Certains êtres ressentent le besoin de croire pour vivre et organiser leur avenir. Mais d’où viennent nos croyances ? Est-ce qu’elles s’imposent à nous ou sont-elles le reflet de notre rapport à la vérité ? Autant d’interrogations qui ne peuvent faire l’impasse sur les croyances religieuses et le rapport au divin. Le mot Dieu vient du latin deus qui dérive lui-même du grec ancien théos, qui n’est autre que l’expression de la divinité dans la mythologie grecque. Cette analyse étymologique permet d’y voir une connotation originelle particulière pour ce terme générique qui occulte à l’évidence bien des significations du rapport à la divinité notamment dans les traditions monothéistes et particulièrement dans la sagesse juive. Or, il faut bien l’admettre, la connaissance de Dieu dans la tradition juive passe aussi par la connaissance de son Nom. Les traducteurs de la Bible ont d’ailleurs eu de grandes difficultés à trouver des terminologies conformes aux intitulés hébraïques des noms divins. Cet objectif s’avère tout aussi complexe quand il s’agit d’aborder des notions philosophiques sur la nature humaine et le rapport au divin dans les sources juives. L’un des premiers textes qui proposent une élaboration systématique d’une philosophie juive est celui de Saadia Gaon (882-942), intitulé le Livre des croyances et opinions. Saadia ben Josef est présenté sous l’appellation honorifique de Gaon, qui signifie « Éminence », titre attribué aux plus grands génies du judaïsme. Il est né à Fayoum en Égypte en 882. Il semble, que très jeune, Saadia se soit fait remarquer par sa grande érudition dans les textes sacrés du judaïsme. Il dirige en 928 la prestigieuse académie talmudique de Sura en Babylonie. À partir de 932, il se consacre à la composition de sa grande œuvre, le Livre des croyances et des opinions, qu’il rédige en arabe sous le titre Kitab al Almanat wal l’tiquadat. Jacques Schlanger, spécialiste de philosophie juive médiévale à l’université hébraïque de Jérusalem, nous propose une nouvelle lecture de ce texte à travers un dialogue imaginaire avec son auteur. Jacques Schlanger s’est basé sur la traduction anglaise contemporaine de Samuel Rosenblatt établie à partir du texte en arabe mais aussi de la traduction médiévale en hébreu de Yéhudah Ibn Tibbon. Schlanger explique que Saadia Gaon tente de répondre aux trois grandes questions suivantes qui fondent l’existence : « D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Ou allons-nous ? » Les réponses de Saadia Gaon tournent autour de Dieu mais ne satisfont pas Jacques Schlanger qui propose de le suivre en le commentant et en y apportant ses propres réponses, celles d’un « incroyant » tel qu’il souhaite se présenter. Il l’écrit ainsi : « Je préfère user du terme incroyant plutôt que laïque, séculier, athée, agnostique. L’incroyant est quelqu’un qui se rapporte à la croyance du croyant, qui se situe par rapport au croyant en cherchant à sa manière à résoudre les mêmes problèmes que le croyant résout dans le cadre de sa croyance » explique-t-il. Ainsi, tout le long de l’ouvrage nous suivons Schlanger qui observe Saadia Gaon déployer sa pensée. Il se noue un dialogue passionnant à travers les siècles entre « deux Juifs, l’un croyant et l’autre incroyant ».
Les croyances du titre du livre de Saadia Gaon sont, pour lui, les bonnes croyances, celles auxquelles il faut adhérer, et les opinions sont les croyances des autres, autrement dit les « mauvaises ». Saadia présente dix croyances qui fondent selon lui la tradition juive. Il s’efforce d’en démontrer leur validité, notamment sur la création ex-nihilo, l’unicité de Dieu, la providence divine, l’existence de l’âme, la nature réelle de la mort, la résurrection et le concept de monde futur, la rédemption du peuple d’Israël, la conduite à avoir dans ce monde-ci avec les notions de récompense et de châtiment. Schlanger les compare aux treize articles de foi de Maïmonide qui, au passage, ne se situent pas dans le Guide des Égarés mais dans son introduction au dixième chapitre (Heleq) du Traité talmudique Sanhédrin.
Le livre de Saadia Gaon est introduit par cette perpétuelle interrogation sur l’idée d’un monde créé ou de l’éternité de ce dernier. Les trois premiers chapitres sont consacrés successivement au Dieu créateur, le second au Dieu Un, le troisième au Dieu providence. Il tend à prouver le bien-fondé de la création ex nihilo, ce qui suppose l’idée d’un créateur dont il faut parvenir à saisir la volonté qui l’amène à créer le monde. Schlanger commente avec une grande finesse et bienveillance les modèles de la création divine présentés par Saadia Gaon en y ajoutant celui d’un monde sans création, ni créateur : « Un monde éternel, un monde dans lesquels les choses se produisent par elles-mêmes, une matière première éternelle sans un créateur qui la mette en action » – un monde que Schlanger décrit comme fermé sur lui-même, dans lequel l’éternité de l’immanence est celle de la continuité. Il trouve l’idée d’un créateur « extrêmement improbable », mais cette croyance ne le dérange pas, explique-t-il, en ajoutant avec une pointe d’humour : « tant qu’il ne se mêle pas de nos affaires ».
Une fois admise pour Saadia Gaon la nécessité de l’existence d’un Dieu créateur, il passe en revue les attributs divins tels qu’ils sont énumérés dans les textes de la Bible. Il conforte l’idée de Dieu Un qui sous-entend son unicité ainsi que l’exprime aussi Maïmonide en son temps. Schlanger s’interroge sur l’idée de Dieu Un et oppose en réponse un passage de l’Exode 15,11 qui semble remettre en cause l’unicité divine à travers l’expression : « Qui est comme toi parmi les dieux ? » entonnée par le peuple d’Israël tout juste sorti d’Égypte en traversant la mer rouge alors qu’il est poursuivi par les armées du Pharaon. L’idée du Dieu Un (YHVH éhad) implique à mon sens l’idée d’un Dieu unique (yahid) mais recouvre une notion plus large, celle de l’unité de Dieu à travers l’unité des attributs divins tels qu’ils sont répertoriés dans la Kabbale. Ils peuvent donner l’impression d’une antinomie dans une approche littérale des textes mais une analyse approfondie amènerait à expliciter cette parfaite organisation de l’unité. Elle reste aussi une option de foi à travers une acceptation de la conciliation des absolus sans pour autant y voir une opposition entre connaissance et foi.
Schlanger profite de ce dialogue pour donner sa propre opinion de Dieu. Il ne croit pas en l’idée « d’un dieu transcendant créateur et encore moins en l’existence d’un dieu providence ». Il explique à propos de l’immanence divine qu’il s’agit de trouver Dieu en soi, et que malgré de multiples efforts, il affirme : « Je n’y arrive pas ou plus justement, je n’y crois pas ». Maïmonide qui se distingue sur cette option de croyance de Saadia Gaon, souligne dans son Guide des égarés (I-50) qu’il ne peut y avoir croyance que lorsqu’il y a eu conception. Il encourage l’homme à élever sa pensée et son degré de spéculation afin de parvenir à concevoir l’immanence divine à travers son unité. Celui qui n’y parvient pas se contentera de la prononcer sans en concevoir l’idée. Mais il faut rajouter que cette immanence n’implique pas un renoncement de la transcendance dans la sagesse juive qui conceptualise ces deux notions dans une parfaite harmonie.
Nahmanide, une autre figure importante du judaïsme médiéval va formuler une approche différente dans son commentaire d’un passage de la Genèse 15,6 où il est précisé qu’Abraham eut foi en Dieu. Nahmanide explique que le mérite d’Abraham ne se situe pas dans sa foi en Dieu mais qu’il s’agit pour lui d’avoir à accepter l’idée que c’est par charité (tsedaka) que Dieu accomplira la promesse d’une descendance. Il est question selon Nahmanide d’un second niveau après la foi : celui de l’accomplissement des commandements. La foi menant à l’action, sans nécessairement que cet élément soit un préalable puisqu’elle est une donnée d’existence en soi depuis Abraham.
Jacques Schlanger, Sur les croyances et les opinions, Un dialogue avec Saadia Gaon, éditions Hermann, 152 pages, 2022.
Je suis heureuse de lire cet article sur le livre de Jacques Schlanger en tant qu’étudiante par la passé de l’Université hébraïque de Jérusalem.
J’achèterai sans doute le livre pour faire des révisions sur cette époque glorieuse de la pensée juive car l’analyse est profonde.
Deux femmes nommées à des postes clés au Mossad. Qof dirigera le département Iran, « domaine d’activité principal » de l’agence eu égard à la menace protéiforme que recouvre ce dernier. Quant à Aleph, elle chapeautera le département du renseignement dont les priorités sont 1) le nucléaire iranien, 2) le terrorisme international et 3) la normalisation avec le monde arabe.
Après 24 heures d’intense polémique autour de sa participation au déplacement présidentiel, le grand rabbin Haïm Korsia, diagnostiqué positif au Covid, ne pourra pas représenter ce sans quoi la France ne serait pas la France lors du voyage de Macron en Pogromie (cf. 1898-1962). Je mets ma main à couper qu’il a imité la signature de sa mère pour le mot d’excuse.