L’Occident sait que c’est bien la Russie qui a envahi l’Ukraine. Il sait que cette guerre n’est pas un « conflit régional », mais une tentative de destruction d’un État souverain par une puissance nucléaire. Il sait aussi que la violence déployée par Moscou – bombardements massifs de civils, usage d’armes chimiques, déportations d’enfants, désinformation systémique – dépasse les bornes du tolérable.
Et pourtant, il hésite encore. Armer l’Ukraine, oui, mais à reculons, avec parcimonie. Toujours trop tard, toujours trop peu, toujours sans atteindre l’étiage qui rendrait ce soutien pleinement efficace.
Depuis 2022, les États-Unis ont engagé environ 135 milliards de dollars d’aide, dont la moitié en équipements militaires. L’Union européenne a formé plus de 100 000 soldats ukrainiens, livré des chars, des missiles, des drones, des obus. Mais cette aide, si massive qu’elle paraisse, est scandée d’attentes, de revirements, de retards.
Ce que l’on redoutait le plus est arrivé : début juillet, les États-Unis ont bloqué les livraisons militaires déjà en Pologne sur la frontière avec l’Ukraine, et destinées au Front. Le Pentagone a parlé d’un ajustement logistique, lié à des procédures d’inventaire, pas de décision politique. L’administration américaine assure ne pas avoir été mise au courant et promet de procéder à des vérifications.
Mais sur le terrain, le manque de munitions et de missiles de défense aérienne est criant. Il se traduit par la multiplication des pertes humaines, le pilonnage des villes et des villages ukrainiens attaqués jour et nuit avec une force redoublée par l’armée russe.
Le ciel ukrainien reste ouvert aux missiles.
Les avions promis n’arrivent qu’au compte-goutte.
Les systèmes de défense aérienne sont toujours insuffisants.
Comme si l’Occident s’ingéniait à adopter deux postures contradictoires : aider sans s’engager, soutenir sans provoquer.
Dès les premières semaines de la guerre, les Ukrainiens ont réclamé une zone d’exclusion aérienne. En vain. Car derrière les discours de solidarité des partenaires occidentaux se cache une peur plus grande que les bombes : celle de l’escalade nucléaire.
Depuis deux ans, le Kremlin joue de cette crainte ouvertement. Il modifie d’une manière théâtrale sa doctrine militaire pour élargir les conditions d’usage de l’arme nucléaire à toute « menace existentielle » – une expression vaste et imprécise. Il parle d’apocalypse pour mieux paralyser.
Cette stratégie de menace produit des effets tangibles : l’absence d’avions de combat en nombre, le refus de livrer en quantité les missiles à longue portée, les « lignes rouges » sans cesse déplacées. Elle paralyse l’action au moment où la seule vraie stratégie, celle qui aurait une chance de stopper la guerre, serait de fermer le ciel ukrainien et d’armer l’Ukraine en vue d’une vraie supériorité militaire, d’une vraie victoire, tant les armements occidentaux surclassent les arsenaux russes. Pour l’heure, livrés en nombre limité, ils permettent de résister, pas de vaincre.
Il faut souligner le paradoxe : alors que les capitales occidentales multiplient les discours sur la menace russe, elles semblent plus déterminées à se préparer à une future guerre qu’à stopper celle qui se joue hic et nunc.
Les chefs militaires européens évoquent une possible confrontation d’ici cinq à dix ans avec la Russie. La Pologne se réarme à marches forcées. L’Allemagne sort de sa torpeur stratégique. La Finlande, désormais membre de l’OTAN, durcit ses frontières. En France, le général Burkhard, chef d’état-major des armées, alerte sur la persistance de la menace russe, malgré le blocage que lui oppose depuis trois ans l’Ukraine.
Et pourtant, nonobstant cette juste vision des choses, l’Ukraine en feu et en sang en ce moment même, reste reléguée à l’arrière-plan. On parle de la guerre à venir, mais on regarde à peine celle qui est en cours. On se projette sur des champs de bataille imaginaires, alors qu’un peuple européen lutte pour sa survie et la liberté du Vieux Continent à trois heures d’avion de Paris.
Plus encore : pendant que les généraux s’exercent à la guerre théorique, que les ministres s’échangent des inquiétudes, la Russie continue son œuvre de destruction. En Ukraine, bien sûr, mais aussi ailleurs : cyberattaques, sabotages, incendies criminels, campagnes de manipulation dans les opinions publiques européennes. Le chancelier allemand Friedrich Merz l’a reconnu récemment : « La Russie mène déjà une guerre hybride contre l’Allemagne. »
Il serait facile de blâmer la prudence, de moquer les lignes rouges, de dénoncer l’hypocrisie. Mais ce serait trop simple. Car ce n’est pas seulement une question de courage politique, c’est une question de vision historique.
Nous vivons encore dans l’illusion que la guerre peut être contenue. Que l’Ukraine est un tampon. Qu’il y a un « après » possible, qu’on pourra reprendre langue avec Moscou.
Ce raisonnement est non seulement naïf, il est tragique. En refusant de mettre toutes nos forces dans la bataille ukrainienne, nous prolongeons la guerre, nous amplifions les souffrances des Ukrainiens, et nous laissons à la Russie le temps de s’organiser encore mieux. Ne pas armer l’Ukraine aujourd’hui, c’est préparer le terrain à une confrontation plus directe, plus coûteuse, plus sanglante, demain.
Cette guerre totale contre l’Ukraine, que certains continuent à désigner par le mot « conflit » – un mot qui minimise le sens tragique de l’événement – pose une question que l’Europe repousse depuis trop longtemps : veut-elle seulement survivre dans les marges d’un monde dominé par la force, ou exercer une influence réelle, stratégique, fondée sur des valeurs et une capacité d’action ?
Armer l’Ukraine, ce n’est pas seulement soutenir un pays martyr. C’est choisir de faire exister une Europe qui ne soit pas le ventre mou de l’histoire, mais sa colonne vertébrale. Le moment est venu d’abandonner l’illusion du contrôle sans engagement, de la paix sans effort, de la stabilité sans audace. Car la vraie ligne rouge n’est plus en Ukraine. Elle est ici, chez nous. Elle traverse nos parlements, nos rédactions, nos chancelleries.
Si l’on devait résumer l’enjeu d’une phrase, ce serait celle-ci : mieux vaut combattre la Russie aujourd’hui aux côtés des Ukrainiens, que devoir l’affronter demain avec les mêmes Ukrainiens enrôlés de force dans l’armée russe comme chair à canon.
Cela ne nécessite ni slogans, ni déclarations d’intention. Cela nécessite des avions. Des missiles. Et une décision claire, rompant avec l’illusion qu’une guerre peut se jouer à nos portes sans que nous y prenions part sinon à la marge. Cela, en d’autres temps, s’est appelé la non-intervention. C’était en Espagne. On sait comment cela s’est terminé.
Ce temps-là, ce temps des barbares ne peut faire retour. À nous de choisir si nous voulons encore l’ignorer.
Agir maintenant. Sauver l’Ukraine, c’est sauver l’Europe.

Entièrement en adéquation avec votre article. L’Europe doit porter ses couilles. Qui ne veut pas de guerre !
Tout le monde, mais il y y’a un moment il faut avoir le courage d’agir. La PAIX à un prix et malheureusement passe par un soutien militaire à l’Ukraine. Les belles promesses et la couardise, n’engendrons que l’avancée de la Russie de Poutine.
L’extrême droite contamine l’Europe, preuve inéluctable que la Russie intervient déjà en Europe, et la France est au premier plan. Mais non seulement l’extrême droite Lepenistr, mais l’extrême gauche de Mélanchon. Donc oui la guerre de Poutine est déjà en Europe. Macron, dont je ne suis pas un fervent défenseur. L’avait déjà exprimé, malheureusement il a été accusé de va t’en guerre. Il y’a un moment où il faut malheureusement ouvrir les yeux.
Réglons d’abord la question palestinienne, en suspens depuis 70 ans, et ensuite on pourra s’occuper de la question ukrainienne.