Le procès Pelicot met en jeu un crime perpétré par des hommes qui ne représentent pas qu’eux-mêmes, mais la masculinité en tant que telle ; du moins une certaine forme de masculinité ; la masculinité prétendument naturelle, et donc naturellement héréditaire et autoritaire ; la masculinité fondée sur le machisme et, au-delà du machisme, sur ce qu’on pourrait appeler la « théorie du sexe ».

Pourquoi « théorie » ? Pourquoi pas « réalité du sexe » ?

Eh bien, précisément, parce que le choix de notre sexe ne nous appartient pas, qu’il nous est imposé par d’autres que soi, et cela dès notre naissance, sans qu’il soit question du moindre consentement.

Or le sexe ne définit pas seulement une fonction biologique. Il détermine également une sexualité, autrement dit un certain rapport aux autres. Mais, surtout, il fonde une personnalité – c’est-à-dire un univers mental et sentimental logé au cœur de ce que nous avons de plus intime.

Comment se fait-il que ce fondement ne nous appartienne pas ? Hein ? Comment se fait-il que ce ne soit pas à moi de décider si je suis un mâle ou une femelle, ou même autre chose qu’un mâle ou qu’une femelle ?

Hein ? Pourquoi ne puis-je pas choisir d’être un homme ou d’être une femme ?

Hein ? Pourquoi n’y a-t-il que ces deux options possibles, mutuellement exclusives, selon la théorie du sexe ? Hein ? Pourquoi ne puis-je pas contester le bien-fondé de cette théorie soi-disant naturelle ?

Questions

Ces questions ont commencé à apparaître dans l’espace public il y a un peu plus de cent cinquante ans, avec la publication en 1864 de l’ouvrage de Karl Heinrich Ulrichs, Recherches sur l’énigme de l’amour entre hommes, où il révélait l’existence d’un « troisième sexe » ni masculin ni féminin, ou à la fois masculin et féminin.

Un « troisième sexe » auquel il appartenait lui-même et qui comptait un nombre considérable de personnes. Il se proposait précisément d’en témoigner.

Un « troisième sexe » qui défiait la théorie communément admise et qui valut à son auteur toutes sortes d’ennuis.

Récemment, dans son livre La Loi du genre, Laure Murat a retracé l’histoire de ce concept en étudiant notamment la manière dont il influença Proust.

Une âme de femme dans un corps d’homme

La véritable beauté, selon Proust, ne peut pas être contemplée de l’extérieur, c’est-à-dire par les yeux. « On doit la pressentir et l’aimer comme une âme à travers des ombres infinies, plutôt que de la saisir matérielle[i] ».

Voilà le principe dont découlent les épisodes les plus déterminants du roman proustien : l’épisode de la madeleine ; l’épisode du pavé disjoint ; l’épisode des toilettes publiques du jardin des Champs-Élysées ; mais également l’épisode où le narrateur proustien comprend subitement que le baron de Charlus possède une âme de femme dans un corps d’homme.

Tout comme Albertine, la jeune fille dont il est amoureux, possède une âme de garçon dans un corps de fille, du moins c’est ce qu’il soupçonne.

Mais, lui, en quoi consiste exactement son « âme » ?

Question inévitable, qui préfigure le questionnement actuel, fondé non plus sur le sexe prétendument naturel qui nous est imposé arbitrairement, mais sur le genre – autrement dit sur « l’âme » que chacun se choisit sans avoir à se justifier, de même que le choix d’une religion ou d’une philosophie.

La liberté de genre

Les lois qui garantissent la liberté de pensée, la liberté de culte, la liberté d’expression, ces lois finiront par garantir la liberté de genre, avec tout ce qu’elle implique.

Mais, pour autant, la théorie du sexe ne disparaîtra pas, ni non plus la violence du machisme dont témoigne précisément le procès Pelicot.

La liberté de croire ou de ne pas croire en Dieu, cette liberté n’a pas fait disparaître non plus la violence des intégrismes religieux.

Hélas, le monde est ainsi fait.


1. Marcel Proust, « La beauté véritable », dans Contre Sainte-Beuve, Pléiade, p. 342.

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