niez, vous humiliez tous les efforts qu’il a fallu autant aux petits bourgeois qu’aux petits délinquants pour se connaître grâce à la lecture, ou à la peinture. Vous crachez sur leurs découvertes – vous les privez d’une façon de vous révéler, le temps d’une épreuve écrite, qui ils sont vraiment. Vous leur enlevez la possibilité d’être vraiment eux-mêmes, loin des récitations (ce qui n’est pas le cas de l’épreuve d’Histoire, beaucoup plus discrimante, ni de l’épreuve de langues, qui l’est encore davantage, que pourtant vous conservez). Vous les frustrez de la possibilité de vous étonner vraiment, et peut-être de s’étonner (ou de se décevoir, ce qui est aussi important) eux-mêmes.
L’IEP ne fait qu’entériner, sous forme élégante de « discrimination positive » (discrimination positive qui est le contraire de la personnalité, le déni de l’originalité, l’abandon de toute forme de personnalité) la démission absolue de l’école laïque et républicaine. Elle formait hier des élites, laissant maints cancres sur les bords du chemin (parmi lesquels maints cancres bourgeois) ; elle formera aujourd’hui tout le monde, puisqu’il n’y aura plus de bons et de mauvais étudiants, mais seulement des étudiants différents, de personnalités disjointes, d’originalités incompatibles. L’école n’est précisément pas là, ni l’IEP, pour former des tempéraments ni repérer des personnalités, des individualités, autant d’atouts qui viennent, normalement, s’ajouter à la violence obligée qu’est le passage d’un concours, à la difficulté que représente une épreuve d’examen. Les grandes gueules l’emporteront sur les grosses têtes ; et ce n’est pas normal – car la vocation des établissements scolaires n’est pas d’auréoler les ténors, mais d’affermir les esprits.
Cette modernité à tout prix, où l’excellence méritera bientôt les quolibets – et où la méritocratie est devenue une gueulocratie – fera d’inévitables dégâts. On demandera demain au jury de « Master chef » ou de la « Star academy » de venir recruter les futurs énarques, et ce, sans doute, devant les caméras de télévision. Il est insupportable que l’IEP, depuis plusieurs années, soit laissé entre les mains d’une direction aussi crâneuse, et je dirai aussi lâche. Se prostituer ainsi à l’air du temps, sous prétexte que tout le monde est gentil et doué (ce qui est une utopie criminelle), tient non seulement du manque de courage, mais du manque de culture. Générale ou pas.
Cette réforme n’est pas une réforme, c’est une démission. C’est une abdication. C’est une lâcheté. Cela, monsieur le directeur éphémère, vous le paierez. Et nous le paierons hélas avec vous. À cause de vous. Ce n’était ni le lieu ni le moment de haïr la culture ; car c’est de cela qu’il s’agit, quand tout dans vos programmes frimeurs clame le contraire. Sciences-Pol Pot.
MOIX a raison. Le politiquement correct qui croit lever une discrimination sociale par la transmission intra-famille, intra-milieu, intra-utérine, de la culture générale ne fait que tuer des chances aux plus malins et déterminés des non-héritiers. Une fois de plus le politiquement correct vient en renfort des inégalités. Mais est-ce si étonnant quand on réalise que le politiquement correct naît du sentiment de culpabilité des héritiers?
L’inégalité des chances j’y crois, j’y crois pas, je ne sais pas. La culture, je la crois et je crois au « sortir de soi » pour avoir cette « rage » que Yann Moix selon ma sensibilité introduit de façon très intéressante. La culture est avant tout personnelle. « Sortir de soi » me semble la condition absolue pour y accéder. Lire et écrire et tout recommencer pour mieux transgresser, j’y crois. Supprimer une épreuve de « culture gé » ne fait rien avancer… puisqu’il faut avancer en permanence dans ce p’tit monde de fous en forme de pions bleus à tête de « book » et de « zozio ». Les plaisirs immédiats empêche le « sortir de soi ». Vive la culture au nom de Soi et au nom de la Connaissance! Réfuter une opinion, c’est refuser le partage du/des Soi(s). Yann Moix n’est pas Yann Moix comme je ne suis pas Moi en écrivant ces mots. Inquiétons nous. La culture avec ou sans majuscule est en danger. Les enfants ne savent pas ce qu’il se passe, ils en paient le prix fort sans sourciller, les yeux rouges comme des pucerons derrière leurs écrans. L’heure n’est pas à réfuter l’expression de Soi mais au partage de chacun. La culture et la connaissance sont cette expression et se partage de Soi « in my opinion ». On reste assis et on en discute? « Et pour quoi faire? »
L’écriture de Yann moisi est vraiment naze. Il veut qu’on le croit intelligent en faisant des formules de style de niveau CE2… Sérieusement …
Au CE2, beaucoup d’élèves ont du mal à lire…
Le camarade Yann Moix s’embourbe une fois de plus dans une analyse rase bitume qu’il tente maladroitement d’habiller du sceau de la défense de la culture. Tous ceux qui veulent s’intéresser un peu aux questions d’éducations en France s’accordent sur les trois points suivants :
1 – Sciences Po et ce que l’on appelle « les grandes écoles » sont des machines à reproduire les inégalités. Loin de régresser, la reproduction sociale des élites progresse en France, il y a aujourd’hui moins de fils et filles d’ouvriers en première année de sciences-po qu’il n’y en avait dans les années 50.
2 – La carrière scolaire et la carrière tout court, du moins pour ceux qui aspirent à faire partie des CSP ++, se joue en réalité très tôt (disons entre 12 et 19 ans : bons collèges, bons lycées, capital financier/scolaire et social des parents, connaissance du système scolaire par les parents qui leur permet ou non de faire des choix judicieux au bon moment, comme prendre une option seulement offerte dans un lycée d’excellence, comme les lycées européens). Bref, faire des concours d’entrée dans les grandes écoles qui mènent aux « grandes carrières » à 17 ans, c’est fatalement avantager les lycéens qui ont le meilleur capital de départ.
3 – Il y a bien sûr des exceptions, où on voit un fils de prolo, un fils venu d’une campagne profonde ou d’une banlieue infâme réussir a finir major d’une des écoles. Et alors, ont voit le concert de discours sur le mode « quand on veut, quand on travaille, et bien on y arrive ». Ces exceptions et ces discours masquent la cruauté des statistiques.
Partant, accuser Richard Descoing de brader Science Po, c’est soit feindre d’ignorer ces trois points ou soit, mais il faut avoir le courage de l’affirmer, être pour une société de classes où les enfants des élites seront les élites mécaniquement. Derrière votre discours, Monsieur Yann Moix, se cache en réalité une défense d’une société de classe ou de castes.
Moi je pense que derrière le discours de Yann Moix se cache une inquiétude (que je partage) qui concerne la transmission d’un certain savoir, de certaines valeurs, esthétiques et morales. Ça n’a rien à voir avec votre discours sur l’égalité ou l’inégalité des chances. C’est un autre sujet. Ce que vous dites peut se défendre (peut se discuter aussi), mais là ce n’est pas le propos.
1 – Ce ne sont pas les grandes écoles qui « reproduisent les inégalités », elles se contentent de sélectionner les meilleurs éléments qui sortent du lycée. Le fait qu’il y ai de moins en moins d’élèves fils d’ouvrier n’est pas la fautes des grandes écoles, mais des niveaux inférieurs…
2 – … ce que vous expliquez en fait lors de ce point.
3 – Je n’ai jamais entendu ce discours.
Bien dit.
La Culture Générale
La République a repris aux Aristocrates ce qui faisait leur valeur commune de base : l’Instruction.
La Culture Générale était l’apanage des Aristocrates (Molière a tourné en ridicule un brave Bourgeois qui commettait le crime de vouloir se cultiver !).
Dans le combat qu’a mené Jules Ferry, l’Enseignement Obligatoire avait pour objet de mettre la Culture Générale à disposition de tous et gratuitement.
La Culture Générale, c’est un Supplément d’Etre, un Apprêt intérieur, une Elégance de l’Esprit, une Coquetterie.
C’est l’Esthétique du Dedans, un Luxe que la République proposait à tous, quelles que fussent leurs origines, à condition que chacun fît l’effort de l’acquérir.
La Culture Générale, c’est ce qui permet d’apprécier et d’admirer, à l’âge adulte, ce que l’on nous a forcés à aimer à l’adolescence.
La Culture Générale, c’est ce qui permet d’élever le Banal à la hauteur du Sublime.
La Culture Générale, c’est la Distinction qui fait l’Homme Civilisé.
C’est un progrès intérieur, un développement de l’esprit, l’accroissement de soi-même, en soi et pour soi.
La Culture Générale ne s’acquiert ni par héritage ni par génétique, elle se conquiert, sans que l’on prenne rien à l’autre.
La Culture Générale, c’est la transmission d’une génération à l’autre de l’Immatériel du passé.
La Culture Générale n’induit aucun comportement moral ou éthique.
– Brasillach était très cultivé, il s’est comporté en fieffé criminel (infra).
– A Auschwitz, les nazis écoutaient du Mozart avant d’aller refermer les portes des chambres à gaz.
– Même s’il souffre d’un vide abyssal en matière scientifique, Alain Badiou est très cultivé. Il a tout-de-même accompagné le génocide cambodgien, et actuellement il encourage les tueurs du Hamas.
Pour vivre en groupe, il faut plaire, séduire. L’Etre cultivé doit beaucoup à l’effort et tout à ses Maîtres. Il a dû consacrer bien du temps et bien des efforts pour acquérir un niveau appréciable.
Dans l’admiration mutuelle de deux personnes cultivées, il y a la reconnaissance des efforts accomplis.
Le vrai mérite est celui qui résulte de l’effort.
C’est le contraire de “Je veux tout, tout de suite, sans rien faire.” .
Il existe, en France, des chaînes d’épiceries toutes tenues par des Arabes. Leurs patrons savent parler, lire, écrire et compter en Arabe et en Français. Ils n’ont étudié que le Coran. Ils ne savent rien de Pythagore ni de Mendeleïev, ne connaissent aucune fable de La Fontaine, ne connaissent rien de Charlemagne, ne savent pas situer l’Ukraine sur une carte, et leur commerce est prospère.
Ils ne connaissent rien de la Culture Classique Française, mais ils sont intelligents.
Ils envoient leurs enfants à l’Ecole pour passer le Bac… c’est-à-dire pour RIEN.
Merci, M. Badiou !
Je suis actuellement à Sciences-Po.
Je vois de toute façon que – même seulement au bout de deux ans- les choses changent.
Dommage que IEP ait décidé de suivre la vage et délaisse la culture générale.
Je suis inquiète pour la valeur de mon diplôme dans les prochaines années…
Moix, j’approuve voux….