Ce 24 août, comme tous les ans depuis 1991, l’Ukraine célèbre son indépendance.
Mais après trois ans et demi de guerre, qui coïncident justement avec ce jour, cette fête nationale, loin d’être une commémoration routinière, est vécue par les Ukrainiens comme un moment d’unité et de confirmation de leur foi dans la victoire sur l’agresseur barbare.
Ils savent qu’il n’y a pas d’autre solution.
Pour bien des nations, l’indépendance n’est qu’un mot, une date figée dans le marbre d’un calendrier, marquée par habitude plus que ressentie.
Pour l’Ukraine, elle est une expérience vécue dans la chair, un héritage conquis dans la douleur et défendu chaque jour, aujourd’hui encore, les armes à la main, au prix du sang et du courage.
L’histoire de l’Ukraine et de sa soif de liberté n’est ni une invention ni un besoin récent.
Dès le XVIᵉ siècle, les cosaques de Zaporijjia affirment leur besoin d’indépendance. Installés sur les rives du Dnipro, ils fondent une société militaire et politique originale : la Sitch.
Élus par leurs pairs, leurs chefs rendaient des comptes à une assemblée populaire. Cet embryon d’État, fragile mais réel, portait déjà l’idée d’une liberté ukrainienne.
En 1918, après l’effondrement des empires à la fin de la Première Guerre mondiale, l’Ukraine proclame la République populaire d’Ukraine. Pour la première fois, un État moderne et indépendant de son voisin oppresseur prend forme.
Il se dote d’institutions, d’une diplomatie et d’une armée.
Cette Ukraine libérée ne survivra pas à la guerre civile ni à la poussée impériale des bolcheviques.
Cette brève période demeure fondatrice : elle a démontré que l’Ukraine pouvait exister politiquement, indépendamment de la Russie.
En 1991, l’histoire semble enfin donner raison à cette longue aspiration.
Le 1er décembre, 92 % des Ukrainiens votent pour l’indépendance vis-à-vis de l’URSS et de la Russie.
La Crimée et le Donbass choisissent eux aussi de rester dans la nouvelle Ukraine, dans ses frontières héritées de la Seconde Guerre mondiale.
Kyiv redevient capitale d’un pays libre. Mais cette liberté, Moscou ne l’a jamais digérée.
Trente-quatre ans plus tard, l’Ukraine célèbre son indépendance sous les attaques permanentes de drones et de missiles russes.
Mais l’État ukrainien demeure libre, et son drapeau bleu et jaune flotte aujourd’hui sur tout le pays, hors les 19 % de territoire temporairement occupés, dont 7 % l’étaient avant 2022.
Depuis son arrivée au pouvoir, Vladimir Poutine poursuit un seul objectif : réintégrer l’Ukraine dans l’orbite russe. L’Ukraine doit redevenir une partie de la Russie elle-même.
Tout son discours, toutes ses décisions, toutes ses guerres obéissent à cette logique.
En 2014, l’annexion de la Crimée inaugure une stratégie offensive. La guerre dans le Donbass, sans réponse occidentale à la hauteur, l’assoit dans son mépris du droit international et confirme qu’il a raison.
En février 2022, l’invasion totale achève de le prouver : Poutine ne négocie pas, il annexe.
Pourquoi une telle obsession ? Parce que la Russie se sait déracinée. Son récit national plonge ses racines dans la Rus’ de Kyiv, ce premier État médiéval dont Moscou s’est proclamée l’héritière. Perdre l’Ukraine, c’est perdre ce socle historique. Retrouver Kyiv, c’est se « reconnecter » à des origines que le Kremlin ne peut accepter de voir incarnées par un autre peuple.
Derrière la propagande, il y a une logique de survie impériale : sans l’Ukraine, la Russie de Poutine n’est plus un empire, seulement une puissance régionale en déclin.
« Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire. » – écrivait en 1997 Zbigniew Brzeziński, conseiller à la sécurité nationale des États-Unis.
Voilà pourquoi Poutine ne s’arrêtera pas. Il se croit investi d’une mission historique : faire renaître la grande Russie.
Voilà pourquoi un cessez-le-feu éventuel ne sera qu’une pause tactique.
Voilà pourquoi toute négociation qui n’aboutirait pas à la soumission de Kyiv est, pour lui, une perte de temps.
C’est ici que se dévoile la myopie de Donald Trump. Pour lui, la guerre en Ukraine devrait se terminer au plus vite et aux conditions d’une Russie qu’il imagine puissante.
Il croit qu’une négociation entre deux hommes, chefs de deux états qui « se chamaillent » pourrait suffire.
Et pourquoi Poutine, qui incarne le leadership rêvé de Trump, refuserait-il un bon « deal » ?
Le président américain le plus stupide de l’histoire de son pays, est prêt à attendre, tel un amoureux transi, que l’objet de sa vénération cède, alternant bâton et carotte.
L’Ukraine ne compte pas pour Trump.
Elle devrait, selon lui, céder et abandonner une partie de ses terres pour le bien du futur Prix Nobel de la paix tant rêvé et je pense inaccessible.
Dans son adoration aveugle de Poutine, il ne veut, mais surtout ne peut voir la réalité : Poutine ne cessera pas la guerre tant que son objectif n’est pas atteint.
La logique du promoteur immobilier raté passe à côté de la réalité : Poutine n’a pas de prix à marchander, seulement un objectif à atteindre – reprendre Kyiv, à tout prix.
Sinon, la guerre continuera.
Croire le contraire, c’est ignorer la nature de l’agression russe. Poutine ne cherche pas la paix : il cherche une victoire existentielle pour lui.
Face à cela, l’Occident n’est pas aveugle mais hésitant. Les Européens comprennent le danger, mais leurs divisions internes, leurs crises sociales et la peur de l’escalade freinent leur engagement. Moscou exploite ces faiblesses : manipulation de l’opinion, guerre informationnelle, instrumentalisation des extrêmes politiques.
Le plan de Poutine devait réussir.
Il avait tout prévu, sauf la résistance ukrainienne.
Il n’avait pas étudié l’histoire de l’Ukraine.
Pas plus que les dirigeants du monde libre, qui n’ont pas compris la soif de liberté de ce peuple ayant traversé des siècles d’oppression sans jamais perdre sa langue ni sa culture.
Personne n’avait anticipé qu’une petite nation choisirait de se battre coûte que coûte.
Tous ont sous-estimé Volodymyr Zelensky, acteur, entrepreneur, devenu président – capable de galvaniser son peuple et de convaincre les dirigeants occidentaux de ka nécessité absolu de leur engagement.
Par cette force inattendue, l’Ukraine a contraint les Russes à l’échec et l’Occident à s’organiser.
Pas toujours avec cohérence, mais suffisamment pour éviter sa chute immédiate.
L’Ukraine vit aujourd’hui son ultime bataille pour l’indépendance.
Elle ne peut la perdre.
Derrière elle, il n’y a ni plan B, ni refuge.
Chaque jour de résistance ukrainienne repousse l’inévitable : le moment où il faudra s’engager pleinement.
Il n’y a pas d’alternative.
Si l’Ukraine cède, c’est l’ordre international qui s’effondre, laissant place au règne des dictatures impitoyables.
C’est ce choix qui se joue aujourd’hui, à Kyiv, sur les lignes de défense du Donbass et sous les bombes qui tombent sur Kharkiv.
