Le dîner annuel du CCAF (Conseil de coordinations des organisations arméniennes de France) s’est déroulé le 29 janvier, date anniversaire de la loi française reconnaissant le génocide des Arméniens en 2001, en présence de ses invités d’honneur : Christiane Taubira, Garde des Sceaux, Bernard-Henri Lévy, philosophe, Charles Aznavour, ambassadeur itinérant de l’Arménie,Viguen Tchitetchian, ambassadeur de la République d’Arménie, entre autres. Ce rendez-vous annuel a été l’occasion de remettre la médaille du courage, la plus haute distinction du CCAF, à Bernard-Henri Lévy ainsi que d’annoncer le programme qui présidera aux commémorations du centième anniversaire du génocide arménien : « 2015 : cent ans du génocide ». Ara Toranian, directeur des Nouvelles d’Arménie, a ouvert l’événement. Retrouvez son discours et les photos de la soirée.
En préparant avec nos camarades du CCAF cette belle soirée, m’est revenu en mémoire le discours de notre regretté Henri Verneuil le jour où on lui a remis les palmes académiques et qui, dans un zoom arrière sur sa vie, avait commencé son discours d’intronisation par ces mots : « Qu’il a été long et difficile, le chemin du peuple arménien ». Oui, pour ne reprendre que sa période récente, « qu’il a été long et difficile ce chemin », du quai de la Joliette à Marseille, où les premiers rescapés du pays de l’épouvante ont débarqué, jusqu’à des événements comme celui-ci, qui les amènent à partager leur table avec la ministre de la Justice – quel beau symbole.
Oui, qu’il a été long et difficile ce chemin qui a conduit le peuple arménien des marches forcées vers la mort à « des pays ouverts d’hommes aux mains tendues », n’est-ce pas Charles Aznavour ?
Alors que ce spectacle de réfugiés arrivés en guenilles n’était cependant pas sans susciter quelques réactions de rejet, la France a su globalement résister au discours du sénateur-maire Flaissières qui déclarait dans Le Petit Provençal, le 21 octobre 1923 : « Ces malheureux assurent qu’ils ont trop à redouter des Turcs pour rester chez eux. (…) la population marseillaise réclame du gouvernement qu’il interdise rigoureusement l’entrée des ports français à ces immigrants et qu’il rapatrie sans délai ces lamentables troupeaux humains, gros danger public pour le pays tout entier. (…) »
Oui, merci à la République et à ces voix qui se sont alors élevées pour défendre ce lamentable troupeau, où se trouvaient nos parents, nos grands-parents, nos arrières grands-parents et de leur avoir permis de se reconstruire, d’envisager l’avenir sous un autre angle que celui de la peur, de s’intégrer et devenir des sujets de droit dans leur patrie d’adoption.
La France nous a beaucoup donné en tant qu’individu, c’est vrai. Et nous avons essayé d’être dignes de son accueil en assumant notre devoir national avant même qu’il soit sollicité – et je salue la mémoire des francs-tireurs partisans du groupe Manouchian.
Mais comment jouir en toute conscience de ces biens, de cette liberté, dans un continent européen qui, au nom des bonnes relations avec Ankara, avait érigé un mur du silence autour du premier génocide du XXe siècle? Les Arméniens se sont faits un devoir d’être des citoyens modèles, et on les cite souvent en exemple d’une intégration réussie. Mais comment porter ce terrible poids de l’histoire ? Avec le déni, on a contraint cette communauté à vivre sans bonheur, mais on n’a pu la réduire à vivre sans honneur, c’est-à-dire à abandonner aux vautours du négationnisme le cadavre du peuple arménien assassiné.
Le 29 janvier 2001, la France reconnaissait officiellement le génocide de 1915. Quatre-vingt cinq ans après les faits. Oui, il a été long et difficile le chemin.
Mais l’histoire récente du peuple arménien n’a pas été jalonnée que par les marques de cynisme et les ravages de la Realpolitik.
Sur tous les continents, les reconnaissances du génocide se sont multipliées. Un État indépendant a vu le jour. Et un peuple debout s’est libéré au Haut-Karabah d’un joug ancestral qui, à Soumgaït en février 1988, a cru qu’il était encore possible de massacrer impunément les Arméniens.
À partir de la fin des années 70, beaucoup d’intellectuels français se sont joints à nos pétitions, pour exiger la reconnaissance du génocide, de Jean Paul Sartre le premier, à Pierre Vidal-Naquet, d’Emmanuel Lévinas à Paul Ricoeur en passant par Alain Finkielkraut, Michel Onfray sans parler des amis de la première heure comme Serge Klarsfeld ou Henri Leclerc. Impossible de les citer tous. Mais, entre tous, s’il y a un soutien auquel nous voulions ce soir rendre un hommage particulier c’est celui, exceptionnel, de Bernard-Henri Lévy qui depuis 2006 est aux avant- postes de notre combat pour l’incrimination du négationnisme du génocide arménien.
En participant à nos meetings, à nos manifestations de rue, en allant plaider notre cause aux États-Unis, en Israël, au Sénat, en écrivant les plus beaux plaidoyers qui n’ont jamais été publiés sur la question arménienne, et ce, à un moment où une grande partie de la presse était vent debout contre toute extension de la loi Gayssot au génocide de 1915, cet intellectuel a fait montre d’une empathie et d’un courage qui est nous est allé droit au cœur. Une combativité que nous lui connaissions déjà pour l’avoir vu à l’oeuvre au moment de ses premiers engagements en faveur du Bengladesh, de son soutien aux dissidents soviétiques dont il a initié et propagé la défense, de son implication totale au moment du siège de Sarajevo.
Je ne citerai pas tous ses combats qui, de la Bosnie à la Lybie, l’ont conduit à défendre de nombreuses causes, dont celle d’Israël à laquelle il est naturellement attaché, tout en défendant aussi le droit des Palestiniens à avoir un État. Son oeuvre, son engagement, constitue un démenti vivant et un antidote définitif à la sinistre concurrence des victimes.
Pour toutes ces raisons, et bien d’autres que je n’ai pas le temps ici d’exprimer, le CCAF, le Conseil de coordinations des organisations arméniennes de France a décidé cher Bernard-Henri Lévy de vous remettre ce soir sa plus haute distinction : sa médaille du courage. Merci de bien vouloir me rejoindre, vous qui rendez moins long et difficile notre chemin.
Photos : Yann Revol
C’est très bien. Mes grands parents n’auraient jamais imaginé ce chemin parcouru. Mais au vu des photos, ma joie est quand même tempérée par la situation précaire des palestiniens… (sur une des photos, je remarque la mine assombrie de l’Imam de Drancy écoutant ?….).
Allez, Messieurs, allez jusqu’au bout du chemin avec courage et générosité, paix sur terre grâce aux hommes de bonne volonté…