Le rideau du spectacle diplomatique s’est levé à Istanbul le 15 mai.
À l’affiche : une « rencontre historique » entre l’Ukraine et la Russie, la première depuis 2022. À l’arrivée, un décor de négociations sans négociateur russe de premier plan, une proposition de trêve piétinée, et une autre façon de continuer la guerre : cette fois, comme spectacle diplomatique. Loin de préparer la paix, ce moment d’apparente diplomatie n’aura servi qu’à brouiller les pistes et tester, une fois de plus, l’élasticité morale de l’Occident.
Tout commence un peu avant le 9 mai, jour de parade militaire à Moscou. Vladimir Poutine décrète unilatéralement un cessez-le-feu de trois jours, ce qui ressemble moins à une ouverture vers la paix qu’à une mise en scène : Poutine veut sa fête sur la Place rouge sans dérangements, tout en préparant l’intensification des frappes sur Kharkiv, Dnipro ou Odessa dans les heures suivantes.
En réponse, les dirigeants des quatre puissances européennes – en visite à Kyiv aux côtés de Volodymyr Zelensky – lancent un ultimatum au Kremlin : trente jours de trêve, sous peine de sanctions renforcées. Ultimatum validé par Donald Trump lui-même.
Poutine, dos au mur diplomatique, propose alors une rencontre bilatérale avec l’Ukraine, le 15 mai à Istanbul. Pure manœuvre de diversion, mais qui relance l’illusion d’un processus de paix. Trump, se jette sur l’occasion, force les Ukrainiens d’accepter « IMMÉDIATEMENT ».
Le président ukrainien lance un défi à Poutine personnellement, sans illusions, mais avec stratégie : se montrer disponible pour la paix, éviter de porter le chapeau de l’intransigeance. Il le fait sans illusions, sans grandes marges de manœuvre. Il l’a fait surtout seul. Car les Occidentaux, tout en soutenant Kyiv, retardent l’application des sanctions promises et tellement nécessaires contre la Russie, que l’impunité encourage.
A Istanbul, Poutine brille par son absence, après avoir tenu en haleine les commentateurs occidentaux, qui tergiversaient vainement : « Qu’adviendra-t-il, si Poutine se présente face à Zelensky ? ». « Rien » était ma réponse « Car Poutine n’a jamais prévu d’aller à Istanbul » .
Il mande Vladimir Medinsky, ancien ministre de la Culture, simple ventriloque du Kremlin, fervent théoricien du « monde russe », et négationniste assumé de l’identité ukrainienne.
Medinsky, ukrainien d’origine, un faux doctorat en poche, présidait une délégation russe au début de l’invasion de 2022, lors de la rencontre in extremis entre les agresseurs et les agressés à Istanbul, sans succès. C’était un présage.
En face, Zelensky dépêche Rustem Umerov, le Ministre de la Défense, figure discrète mais redoutablement compétente, parlant couramment russe, ukrainien, turc et anglais. Un avantage tactique, dans ce type de négociation à haut risque.
La réunion du 16 mai fut courte. Un échange de mille prisonniers contre mille fut conclu. Une réussite humaine immense pour les Ukrainiens, qui ne se fatiguent pas de dénoncer, sans réponses ni réactions, les tortures russes contre les prisonniers ukrainiens, civils ou militaires. Ce sera tout, pour Istanbul.
Comme si elle avait gagné la guerre, la Russie reposait des conditions intenables : reconnaissance des gains territoriaux russes, neutralisation militaire de l’Ukraine, retrait des forces ukrainiennes des quatre régions occupées, préalable à toute pause. Bref, tout céder d’emblée, pour mériter le droit de négocier. Mais négocier quoi ?
Face au refus des Ukrainiens, les menaces fusent : « Vous perdrez plus, y compris les membres de vos familles »
Pendant ce temps, les frappes russes se poursuivent et visent surtout les civils.
Et Trump, dans tout cela ? Le président américain valide « la première manche » vers le processus de la paix imaginaire. Fort des 4000 milliards de dollars de « deals » conclus avec la péninsule arabique, la guerre en Ukraine irrite Trump. Il veut en finir. Peu importe le sacrifice de la nation ukrainienne.
Il annonce, avec son écriture habituelle, tout en majuscules, qu’il appellera tour à tour Poutine et Zelensky le 19 mai, pour « mettre fin au bain de sang ». L’intention est floue, sans aucun projet sérieux. Aveuglé par sa confiance en lui-même et sans voir le ridicule dans lequel Poutine l’a plongé depuis son élection. Trump ne cherche pas à négocier la paix, mais à faire des deals.
Son silence sur les frappes russes, sur les nombreuses victimes civiles, son refus de désigner un agresseur clairement, sa proximité idéologique avec l’autoritarisme poutinien en disent long.
En vérité, ces négociations n’en sont pas. Ce sont des outils : pour Poutine, un moyen d’affaiblir le soutien occidental à l’Ukraine ; pour Trump, une vitrine ; pour Erdogan, un jeu d’équilibre géopolitique.
Seul Zelensky cherche réellement une issue aux massacres que subit sa population depuis plus de dix ans, dont trois de guerre totale. Avec peu de cartes, jouant à front renversé, ce n’est pas un hasard si l’Ukraine tient toujours.
Mais cette tenue a un prix. Car derrière ce simulacre de diplomatie, un constat s’impose : l’Ukraine reste seule à défendre les principes que d’autres proclament. La paix, la souveraineté, la justice, toutes mises entre parenthèses à Istanbul, au nom d’une « realpolitik » qui n’est que lâcheté maquillée.
Tant que les puissances occidentales affecteront de tenir le bourreau pour un négociateur, tant qu’elles chercheront la paix pour la paix, cette guerre se prolongera. Non que la paix soit impossible. Encore faut-il que la condition première de la paix ne soit pas forclose : nommer le crime, refuser de négocier avec celui qui l’ordonne. Et agir par la force.