Dès le premier jour de la révolution égyptienne, la présence de femmes dans les rangs des révolutionnaires, a fonctionné dans nos esprits, travaillés par une incertitude bien légitime, comme une garantie sans appel : cette révolution irait dans le bon sens. J’entends : pas dans le sens de la révolution iranienne en 1979. Comme si la voix des femmes dans ce printemps du peuple égyptien suffisait à nourrir l’espoir démocratique. Aujourd’hui encore le péril iranien est hors de propos, mais doit-on craindre que la démocratie égyptienne en cours d’élaboration soit appelée à devenir une démocratie pour les hommes, et seulement les hommes ? Donc, pas une démocratie du tout ?

Les rassemblements de femmes et d’hommes organisés à l’occasion de ce 8 mars 2011, pour la Journée Internationale de la Femme, ont été attaqués par des cars entiers d’hommes furieux et violents, venus sur la place Tahrir pour montrer aux femmes que la fête était finie.

« Rentre à la maison nous faire la cuisine ! » ou « On va te faire la peau, salope, on va te niquer ! ». Voilà les nouveaux slogans de la rue égyptienne, entendus aujourd’hui. Des centaines et des centaines d’hommes poursuivaient à travers la place, en vociférant des injures, les jeunes femmes venues manifester, comme d’habitude, comme chaque jour depuis le 25 janvier, en les menaçant ouvertement de viol et de meurtre. Les femmes ont été battues, dénudées, humiliées. Une contre-manifestation donc, parfaitement organisée, et qui aurait mené au carnage pur et simple si l’armée, une fois de plus, ne s’était pas interposée. La nuit, cependant, nombre d’agressions contre les femmes et des viols ont été commis dans plusieurs quartiers du Caire. La journée des femmes aura donc été, en Égypte, un jour de cauchemar. En somme, une des journées les plus violentes depuis le début de cette révolution.

Et après tout, c’est peut-être bien ainsi. Puisqu’il est l’usage, dans tous les pays du monde, de contempler, ce jour-là, la condition féminine, de protester contre les violences, les souffrances infligées aux femmes, de dénoncer les inégalités et les injustices qu’elles continuent de subir, les militantes égyptiennes n’auront pas eu besoin, cette année, de faire de grandes déclarations à la presse sur la condition féminine en Égypte. Le message est passé. L’unité des chrétiens et des musulmans, des hommes et des femmes a renversé en 18 jours un régime de trente ans. Et cette unité effraie toujours…

 

Les femmes pour la démocratie : un somptueux cadeau

Curieusement, le 8 mars 2011, Journée Internationale de la Femme, avait été dédié par les femmes égyptiennes elles-mêmes, à la mémoire des « martyrs de la liberté ». Ces 300 jeunes, dont beaucoup de femmes, tombés sous les coups des forces de l’ordre. Les femmes égyptiennes cherchaient sans doute par ce geste à montrer qu’elles respectaient toujours le mot d’ordre d’union nationale qui avait présidé à toute la révolution. Elles n’ont pas voulu militer, ce jour-là, pour les droits des femmes. Femmes ou hommes, qu’importe ! Nous voulons tous l’avènement d’une démocratie qui garantisse le respect des droits fondamentaux de tous les citoyens.

« Qu’importe ! » c’est le mot d’ordre de cette révolution. Musulmans ou chrétiens, qu’importe, nous sommes tous égyptiens. Hommes ou femmes, qu’importe, nous sommes tous citoyens. Libérales ou conservatrices, qu’importe, nous sommes tous pour la chute d’un régime abject et l’instauration d’une démocratie. L’unité a été le mot d’ordre. Surtout pas de divisions. Mais la traduction en termes politiques réels de ce « qu’importe », de cette indifférence obstinée, quelle est-elle ?

Ainsi, ce 8 mars, Journée Internationale de la Femme, les Égyptiennes ont cru faire un cadeau à l’Égypte, un cadeau pour la démocratie. Il faut croire qu’elles se sentaient ces jours-ci suffisamment confiantes dans leur propre avenir, et convaincues de leur nouveau prestige révolutionnaire, pour se permettre de faire un tel cadeau. Pour s’autoriser à croire que tous les Égyptiens, hommes et femmes, chrétiens et musulmans, voulaient, comme un seul homme, la même chose.

Non, elles ne devaient pas rompre l’union sacrée du peuple à leur seul avantage. Leur seul avantage ? L’avantage d’une minorité politique composée de 52% de la population ? Ce cadeau des femmes, ce retrait, l’effacement  absurde d’une écrasante minorité dans l’intérêt général était, de fait, plutôt somptueux.

Somptueux surtout au regard de la situation des femmes en Égypte aujourd’hui, et de la souffrance dont, profitant de la foire générale des revendications, elles auraient pu témoigner. En dépit de la discrétion des femmes sur leurs propres malheurs, les hommes en ont témoigné à leur place. Malgré eux et malgré elles.

Le printemps des femmes ?

Le printemps des femmes égyptiennes a subi un rude coup le 8 mars. En effet, dès le début de la révolution, toutes les figures possibles de la femme égyptienne étaient partie prenante de tous les retournements. Dans les coulisses, jusqu’à la veille du 25 janvier, des jeunes femmes aujourd’hui célèbres, ont usé de forces inouïes – de conviction, de séduction, de provocation, de raisonnement, de persuasion – pour supplier, non pour forcer, le peuple le plus patient du monde, à sortir dans la rue. Parmi les tous premiers conspirateurs ayant déclenché un soulèvement national, dont peut-être eux-mêmes ne rêvaient pas l’extraordinaire dimension – il y a surtout des femmes. Par exemple Asma Mahfouz, 26 ans. Sur son blog, elle appelle au cours d’une vidéo aujourd’hui célèbre, le peuple égyptien dans son ensemble à la révolte contre un régime barbare et corrompu. « Si tu es un homme, descend avec moi dans la rue le 25 janvier. Moi qui suis une fille, je vais descendre dans la rue le 25 janvier, et à tous ceux qui auraient peur pour moi, qui penseraient que ce n’est pas la place des filles, je dis venez donc avec moi pour me protéger. »

Cette jeune femme, qui apparaît avec son voile sur la vidéo, donne rendez-vous le 25 janvier à tous les hommes d’Égypte. Elle les appelle, elle les provoque, elle les menace. Elle en appelle à leur honneur, à leur dignité, en un mot à  leur virilité. « Le gouvernement nous vole, nous tue, il nous traite comme on ne traiterait pas des animaux. Allez-vous rester tranquillement chez vous à pianoter votre mécontentement sur Facebook ? N’allez pas dire, si vous ne bougez pas, que vous êtes encore des hommes. »

Des femmes qui poussent leurs hommes au combat, la chose n’est pas nouvelle ! Ce qui est plus nouveau c’est que femmes, hommes et enfants soient descendus dans la rue le 25 janvier montrer qu’ils étaient des hommes. Des hommes, et non des femmelettes. Des hommes, et non des animaux. La blogueuse avait joué adroitement sur les deux registres du mâle et de l’humain. Hélas, ce miroitement, bien commode pour rameuter les foules, a montré aujourd’hui sa limite.

Des petites filles maigrichonnes et malicieuses sont descendues dans la rue, le visage peinturluré aux couleurs du drapeau national. Elles paraissaient trouver ce nouveau jeu tout à fait à leur goût. Enfin, un jeu de société qui se joue à des millions, et avec les garçons, et en plus à l’extérieur ! Perchées sur les barricades, et plus tard debout sur les tanks, ou encore sur les genoux des militaires conquis par le peuple, elles lançaient à tue-tête des refrains repris par la foule. Leurs slogans résonnaient comme des cris de cour de récré : « C’est toi qui part, crient-elles à Moubarak, moi je reste. » On les a vues : elles s’amusent, elles sont irrésistibles, désarmantes. Elles font ce que font les petites filles : elles jouent à la révolution. Et sans aucun doute, ont-elles effectivement désarmé le camp d’en face, tout comme leurs mères. On ne tire pas sur les femmes, encore moins sur des petites filles.

Les jeunes femmes voilées ou maquillées, mais le plus souvent les deux à la fois… portaient chaque jour, à travers l’Égypte entière, les couleurs de la révolution. Pantalon noir, blouse blanche, voile noir ? Ou plutôt, T-shirt blanc, pantalon rouge, cheveux noirs ? Toutes les combinaisons sont exploitées pour montrer que ces jeunes femmes sont l’Égypte elle-même. Le bandana tricolore enserre la tête autour du voile, ou autour des cheveux impeccablement coiffés pour cette grande occasion. Les drapeaux égyptiens flottent autour d’elles. Elles ont trouvé la meilleure parade contre les tirs meurtriers des gardiens de l’ordre. Allez y, Messieurs, tirez sur les femmes, ensanglantez le drapeau, allez-y. Le corps des femmes drapées dans le drapeau national, deux tabous en un. La police et l’armée sont paralysées. Seuls les « balatagueyya», à la solde de la sécurité de l’État, commettront sans honte leurs crimes odieux.

Il y a de tout parmi ces jeunes femmes, des étudiantes, des militantes, des blogueuses de la première heure, des journalistes, des comédiennes, des artistes, mais aussi des centaines de milliers de jeunes femmes qui peinent à trouver un premier travail, et celles qui ne parviennent pas à vivre avec leur salaire de misère. Si un homme est payé 40 euros par mois pour vivre ; songez donc, une femme ? Ce sont des femmes empêchées de vivre. Et leurs aînées sont là aussi. Ce jour, elles en ont rêvés toute leur vie, elles ne le manqueront pas. Parmi elles, une fois encore, il y a de tout. Nawal et Saadawi, la plus réputée des féministes égyptiennes, infatigable défenseur de la laïcité, auréolée de ses cheveux blancs, se rend sur la place Tahrir tous les jours. À ses côtés, des mères de famille en colère, des ouvrières syndiquées, qui n’en sont pas à leur première manif, des paysannes affamées et des militantes endurcies. Il y a même de ces montagnes noires – comment savoir qui se cache sous un niqab – des personnes invisibles, hommes ou femmes, qu’importe. On ne peut s’empêcher de penser, en les voyant hanter la place Tahrir sans manifester la moindre crainte, que ces femmes de grande vertu sont des dures de dures, une nouvelle sorte d’anarchistes, soustraites totalement au regard perquisiteur d’un pouvoir qui prétendait tout contrôler.

Il y a aussi celles qui sont interviewées par les télévisions  étrangères – Al-Jazeera ou BBC. Elles parlent en anglais. Elles ont été, pour la plupart, éduquées à l’Université Américaine du Caire, sinon carrément en Europe et en Amérique. Car, cette Amérique prétendument haïe, est le plus solide, le plus puissant allié d’un régime honni ; cette Amérique dominatrice, corruptrice, dans le même temps où elle serrait la main du dictateur allié, a formé l’élite d’une génération capable de le détrôner.

Prenez Gigi Ibrahim, 24 ans, manifestante enragée de la place Tahrir, toujours en jeans, cheveux au vent, avec son discours limpide, structuré et ravageur, qui dit sa soif de liberté dans le pur accent hollywoodien. Elle est égyptienne jusqu’au bout des ongles, n’en déplaise au président Moubarak qui, lors de sa dernière intervention, dans une  ultime et pathétique tentative, cherche une fois de plus à accuser la main étrangère qui n’a de cesse de déstabiliser l’Égypte en manipulant sa jeunesse. Gigi Ibrahim n’avait pas « d’agenda secret » autre que la libération de l’Égypte. Pas plus qu’Asmaa Mahfouz, 26 ans, haranguant les foules avec les mots crus et durs de l’égyptien de la rue, la tête drapée d’un voile à l’ottomane, qui elle, serait indiscutablement considérée en Égypte comme une « bent balad », une fille du pays.

Voilées ou le visage découvert, à peine lettrées ou hautement éduquées, filles des beaux quartiers ou des quartiers populaires, arborant à leur cou croix ou croissants, et n’arborant rien pour le plus grand nombre, mères ou sœurs des disparus des commissariats, venues dénoncer le massacre, ou surveiller leurs enfants qui  manifestent, qu’importe… elles étaient là ensemble, aux côtés des hommes. Et elles n’ont pas été épargnées par la violence policière. Leurs yeux ont été brûlés par les gaz, leur chair déchirée par les balles, leurs visages tuméfiés par les coups. Elles ont été insultées, traînées par les cheveux, battues, humiliées, et tuées. Parmi les centaines de victimes qu’a fait cette révolution pacifique, il y a des jeunes femmes. Leurs portraits sont affichés avec ceux des hommes, dans toute l’Égypte. Elles se sont battues avec les hommes, comme des hommes. En passant devant les panneaux présentant les portraits des « martyrs de la liberté », les gens déposent un baiser respectueux à la même photo, comme on le fait sur les icônes.

Et cependant, quelques signes avant-coureurs de ce qui allait se passer le 8 mars : des passants arrachent parfois les photos des femmes. Exhiber son visage ainsi, cela ne se fait pas. Les mortes n’ont-elles donc pas de pudeur ? La mère de Sally Zahran, l’une des héroïnes les plus célèbres, tombée le premier jour de la révolte, supplie à la télévision de changer la photo « officielle » de sa fille. Elle en fournit une autre, plus ancienne, où les beaux cheveux auburn de Sally sont dissimulés par un foulard ! Et enfin, sur le site Facebook du mouvement « Le 8 mars pour les martyrs de la révolution égyptienne », de plus en plus d’internautes, hommes et femmes, mais comment savoir sur internet – ont manifesté leur méfiance et leur désaccord. Qu’est-ce que c’est que cette pagaille ? Qu’est-ce qu’elles manigancent encore avec leurs martyrs ?

La femme égyptienne : un martyr vivant

Il existe des rapports internationaux sur la situation économique, politique, sociale, humaine, des femmes dans le monde. Ceux commandés par les Nations Unies par exemple. Ces rapports dressent, année après année, des statistiques terrifiantes, comptent les morts méticuleusement, établissent des pourcentages effrayants, préviennent des lendemains alarmants. Ils se terminent invariablement par une longue liste de recommandations rédigées par des experts soucieux de faire leur métier tout en ne froissant pas les dictatures qui les financent, et qui sont aussi des États membres des Nations-Unies. Comme ils sont honnêtes, ils s’attachent à dire la vérité dans une langue parfaitement illisible et inaudible. La langue onusienne tristement célèbre.

Je veux traduire ici les quelques centaines de pages consacrées aux femmes : l’Égypte est un des pays au monde où la situation des femmes est la plus accablante.

Naturellement, comme partout ailleurs, les femmes sont les plus touchées par la misère économique qui ravage le pays. Et cependant, en Égypte, la survie de la moitié de la population qui se débrouille avec deux euros par jour, repose, pour les trois-quarts d’entre elle, sur le travail des femmes !

Imaginez une femme, décharnée, anémiée, occupée de l’aube jusqu’au coucher à deux ou trois gagne-pains différents. Elle habite une sorte de HLM construit à la hâte, sans planification, par des investisseurs crapuleux : un taudis, nauséabond, insalubre. Les eaux usagées inondent les ruelles entre les maisons, les infections y pullulent, les enfants y pataugent pieds nus. Il n’y a pas de service de voierie, pas de rues goudronnées. Cette femme mange à peine car elle a l’habitude de nourrir d’abord ses enfants, et son mari chômeur, qui la bat souvent tant il est humilié par sa propre impuissance. Et ces fameux deux euros qui ne suffisent pas, jamais. Souffrante, elle ne se rend pas à l’hôpital, elle y emmènera ses enfants s’ils risquent de mourir. Le plus souvent, elle les voit mourir en bas âge de maladies qui auraient pu être soignées, et elle le sait. Ses filles, excisées comme elle vers l’âge de sept ou neuf ans, n’iront à l’école que jusqu’à douze ans, pour pouvoir aider leur mère et surtout débarrasser le plancher le plus rapidement possible, si on parvient toutefois à réunir une petite dot pour elles. En attendant, elles ne s’éloignent pas trop de la maison. Dehors, au coin de la rue, dans les transports publics, les jeunes filles modestes comme elles sont  molestées, harcelées, violées tous les jours. C’est pourquoi, alors que leur mère ne porte ni hijab ni niqab, car c’est tout à fait incommode pour travailler, et qu’elle ne peut  sûrement pas s’offrir le luxe de faire cinq pauses par jour pour prier, ses filles se voilent, sinon par piété, du moins pour leur propre sécurité. Les fils, quant à eux, présentent à dix-huit ans le corps de garçons de treize, et quitteront l’école peu après les filles. Comment  suivre une scolarité normale ? Ils dorment d’épuisement dans des classes surpeuplées qui ne sont plus dans toute l’Égypte que des viviers de délinquance. Aucun de ses fils ne travaille puisqu’il n’y a pas de travail. Au mieux, ils traîneront dans la rue pour taquiner les filles, au pire ils se vendront comme « baltagui » à la police pour l’aider dans ses basses œuvres d’intimidation et d’oppression, ce qui leur permettra de se payer un peu de drogue, ou de violer les filles d’un quartier voisin. J’exagère un peu, car il reste une solution honorable : quitter l’Égypte pour un monde meilleur. S’immoler ou émigrer.

Voilà une femme égyptienne. Voilà sa vie et l’avenir, le destin plutôt, qu’elle prévoit pour ses enfants – filles et garçons. Les rapports internationaux nous apprennent que cette femme existe en quinze millions d’exemplaires.  C’est une mauvaise nouvelle. Pire nouvelle encore : ses enfants sont l’Égypte de demain.

Un calcul raisonnable

En décidant d’offrir leur jour aux martyrs de la liberté, les femmes égyptiennes inversaient, par un calcul raisonnable, le cours du féminisme classique. Plutôt que de militer directement pour les droits des femmes dans la future démocratie que l’Égypte appelle de ses vœux, ٍelles pensaient offrir le soutien des femmes à la démocratie en devenir. Elles déclaraient leur solidarité avec le peuple entier, et donc leur soutien en faveur d’un régime nouveau qui garantirait les droits universels. Elles espéraient les bienfaits que peut offrir une démocratie réelle : une représentation politique équitable, une gestion transparente des finances, une économie enfin tournée vers le développement, l’amélioration des services publics d’éducation et de santé et, bien sûr l’émancipation des femmes.

Taha Hossein disait : « Seules des femmes émancipées donneront des générations d’hommes vraiment libres à l’Égypte. »

Le calcul des femmes était donc simple : plus de la moitié des Égyptiens sont des Égyptiennes. Elles voteront aux prochaines élections libres. Si elles souhaitent que les droits humains fondamentaux, tels qu’ils sont énoncés dans la Déclaration Universelle des droits de l’homme (1948), et à nouveau dans le Pacte relatif aux droits sociaux et politiques (1966) qui a force d’obligation, tous deux ratifiés par l’Égypte, soient enfin appliqués par la nouvelle Constitution, sans restriction aucune… Alors il y a des chances qu’elles soient entendues par les nouveaux partis politiques en formation, et donc par ceux qui formeront le prochain gouvernement.

Il faut savoir que la Constitution égyptienne admet deux restrictions paralysantes aux droits de l’homme : l’État d’urgence et les dispositions de la loi islamique.

Normalement, les droits fondamentaux seraient garantis par la constitution de 1952. Le droit d’exprimer librement ses croyances et ses convictions, de se réunir, de manifester ses opinions, de former des partis d’opposition… hélas, depuis 1981, en raison du terrorisme et des forces obscures qui menacent la sécurité de l’État, ces droits sont « temporairement suspendus ». Ils le sont depuis trente ans. Ce que le monde découvre aujourd’hui, les Égyptiens le voyaient, et en souffraient depuis longtemps : l’État nourrissait d’une main les ennemis que le menaçaient, tandis que de l’autre il en dénonçait l’existence pour justifier l’État d’urgence et la persécution quotidienne rendus légitimes par cette même menace.

Normalement aussi, la Constitution égyptienne reconnaît l’égalité des hommes et des femmes, et encourage l’accès des femmes à toutes les responsabilités, toutes les professions, tous les droits dont jouissent les hommes mais… « sans préjudice pour les dispositions de la loi islamique ». Or les dispositions de la loi islamique, sont  incompatibles avec l’application des droits fondamentaux universels.

Ces deux restrictions – religieuse et sécuritaire – étroitement liées puisque la première est apportée pour apaiser les puissants mouvements fondamentalistes qui menacent la sécurité de l’État et l’obligent à appliquer les lois d’urgence – parviennent à rendre impossible la défense des droits humains fondamentaux en Égypte, et parmi ces droits, ceux des femmes en particulier.

En un mot, les Égyptiennes savent qu’elles ne pourront jouir de leurs droits de citoyennes à part entière que si une Constitution laïque, sans restriction aucune, est votée. Il reste à savoir si une telle Constitution laïque verra le jour en Égypte.

Si une telle Constitution, garantissant le respect des droits humains fondamentaux pour tous les citoyens, sans distinction, hommes et femmes, chrétiens et musulmans, voyait le jour, ce ne serait pas qu’un cadeau des femmes à l’Égypte, mais un cadeau de l’Égypte au monde arabo-musulman.

Il est vrai que l’Égypte est un pays singulier au sein de ce monde tourmenté. Les Égyptiens, dans leur écrasante majorité, sont peu enclins aux fâcheries identitaires. Ils ne ressentent aucun besoin de haïr pour être. Envers et contre tous, ils ont conclu un accord de paix avec Israël, et continuent aujourd’hui d’affirmer que cet accord ne sera jamais remis en question. Sont-ils arabes ? Oui, non, comme il vous plaira. Ils sont égyptiens avant que d’être arabes, et égyptiens avant d’être musulmans ou chrétiens. Et avant d’être égyptiens, ils sont des hommes. Des êtres humains, donc, qui aspirent à la justice et à la liberté ? Au lendemain de ce 8 mars catastrophique, rien n’est moins sûr. Il semble que, pour l’instant, avant d’être des Égyptiens, ils sont des hommes – et non des femmes. Des hommes qui imaginent pouvoir construire une démocratie pour eux seuls.

Mademoiselle Asmaa Mahfouz, féroce jeune fille sans défense, qui avez appelé – tel un général d’armée –  les Égyptiens à descendre dans la rue avec vous, derrière vous, à se révolter sans crainte contre la barbarie et la corruption d’un régime abject, à vous montrer qu’ils étaient des hommes… est-ce cela que vous espériez ?

5 Commentaires

  1. Je lis et relis l’article d’Ayyam Sureau…J’ai le ventre noue, je sens comme un malaise. Chaque mot est juste, chaque phrase me renvoie a ce que j’observe, ce que je ressens et a ce que je deplore dans cette Egypte si chere a mon coeur.
    Cette Egypte, elle offre tant de differents visages de femmes…Les instruites de Zamalek, les etudiantes de l’Universite Americaine, les jeunes de Ain Shams, les femmes au foyer, aisees ou demunies, celles aussi qui vaquent en voitures climatisees chercher leurs enfants dans les « bonnes » ecoles, et celles que je croise dans les wagons surpeuples et nauseabonds du metro, le regard dans le vide terrifiant de ce satane fatalisme egyptien, revolution ou pas…et tous les autres visages, du sud, des oasis, de la campagne, d’Alexandrie…
    Mais cette Egypte est aujourd’hui bien defiguree…
    Ces hordes de femmes a foulards, mal fagottees, partout, partout, tellement. A en baisser les yeux, a en baisser les bras…Mais ou est donc la lumiere, l’etincelle ?
    Nous sommes encore quelques uns, de ces hommes, qui nous battrons coute que coute pour que l’Egypte et surtout le monde comprenne que l’avenir de ce pays doit etre confie, en tres grande partie, aux femmes. Partout, a travers l’histoire, elles ont etes plus fortes, plus determinees, plus tenaces, plus revoltees et plus legeres que nous, les hommes. Meme sous les coups. Surtout.

    Il ne sagit ici ni d’extremisme, ni de religion, ni meme de democratie. C’est a l’essence de l’humanite et de notre conscience universelle, de nos droits d’humains et de nos devoirs aussi que je fais allusion. Resister a l’usure, a l’ignorance, a la couardise, aux sectarismes, aux segregations. Reapprendre a apprendre, a lire, a s’instruire, a s’eduquer, a explorer, a s’indigner. Redecouvrir la curiosite, sortir de la penombre, et trouver la force de deloger de leur archaisme primaire les obscurantistes et les ideologues nevroses.
    Et aussi, l’ouvrir. La ramener, notre grande gueule. Il y a aussi des hommes prets a le faire pour vous, Mesdames. J’en fais partie. Depuis le 2 Fevrier dernier, je ne suis plus a quelques « bousculades brutales » pres… Mais il ne faut jamais lacher.
    Dailleurs, tous ceux qui tentent aujourd’hui de prendre le poul de l’Egypte ressentent le meme malaise que moi. Ces relens pestilentiels venus du fond des ages, comme des egouts souterrains mais qui debordent au grand jour sans que personne, ma foi, ne trouve le juste moyen de faire cesser cette horrible mascarade.
    Ou est la police ? Ou est la justice ? Ou est la loi? Ou est l’armee ?
    Ou est l’ame egyptienne qui ne permettait meme pas a qui que ce soit de jeter le moindre mauvais regard ou un mot de trop a une demoiselle dans la rue ?
    On lynche ici, on viole la, on tabasse et on poignarde a Tahrir pendant que d’autres, (les memes?) brulent des eglises pour attiser la noirceur et le sang.
    Ce sont ces memes imbeciles que l’on verra tres certainement hurler d’effroi lorsque des allies bienveillants bouteront par la force l’infame Kaddafi hors de son terrier, et ce sont les memes qui, faute d’alibis comme eau sale a leur moulin, ressortiront les vieilles et haineuses rangaines contre l’ingerence, la luxure democrate, la pourriture occidentale et athee, le sionisme et son lobby, etc etc.

    Alors oui, parfois, on veut jeter l’eponge. On veut s’entendre croire que c’est peine perdue… certains pretextent avec politesse que c’est encore trop tot, d’autres qu’il est deja trop tard.

    Vous etes les Femmes. Les epouses, les meres, les soeurs, les capitaines d’industrie, les juristes et les journalistes, les activistes et les artistes, les fonctionnaires et les paysannes. Les etudiantes, les medecins, les savantes, les amantes. Vous etes l’Univers. Vous etes l’Egypte.

    Battez-vous, comme vous l’avez toujours fait,avec ce courage que nous , les hommes, vous envions si souvent.
    Cette constitution laique ne verra le jour que tres difficilement, a force de bruit, de fureur, de ruse, de revolte, d’insistance, de debats. Mais elle est vitale, essentielle a l’Egypte.
    Alors, sans jamais se departir de la rage au ventre, avec pugnacite et patience, vous obtiendrez les droits qui vous sont dus.
    Apres tout, Messieurs, quel sot peut encore douter, apres cent millions d’annees, que tot ou tard, ce que Femme veut…Dieu le veut !

    • Ce que femme veut, Dieu le veut…

      Voilà encore un piège qui nous éloigne de la laïcité et de l’égalité entre hommes et femmes. Il n’est pas bon d’idéaliser et de croire que nous devrons notre salut à des femmes plus courageuses que les (des) hommes. Le courage se trouve chez les unes et chez les autres, tout comme la couardise, la lâcheté et bien d’autres travers humains.

      C’est dans le partage et dans une vision objective de la société que nous pourrons construire. Pas dans l’abandon à un idéal féminin qui n’existe que dans la tête de mâles romantiques… ou chez des féministes revanchardes prêtes à en découdre. Car les femmes aussi ont leurs travers.

  2. D’où nous vient ce vent de révolte qui soulève tous les damnés de la terre et qui est en passe de traverser la méditerranée ?
    Peut-être pour sacrer ou consacrer la femme de l’année…
    Rien qu’à l’entendre souffler, on a le sentiment, d’ores et déjà qu’il vient des Aurès.
    Vous n’avez pas une infime conviction que quelque chose va désormais bouger…avec ou sans notre bénédiction ?
    Vous n’avez pas une infime conviction que cette secousse qui fait trembler les mortels n’a aucune partie liée avec l’Eternel ?
    Pour vous donner une image de ce mirage, je vous renvoie aux prouesses d’un personnage légendaire, héroïne exemplaire qui habite encore aujourd’hui, l’imaginaire des berbères et qui fut surnommée Kahina.
    On la crut juive, puis chrétienne et on l’a vu plus d’une fois monter à l’assaut du ciel…
    Elle était belle, aux yeux clairs mais elle était surtout pure au sens vertueux et non religieux.
    Prophétesse, prêtresse ou déesse… mégère, vipère ou sorcière, on peut l’affubler de tous les noms, mais on ne lui retirera jamais à cette princesse, fille du roi des Aurès, le mérite de se battre au nom des siens… deux enfants… pour lesquels elle a versé le sang : l’honneur et la dignité.
    http://www.lejournaldepersonne.com/2011/03/kahina/

  3. est-ce cela que vous espériez ? Oui, vous qui me lisez!
    Nous avions prédit cela, mettant en colère les intellos, les bobos, et autres rêveurs. nous avions prédit cela et ce qui ne s’est pas encore passé mais qui vient. C’est à dire une confiscation de la révolution au seul profit d’un extremisme. Reste à savoir lequel ? Es-ce si difficile de deviner ?

  4. Oui la démocratie est sans doute d’abord une affaire d’hommes, puisque Asmaa Mahfouz fait appel aux hommes a priori plus qu’aux femmes. On peut regretter que le monde soit ainsi fait, mais les femmes ne peuvent s’exprimer librement que si elles sont protégées.

    Pour autant, le sang d’un homme est-il moins rouge que celui d’une femme ? Lorsqu’une femme est victime de violences, cela émeut nos consciences. Lorsque c’est un homme qui meurt ou qui souffre, c’est la loi du genre… Oui, les femmes, pas seulement Asmaa Mahfouz, demandent aux hommes de se battre en leur nom. On en appelle à leur honneur, à leur virilité. Et peu de mères hésitent à envoyer leur fils se battre, même s’il doit y laisser la vie.

    Tout ce qui nous contraint à subir, qu’on soit homme ou femme, est une privation de liberté individuelle. Mais voilà, nous ne sommes pas que des individus… et l’Égypte, ce n’est pas la France. Car, bien entendu, tout ceci nous renvoit à nous mêmes.

    J’entends bien la souffrance de l’Egypte, de la Lybie, de la Tunisie et j’en passe. Nous ne pouvons qu’espérer, quasiment en spectateurs, que ces pays accèdent à la démocratie et à un niveau de laïcité qui permettra aux hommes et aux femmes de vivre sans être enchainés dans la souffrance. J’entends par là, pour être clair, que la religion peut être une chaine pour qui n’a pas choisi librement.

    En France, cela nous renvoit au débat sur la laïcité et à la vigilance que nous devons avoir, même et surtout lorsque nous sommes des démocrates convaincus. Ceci n’implique pas un vote pour le Front National, mais nous devons pouvoir nous assurer contre certains dangers. Car le risque le plus éminent que nous vivons n’est pas le réchauffement de la planète, ni le manque de pain pour tous en France et en Europe : c’est le manque de résistance et de consistance de nos cultures.

    Nous avons su créer un espace de liberté, certes imparfait. Les femmes d’ici n’ont plus à descendre dans la rue pour se faire respecter et nous comptons également sur elles à présent, dans des démocraties où elles ont leur place. L’avenir dira si elles savent se conduire plus sagement que les hommes, surtout pour nous protéger à leur tour, puisque la justice est devenue majoritairement féminine.

    Nous devons protéger nos acquis et chercher à être des exemples, ne pas jamais à la facilité qui consiste à ignorer les difficultés ou à les contourner. Considérons que le fragile équilibre dans lequel nous sommes aujourd’hui peut très vite retourner à la barbarie, aux excès, aux viols… Nous le savons tous, il n’y a pas de pire ennemi que l’homme pour l’homme… ou la femme… et inversement.