Contexte

Avec l’accession de Mohammed Morsi au pouvoir, suite à des élections démocratiques, il semblait que l’Egypte se fût choisi un nouveau tournant pour dire non à la corruption (représentée par Moubarak et son régime) et oui à un authentique représentant du peuple. Ce représentant populaire se devait d’avoir un socle solide, une assise pour lui apporter force et légitimité : l’islam faisait l’affaire. Toutefois, avec le projet d’une nouvelle constitution, l’enjeu change : il ne s’agit plus seulement de représenter le peuple, mais d’établir les principes de base déterminants pour l’avenir de tous les Egyptiens – de tous, car une constitution a pour vocation de garantir la liberté et les droits de l’ensemble des citoyens, hommes et femmes, religieux et laïques, musulmans et non musulmans, et pas seulement ceux de la majorité. Une constitution se doit de réfléchir des valeurs que tous les citoyens peuvent partager, et non d’asseoir le pouvoir politique d’un seul parti, fût-il majoritaire. Cet enjeu-là est vital, suffisamment pour faire sortir de chez elles toutes les composantes de l’opposition. On le voit bien, le printemps arabe continue d’éclore, et ce qui pouvait paraître comme un « retour en arrière » – le projet de constitution islamique -, devient un tremplin vers une liberté mieux structurée.
Ces deux dernières semaines, le président égyptien Mohammed Morsi a accéléré le processus d’adoption du nouveau projet de Constitution égyptienne. Le 1er décembre 2012, suite aux réunions-marathon de l’Assemblée constituante, il a annoncé que le projet serait soumis à un référendum dans un délai de deux semaines, le 15 décembre 2012. Et ce, malgré l’opposition exprimée haut et fort contre la composition de l’assemblée et le contenu de certains des articles de la Constitution, et en dépit du fait que près de 40 % des membres de l’assemblée – des représentants des factions libérales – l’aient désertée.Dans son discours du 1er décembre, Morsi s’est félicité de l’aboutissement du projet de Constitution, le présentant comme « une étape supplémentaire dans l’achèvement de la révolution» et comme « la première fois dans l’histoire de l’Egypte que la Constitution répond à la volonté du peuple ». En réalité toutefois, il s’agit d’une nouvelle étape d’une série de mesures prises par Morsi pour imposer la volonté des Frères musulmans dans la Constitution égyptienne de l’après-révolution.Le 22 novembre 2012, une dizaine de jours avant la date où la Cour suprême Constitutionnelle devait rendre sa décision dans les procès libéraux contre la légitimité de l’Assemblée constituante, Morsi publiait une nouvelle déclaration Constitutionnelle – une sorte de Constitution provisoire – dans laquelle il se targuait d’avoir balayé les autorités judiciaires, après avoir déjà gagné tous les pouvoirs exécutifs et législatifs. Par cette déclaration Constitutionnelle, Morsi tentait de maintenir la domination des Frères à l’Assemblée constituante. Il accordait à l’assemblée un nouveau délai de deux mois pour achever ses travaux, ainsi que l’immunité, afin d’empêcher la Cour suprême Constitutionnelle de dissoudre l’assemblée, au motif qu’elle ne représenterait pas toute la population. Le tribunal était face à un conflit d’intérêts, puisque lui aussi s’oppose à certains articles du projet de Constitution qui portent atteinte à son statut et, par conséquent, il y a lieu de supposer qu’il aurait tranché en faveur de la dissolution de l’assemblée.La déclaration Constitutionnelle a suscité des protestations populaires sans précédent contre Morsi, et des dizaines de milliers de manifestants sont descendus dans les rues. En réaction, des centaines de milliers de partisans de Morsi ont organisé des contre-manifestations. Morsi a profité de la crise pour accélérer de plus belle le processus d’adoption de la Constitution, affirmant que cet aval mettrait fin à la concentration des pouvoirs entre ses mains. Pour apaiser les manifestants, il a promis de ne pas faire usage de son pouvoir législatif avant le référendum.Toutefois, même son annonce de référendum sur la Constitution a suscité des protestations dans les rangs de ses adversaires, parmi lesquels on trouve d’anciens candidats à la présidentielle, Amr Moussa, Hamdin Sabahi, et l’ancien secrétaire général de l’AIEA Mohamed ElBaradei. Les manifestants anti-Morsi de la place Tahrir ont répondu à son appel en faveur d’un référendum par des huées, alléguant qu’il avait perdu sa légitimité et qu’il trahissait la révolution par une Constitution qui reflétait la volonté des Frères uniquement.Les Frères souhaitent faire passer la Constitution, estimant que son adoption au référendum signerait la réussite de la phase intérimaire et permettrait de consolider leur pouvoir, alors que le processus de formulation de la Constitution accentue l’instabilité dans le pays, exacerbe les adversités sociales, génère des manifestations et des protestations généralisées. En outre, à travers le projet de Constitution, les Frères espèrent envoyer un message – aussi bien en Egypte qu’à l’étranger – disant que l’Egypte sous leur gouverne ne s’inclinera pas devant le radicalisme islamique. Dans le même temps, ils entendent laisser des formulations d’articles relatifs au statut religieux volontairement vagues et alambiquées, s’accordant une marge de manœuvre et la possibilité de donner à la Constitution une interprétation plus radicale ultérieurement. L’adoption de la Constitution représenterait une importante réussite pour les Frères dans leur conflit avec la magistrature et l’armée. Même si le président se verrait contraint de renoncer à certains pouvoirs illimités qu’il détient aujourd’hui, il conserverait une importante marge de manoeuvre.Le rapport du MEMRI, premier d’une série portant sur la nouvelle Constitution égyptienne, analyse les articles de la Constitution et les compare à la Constitution égyptienne de 1971. La première partie s’intéresse aux articles relatifs au statut de la religion en Egypte. Les parties suivantes traiteront des textes relatifs aux pouvoirs du président, au rôle du pouvoir judiciaire dans l’après-révolution en Egypte, au statut de l’armée, à la liberté publique et aux Droits de l’Homme.Constitutions antérieures – D’une orientation européenne à une orientation islamiqueLa première Constitution égyptienne a été adoptée en 1882 à l’époque de Tawfiq Pacha, qui gouvernait alors l’Egypte et le Soudan. En 1923, avec la fin de l’ère du protectorat britannique en Egypte, une nouvelle Constitution d’influence européenne a été rédigée. Elle définissait la structure parlementaire de l’Etat et établissait les pouvoirs politiques du roi à la tête de l’exécutif. Cette Constitution fut en vigueur jusqu’en 1953. Elle a toutefois été suspendue par le roi en 1930, dans le cadre de sa lutte contre le Parti Wafd, qui s’opposait à lui, puis rétablie en 1935, sous la pression du peuple.La Constitution de 1923 a été abrogée suite à la Révolution des Officiers libres en 1952. En février 1953, une Déclaration Constitutionnelle temporaire a été émise, accordant la légitimité Constitutionnelle au règne du Conseil révolutionnaire, et en janvier 1956, une nouvelle Constitution a été adoptée, laquelle définissait l’Egypte comme une république présidentielle faisant partie de la nation arabe. En 1958, avec la formation de la République arabe unie (RAU), fédération politique entre l’Egypte et la Syrie, une Constitution commune a été adoptée, restée en vigueur jusqu’en 1964 (bien que la RAU elle-même se fût dissoute en 1961). En 1964, une Constitution provisoire a été adoptée, remplacée par une nouvelle Constitution en 1971, à l’époque de Sadate. Cette dernière est restée en vigueur jusqu’à la chute de Moubarak en 2011, même si certaines modifications y ont été apportées au fil des ans.L’article 2 présente une particularité importante et controversée de la Constitution de 1971. La première partie de cet article, statuant que « l’islam est la religion d’Etat [de l’Egypte] et l’arabe la langue officielle », est fondée sur l’article 149 de la Constitution de 1923, abolie après la Révolution des Officiers libres, et la deuxième partie de l’article, selon laquelle « les principes de la charia islamique sont une source principale de la législation » [italiques de MEMRI], est un ajout, et se voulait une tentative de Sadate d’apaiser les factions islamiques dont le pouvoir augmentait suite à l’échec du nassérisme et la défaite de l’Egypte dans la guerre de 1967 avec Israël.En 1980, après un déclin de son statut en Egypte, Sadate a reformulé l’article 2, en signe de concession aux factions islamiques. La nouvelle version déclarait que la charia était « la source principale de la législation », et non plus « une principale source » [italiques de MEMRI]. Cet amendement était considéré par beaucoup au sein des factions islamiques comme une réalisation historique et une véritable révolution constitutionnelle – qui mettait un terme aux diktats impérialistes occidentaux destituant les lois de la charia islamique.Lire le document intégral en anglais sur le site de MEMRI.