Sous le gouvernement du général Franco, le Collège d’Espagne fut le seul lieu au monde à avoir été libéré de manière poétique, merveilleuse et pacifique par un groupe d’étudiants, de poètes et d’artistes.
Ce fut un honneur pour moi d’avoir initié la libération du Collège dans la nuit du 17 mai 1968, en présence de Copi, Topor et avec la complicité de Picasso et Cohn-Bendit.
Pablo Picasso en prit la présidence, avec la participation d’amis poètes, écrivains et peintres ; de Simone de Beauvoir à Louise Bourgeois, de Botero à Andy Warhol ; et bien sûr des quatre avatars des merveilles : dada, le surréalisme, ’pataphysique et Pan.
À la suite de sa libération, le collège fut fermé par le gouvernement franquiste, qui refusa de le rouvrir pendant vingt ans, malgré les demandes des étudiants et du recteur de l’Université de Paris lui-même. [La conception du collège de 1935, inspirée du monastère de l’Escurial, enthousiasma Franco qui n’osa jamais le visiter.]
Le Collège resta fermé de 1968 à 1987. Les étudiants espagnols résidant à Paris demandèrent au gouvernement espagnol de le rouvrir par des manifestations. À plusieurs reprises, le délégué général de la Cité universitaire proposa à l’ambassade d’Espagne différentes solutions pour permettre la réouverture du Collège, mais aucun accord ne fut trouvé.
Vingt ans après la fermeture scandaleuse du Collège, décidée par Franco lui-même, fut rouvert le 17 juin 1985 par le roi et la reine d’Espagne et le président de la République française, François Mitterrand [Le 10 avril 1935, il avait également été officiellement inauguré en présence des autorités républicaines espagnoles et françaises.]
Jusqu’en 2018, l’école était dirigée par Carmina Virgili, Luis Racionero, Juan Varela Ochoa, Francisco Javier de Lucas Martín et Juan Ojeda Sanz. Durant ces 33 années, l’entrée était ornée d’une plaque commémorant la libération de l’école, avec, par ordre alphabétique : Arrabal, Severo Ochoa, Picasso et Zubiri.
La première mesure prise par la nouvelle administration en décembre 2018 fut de retirer la plaque d’entrée et de placarder les espaces principaux de proclamations franquistes condamnant sa libération.
L’ennemi à réduire au silence ou à anéantir était le peintre Xavier Valls. Témoin de la Garden Party de juin 1949, où Oriol Palá, un résident, faillit être lynché par Chillida et Palazuelo, en uniforme et bottes phalangistes. Ils criaient : « Franco n’a pas tué suffisamment de Rouges ». Ils faillirent le défenestrer. Le lendemain, Oriol Palá fut expulsé de l’école et Xavier Valls banni définitivement.
De plus, Xavier Valls, des mois avant son ascension vers le ciel par la Voie Lactée, publia son prodigieux ouvrage La meva capsa de Pandora (Quaderns Crema, 2004), où il se souvient des événements de juin 1949.
À l’été 1980, le fils de Xavier, Manuel, qui avait vécu à Barcelone toute son enfance et son adolescence espagnoles, obtint la nationalité française à 18 ans. « Il a dû prendre cette décision, que j’ai parfaitement comprise, pour ses études universitaires et, surtout, pour ses projets politiques », commenta Xavier avec une fierté paternelle. Manuel deviendra ensuite maire d’Évry, député de l’Essonne depuis le 16 juin 2002, et Premier ministre français. « Il a été et reste un défenseur d’une France multiraciale et multiculturelle, dont il est lui-même un exemple en Europe. »
Le 14 mai 2025, le président de la Délégation générale de la cité universitaire Jean-Marc Sauvé m’écrivait « en cette année exceptionnelle de célébration du centenaire de la Cité internationale universitaire de Paris, j’ai le grand plaisir de vous proposer d’être l’invité d’honneur de la soirée de gala organisée le mercredi 25 juin 2025 à la Cité internationale universitaire de Paris ».
Je suis donc arrivé à la Cité universitaire le 25 juin. Deux amis m’ont annoncé la nouvelle : « Suite à des pressions espagnoles, ton nom a été retiré. » J’ai repris le même taxi pour rentrer chez moi à Paris.
Malgré l’honneur de recevoir les deux Grands-Croix d’Isabelle I et d’Alphonse X (les deux plus importants ordres civils espagnols), très humblement la direction de l’école (comme elle y était obligée ?) a omis de m’informer que mes amis canadiens décoreraient l’une de leurs chaises avec l’un de mes poèmes.
Le jour où la plaque de l’entrée de l’école sera restaurée, comme pour rendre hommage à sa libération, j’offrirai aux élèves d’hier et d’aujourd’hui (comme me le recommandent les poètes Marta García, Raúl Herrero et Pollux Hernuñez, entre autres) mon huile sur toile, afin qu’elle orne l’entrée du Collège.
Cinq « pseudo-arrabalesques » pour le Colegio de España
« …comment décrire et identifier une pêche ? »
« …énigmatique et étonnante, comme un moineau ? »
« …un brillant idiot ? »
« …j’aimerais bien distinguer les pterygotas des papillons, mais c’est si compliqué ! »
« …il est si tendre et délicat, qu’il ment merveilleusement ? »
« …ce qu’il dit est aussi trivial et insignifiant, comme ce que nous pensons quand nous sommes ensemble ? »
« …plus je dépense, plus je m’enrichis ? »
« …une fois de plus, je trouve une perle dans la poche de mon jean ? »
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