Dans la nuit du 9 au 10 septembre, une vingtaine de drones russes se sont introduits dans le ciel polonais. C’était l’une des attaques les plus massives depuis le début de la guerre en Ukraine.
Pour les intercepter, Varsovie a mobilisé un dispositif digne d’une opération militaire majeure : chasseurs F-16 polonais, F-35 néerlandais, avion de reconnaissance AWACS italien, ravitailleur de l’OTAN.
Un arsenal aérien coûteux et complexe pour tenter de neutraliser des engins qui, pour la plupart, ne valent pas plus de dix mille euros l’unité.
Le résultat fut médiocre : quatre drones seulement furent abattus. Par combien de missiles valant plusieurs centaines, voire millions de dollars ?
Nous n’avons pas cette information.
Nous savons que plusieurs drones ont poursuivi leur route, certains s’écrasant à plusieurs centaines de kilomètres de la frontière ukrainienne, en plein territoire polonais.
C’est là toute l’essence de la guerre asymétrique d’aujourd’hui : pour Moscou, cette attaque a coûté des miettes ; pour l’Europe, elle a consommé des missiles hors de prix, du carburant aérien, des heures de vol, une tension opérationnelle qui épuise les équipages et les stocks.
Cette équation n’est pas tenable dans la durée : quelques salves en réponse à des attaques de drones russes – même dépourvus de charges explosives – suffiront à éroder les systèmesde défense aérienne de l’OTAN, à entamer les stocks d’intercepteurs, et à rapprocher les alliés du moment où toute réaction sera compromise.
C’est cette vulnérabilité de l’Occident que Poutine voulait voir et exposer au monde.
Mais ce qui est le plus frappant n’est pas seulement l’ampleur de l’incident : c’est la réaction des partenaires de l’Ukraine, confuse, prudente, hésitante.
Après quelques communiqués et une réunion d’urgence, la ligne officielle fut de minimiser l’événement, comme si admettre sa gravité revenait à reconnaître une faiblesse trop embarrassante.
Washington garda le silence, fidèle à sa ligne consistant à ne pas « escalader ».
Et l’OTAN se borna à rappeler qu’elle restait vigilante, sans annoncer de mesure nouvelle.
Rien, dans cette séquence, ne peut faire croire à Moscou qu’une limite a été franchie ; tout, au contraire, l’encourage à recommencer.
Quelques jours plus tard, un drone russe survola la Roumanie.
Cette fois, la réaction fut encore plus déconcertante : il n’a pas été abattu.
Bucarest annonça qu’il avait simplement quitté l’espace aérien et repris sa route vers l’Ukraine.
Autrement dit, les « partenaires » de l’Ukraine ont préféré qu’il aille finir son sale boulot et exploser quelque part à Odessa ou ailleurs, plutôt que de l’intercepter dans le ciel roumain.
Derrière les mots lisses du communiqué, le cynisme est glaçant : pour éviter de provoquer la Russie, on laisse le danger continuer sa mission et frapper les Ukrainiens de l’autre côté de la frontière.
Aux yeux de Moscou, le signal est clair : l’Europe accepte que l’Ukraine serve de tampon sacrificiel, que la menace soit tolérable.
Le plus ironique est que la Pologne s’apprête à envoyer ses officiers en Ukraine pour apprendre des Ukrainiens comment intercepter les drones.
Après trois ans et demi de guerre totale à la frontière polonaise, ni Varsovie ni l’Alliance n’ont encore développé de doctrine robuste ni formé des unités capables d’appliquer ce que les courageuses et efficaces brigades ukrainiennes accomplissent chaque nuit.
Et c’est à Kyiv, harassée par la guerre, qu’on demande de dispenser des formations, d’organiser des démonstrations, de partager ce savoir précieux acquis au prix du sang de leurs camarades tombés au combat, en l’absence d’une aide occidentale suffisante.
Ainsi, les Ukrainiens, en plus de défendre leur pays, devront encore former les membres de l’OTAN qui refusent de les intégrer pleinement dans leur Alliance.
Le comble du cynisme.
Les Européens ont besoin de ce savoir si précieux face à la multiplication des provocations russes.
Il faut regarder la réalité en face : Poutine n’a ni les moyens ni probablement l’intention de lancer une attaque directe contre l’Europe.
Ce qu’il veut, c’est la peur.
Chaque drone, chaque missile, chaque violation de l’espace aérien tient lieu d’avertissement :« Vous n’êtes pas en sécurité, gardez vos armes pour vous ».
C’est un calcul froid : en obligeant les Européens à dépenser leurs propres missiles, en saturant leurs défenses, il les pousse à reconsidérer l’aide militaire envoyée à Kyiv.
Il ne sera pas surprenant que, prochainement, certains responsables européens ou membres de l’Alliance commencent à dire qu’il faut ralentir les livraisons pour l’Ukraine, qu’il faut penser à leurs stocks, qu’il faut « préserver la dissuasion ».
C’est exactement ce que cherche le Kremlin : réduire le flux d’aide, affaiblir les forces armées ukrainiennes, préparer le terrain pour l’offensive décisive dont l’objectif ultime reste inchangé : la prise de Kyiv, la mise au pas de tout le pays, l’effacement de l’Ukraine libre.
Face à cette stratégie, l’Occident n’a que deux options : soit il prend enfin son courage à deux mains et frappe les sites de production et de lancement de drones et de missiles en Russie, avant que ceux-ci n’épuisent les stocks occidentaux et ne fassent de l’Europe un spectateur désarmé ; soit, s’il n’ose pas franchir ce pas, il doit fournir à l’Ukraine les moyens de le faire : missiles de longue portée, munitions en quantité, drones de frappe, mais aussi protection aérienne intégrée, fermeture du ciel ukrainien par les avions alliés.
Il n’y a plus d’entre-deux possible.
Chaque jour d’hésitation est une victoire pour Moscou, chaque silence renforce l’étau que le Kremlin rêve de refermer sur l’Ukraine.
Une seule question demeure : où ces engins se dirigeront-ils la prochaine fois, dans quel pays et en quelle quantité ?
Moscou a tout le choix : Norvège, Finlande, pays baltes, Roumanie, Pologne…
Quand ils reviendront, ils seront peut-être plus nombreux, plus chargés, et peut-être même accompagnés.
Le moment où un drone ou un missile russe non intercepté atteindra sa cible dans un pays de l’OTAN n’est qu’une question de temps.
Et il ne nous en reste plus beaucoup pour faire le bon choix.

Entièrement d’accord avec vous, la meilleure défense c’est encore l’attaque ou le contre-attaque ! Il est évident que les incursions des drones sur la Pologne et la Roumanie ont permis au Kremlin de tester les systèmes de défense de l’OTAN mais également leur degré de réaction. Vu les réponses, très mitigées à ce jour, des pays de l’OTAN, les provocations de Poutine ne vont pas rester là. Elles font part d’une stratégie de déstabilisation de l’Alliance et de la peur que les opinions occidentales peuvent ressentir par la violation de leur espace aérien, de leur sécurité. Si les drones russes parviennent à pénétrer en Pologne sans être interceptés, alors l’escalade pourrait être l’impact de missiles sur le territoire de l’OTAN. Et il n’y a pas que les drones, la Russie est également accusée de perturber des milliers de vols européens par le brouillage des systèmes GPS.
Dissuader l’Occident de s’engager et de soutenir l’effort de guerre de l’Ukraine est le véritable objectif de Poutine, d’autant plus qu’il peut s’appuyer sur les partis d’extrémistes de gauche et de droite pour alimenter les craintes des Européens, davantage préoccupés par leur propre sécurité qu’à aider l’Ukraine.
L’escalade de terreur russe n’est pas prête à s’arrêter si tôt aussi à cause de la dissonance entre alliés de l’OTAN. Donald Trump vient d’affirmer que l’incursion russe de grande ampleur dans l’espace aérien polonais pourrait avoir été une erreur (sic !). Une malencontreuse indication, qu’on pourrait retourner à l’avantage du camp occidental en profitant d’un angle d’attaque à la stratégie russe.
Le débordement des drones russes sur l’Ukraine sur les pays de l’Alliance, l’erreur qui mentionnait Trump, n’aurait plus raison d’exister si l’espace de l’Ukraine était verrouillé contre les attaques de drones et de missiles russes par des systèmes antiaériens.
La protection, a affirmé à raison le chef de la diplomatie polonaise, de l’espace aérien ukrainien constituerait également la première ligne de défense du reste de l’Europe.
Depuis le jour de l’invasion russe, le concept de la zone d’exclusion aérienne a été invoqué. Elle n’a pas abouti en raison des craintes occidentales d’escalade dans la guerre et des menaces de rétorsion russes.
Aujourd’hui la donne a complètement changé, ce sont les Russes qui attaquent et envahissent l’espace de l’OTAN, menaçant l’escalade d’une confrontation généralisée. D’où la nécessité de la prévenir en déployant en Ukraine la zone d’exclusion aérienne, qui sera aussi la nôtre, et en fournissant aux Ukrainiens les moyens pour contre-attaquer et détruire les sites de production et des dépôts militaires de l’ennemi.
La réponse de Poutine ne s’est pas fait attendre. L’incursion en Estonie de trois avions de combat MiG-31 est une flagrante violation de son espace aérien d’une centaine de kilomètres au moins. Une telle attaque sur les positions nord-orientales de l’OTAN, quelques jours après celles en Pologne et Roumanie, est le signe d’une agitation russe qui cache mal la crainte que sa stratégie en Ukraine pour les mois à venir puisse être mise en échec par le système de défense de l’espace aérien ukrainien et par la fourniture de missiles de longue portée, capables de détruire ses moyens offensifs. Au-delà de l’avertissement, Poutine a donc voulu discréditer une fois de plus les défenses de l’OTAN et montrer que le déploiement en Ukraine de la zone d’exclusion aérienne ne protégerait guère son front oriental, les Européens, des attaques ciblées sur ses points plus faibles, les pays baltes.
Rien n’est plus faux. La défense de ces pays est rendue aisée par leur position sur le golfe de Finlande. Sans être des grands stratèges, on comprend combien elle est possible par terre et par mer, ainsi que par la proximité des pays forts de l’OTAN.
Si, comme tout indique, c’est l’OTAN le destinataire du « message » délivré par cette incursion pour prévenir son engagement en Ukraine, alors la contre-attaque dont on a évoqué dans le précédent post, la fermeture du ciel ukrainien aux incursions russes, doit avoir fortement contrevenu les plans de guerre de Poutine.
Rappelons que ce sont les Parlements d’Estonie, de Lituanie et de Lettonie qui ont voté la résolution demandant à l’OTAN d’établir une zone d’exclusion.
Rappelons que c’est Zelenskyy qui a déclaré à ce sujet : « Si vous ne pouvez pas fermer le ciel maintenant, donnez-nous le délai pour le faire. Si vous ne pouvez pas nous le donner maintenant, dites-nous combien de personnes doivent mourir. Dites-moi combien. J’irai compter et j’attendrai ce moment. J’espère que le ciel sera fermé. Si vous n’avez pas la force et le courage de le faire, donnez-moi les avions. Ne serait-ce pas juste ? »
Oui, c’est juste et c’est le moment.