J’ai pu être, à la fois [sans que personne ne me demande de comptes ni d’histoires, et sans que même les plus vigilants ne s’en aperçoivent ?] l’ami de Picasso et de Dali, de Breton et de Cocteau, d’Helene Weigel, la femme de Brecht, et de Suzanne, la femme de Beckett, de Colette et de René Clément ; du roi émérite d’Espagne et… etc.

Au siècle dernier, j’ai eu la chance d’assister – quotidiennement ? – à la réunion ou au conclave du groupe surréaliste. Elle se tenait tous les jours sauf le dimanche au café La Promenade de Vénus, 44 rue du Louvre (aujourd’hui Restaurant Loup).

Les jours de fêtes religieuses, lorsqu’il était fermé, nous nous réunissions au Café Le Financier, aujourd’hui disparu, en face à la Bourse de Paris. Breton – animé de la même obsession que moi – arrivait ponctuellement. Le serveur vigilant, debout, lui servait un ballon de vin rouge. Il le buvait aussitôt, les mains jointes dans le dos, avec ce bruit habituel et quelque peu répugnant, que j’appris plus tard être celui des vrais connaisseurs.

Puis il se contemplait dans le grand miroir – d’une dizaine de mètres de large ? Il n’avait jamais été aussi beau et solennel avec ses magnifiques cheveux blancs. Une amie – que j’avais enchaînée au café, avec son consentement – m’a dit que cela lui donnait envie de l’embrasser partout. Certains n’osaient pas le dire.

En juillet 1960, Breton nous avisait du scandale, du branle-bas et de l’impudence : au salon des poètes de Forges-les-Eaux, Cocteau avait été élu nouveau « Prince des Poètes ».

Un embrouillamini indescriptible pour un prix précédemment reçu par Paul Verlaine et Stéphane Mallarmé. Nous avons tous signé un message cinglant et téméraire. La bagarre et les querelles allaient durer des années ; pendant ce temps, ceux qui aspiraient à une solution pacifique envisageaient d’attribuer le titre à Saint-John Perse. Après avoir reçu le prix Nobel, il le rejeta.

Cocteau déclarerait publiquement à son ancien ennemi, Louis Aragon, le 5 octobre 1960 : « Ce prix cesse d’être ridicule lorsqu’il y intervient des mensonges. » En décembre 1960, Aragon réagit et approuva le prix par un article en première page des Lettres françaises, l’hebdomadaire du Parti communiste.

Avant le vote final, remporté (encore !) par Cocteau, Breton nous a conseillé de voter pour lui, car ce vieux prix a, je dirais, un parfum surréaliste

Cocteau préciserait : « Le titre quelque peu carnavalesque de Prince des Poètes récompense non pas une œuvre d’art, mais un art de vivre. Une bonté sévère, une rigueur inflexible, et cette claudication qui nous accompagne comme Jacob après le combat avec l’ange. » Apprenant la mort de son amie Édith Piaf, il est pris d’une crise de suffocation et meurt quelques heures plus tard d’une crise cardiaque, le 11 octobre 1963.

Sidonie Gabrielle Colette, dite Colette, comptait Jean Cocteau parmi ses voisins. Lorsque je lui rendis visite deux mois avant son occultation, à la demande de Josefina Sánchez Pedreño, elle luttait contre sa polyarthrite. Elle fit son ascension vers le Soleil par la Voie lactée le 3 août 1954, depuis le 9, rue Beaujolais.

Aujourd’hui, la Bibliothèque nationale de France lui rend hommage avec une exposition impressionnante où Jean occupe une place de choix…

Cinq « pseudo-arrabalesques » pour des princes

« …quelle fête, quelle nouba, quelle ribouldingue, d’aimer beaucoup de gens ; comme il est impossible de s’attacher à un seul être ? »

« …parfois, celui qui vous aime vous étouffe ou vous écrabouille plus que celui qui est odieux et méprisant ? »

« …la cruche est si souvent allée à l’eau qu’elle est devenue une pièce de musée ? »

« …je n’ai pas plus de fausse retenue que d’amour propre ? »

« …la pudibonderie ringarde est le masque ou le capuchon le plus transparent des dévoiements camouflés ? »

« …puisque le temps est inerte et immobile, est-ce pour cela que nous trottons ou galopons ? »

« …tant de soudains cinglés de la subversion ? »

Photos

« Colette et Jean », huile sur toile de Fernando Arrabal.
« Colette et Jean », huile sur toile de Fernando Arrabal.
Portrait de Colette en noir et blanc, elle est debout, à demie nue.
Portrait de Colette, exposé à la BNF dans le cadre de l’exposition consacrée à l’autrice « Les mondes de Colette ».
Carte d’identité professionnelle des journalistes de Colette
Carte d’identité professionnelle des journalistes de Colette datant de 1939, exposée à la BNF dans le cadre de l’exposition consacrée à l’autrice « Les mondes de Colette ».
Fernando Arrabal a visité l’exposition « Les mondes de Colette » à la BNF (Bibliothèque Nationale de France). Il pose devant un grand portrait de Colette en noir et blanc.
Fernando Arrabal a visité l’exposition « Les mondes de Colette » à la BNF (Bibliothèque Nationale de France).

Les mondes de Colettes

Exposition à voir à la BNF (Bibliothèque National de France, site François Mitterrand), du 23 septembre 2025 au 18 janvier 2026.