Il y a dans le vacarme diplomatique autour de négociations et de cessez-le-feu en Ukraine une part de mensonge. Un mensonge confortable, mais vide de sens.

Car Vladimir Poutine ne peut pas arrêter cette guerre. Et surtout : il ne le veut pas. Deux raisons – l’une économique, l’autre sociale – rendent cette évidence implacable.

La Russie d’aujourd’hui survit par sa guerre. L’économie civile s’est effondrée sous le choc des sanctions et des ruptures de chaînes d’approvisionnement. L’inflation dépasse les 10 %, les taux d’intérêt atteignent 20 %, et les prévisions de croissance ont été divisées par deux pour 2025, selon Reuters.

Les secteurs civils (automobile, aéronautique, technologie, agriculture) s’éteignent les uns après les autres.

Seul le complexe militaro-industriel fonctionne encore, absorbant plus de 6 % du PIB et employant près de 20 % des travailleurs de l’industrie. Mais il s’agit d’un moteur déficitaire, qui ne produit aucune richesse durable. La Russie est devenue une économie de siège, dont l’unique respiration est la guerre. Si Poutine l’arrêtait, il n’aurait plus rien à offrir à son peuple ni à son élite.

La deuxième raison, moins visible, surtout depuis l’étranger est sociale. Elle est peut-être plus dangereuse encore. Car que faire de ces centaines de milliers d’hommes envoyés au front ?

Leur mission n’a jamais été de revenir, mais de nourrir par leur mort un système cynique où l’argent du contrat militaire permet à la famille de survivre un peu moins mal. Comme l’a résumé un analyste russe : « La guerre, c’est la première fois qu’un paysan sibérien a pu offrir un frigo neuf à sa femme. »

Mais si la guerre s’arrête, ces hommes rentrent. Et avec eux, des blessures, visibles et invisibles. En Russie, il n’existe pas de structures pour soigner le trouble de stress post-traumatique. Contrairement à l’Ukraine qui, en plus de ses programmes de soutien psychologique aux victimes de guerre, bénéficie des aides canadienne, britannique ou baltes pour la réhabilitation et accompagnement.

La Russie ne peut compter ni sur la Chine, ni sur l’Iran, ni sur la Corée du Nord pour financer des cliniques ou former des psychologues. Les chiffres sont implacables : selon les estimations, près d’un vétéran russe sur cinq souffre de TSPT, et déjà plus de 100 morts ou blessés civils ont été causés par des soldats démobilisés et violents dans leurs villages.

Arrêter la guerre, pour Poutine, ce serait réintroduire dans la société cette masse d’hommes désœuvrés, humiliés, sans repères, et souvent radicalisés. Des hommes pour qui la guerre a donné un sens – celui de tuer – et qui n’en trouveront pas d’autre. C’est la promesse d’une Russie transformée en champ de violence généralisée, domestique et communautaire. Voilà pourquoi le Kremlin ne veut pas « geler » le conflit : le gel, c’est la gangrène sociale.

Les illusions diplomatiques ne font qu’aggraver la situation. Peskov lui-même l’a reconnu récemment : « Une rencontre entre Poutine et Zelensky n’est pas prévue. Pour qu’elle ait lieu, il faudrait d’abord négocier un accord final. »

Ce texte serait, pour la Russie, l’acte de capitulation de l’Ukraine. Mais l’Ukraine ne capitulera pas. Cette simple phrase devrait suffire à clore le débat.

Pourtant, l’Occident continue de s’épuiser dans le vide, à tenter de mettre à la table de négociation un homme qui ne veut pas négocier.
Est-ce ignorance ? Ou cynisme ? L’un comme l’autre sont mortels. 

« Le plus grand péché des politiques, écrivait Romain Gary, est de confondre les mensonges de leurs discours avec la vérité de leurs actes. »

La vérité est ailleurs. Elle tient dans un proverbe ukrainien : « Нам своє робить » (« Nous avons notre chose à faire »). Les Ukrainiens savent que la guerre ne finira que par la destruction de l’ennemi. Ils suivent leur plan, avec ou sans leurs partenaires.

Et ils avancent méthodiquement : en deux semaines, 17 raffineries russes ont été touchées, détruites ou gravement endommagées – signe d’une stratégie de longue haleine visant à priver le Kremlin de son oxygène économique. Parallèlement, Kyiv développe ses propres missiles de longue portée. Le dernier-né, le Flamingo, a déjà frappé la Crimée.

C’est là la seule réalité : une guerre qui continue, non pas parce que l’Ukraine la veut, mais parce que la Russie ne peut pas s’arrêter. Et une Ukraine qui poursuit son œuvre, méthodiquement jusqu’à la victoire, plus que jamais possible.