Vendredi, cela fera exactement deux mois que Sajjad et Houtan Kian, le fils et l’avocat de Sakineh, ainsi que les deux journalistes allemands du Bild qui les interviewaient ont été arrêtés. Tandis que nous demeurons toujours dans le flou total quant au sort qui attend les deux premiers, qui sont toujours interdits de tout contact avec l’extérieur et privés d’avocats, nous venons d’être informés d’une bonne nouvelle concernant les deux Allemands. Et une fois n’est pas coutume, elle nous provient de Téhéran.
Ainsi, le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères vient d’annoncer que l’Iran envisageait la libération temporaire des deux journalistes allemands. «Une nouvelle demande (de libération) a été formulée et, compte tenu de la proximité des fêtes de Noël et du Nouvel An, il est possible que les Allemands soient réunis avec leurs familles», a déclaré aujourd’hui Ramin Mehmanparast. Ce dernier a par ailleurs démenti les informations selon lesquelles les deux journalistes étaient accusés d’espionnage, un crime passible de la peine de mort en République islamique.
Même son de cloche de la part du porte-parole du pouvoir judiciaire, Gholam Hossein Mohseni Ejei, qui a rejeté les affirmations de Malek Ajdar Sharifi, le chef de l’autorité judiciaire de Tabriz (nord-ouest de l’Iran), qui avait pourtant affirmé que les deux journalistes allemands s’étaient rendus coupables d’espionnage. Dimanche, le proche Conseiller du président iranien Mahmoud Ahmadinejad, Esfandiar Rahim Mashaeie, s’était déjà déclaré optimiste quant à la possibilité que les deux journalistes soient autorisés à passer les fêtes de Noël en compagnie de leur famille, mais à l’ambassade d’Allemagne à Téhéran, dans une interview au quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Sonntagzeintung. Il avait néanmoins tenu à rappeler que « les deux journalistes ont violé la loi », et qu’« ils sont entrés dans le pays avec des visas de touriste et on travaillé en tant que journalistes », tout en précisant lui aussi que les deux hommes n’étaient pas accusés d’espionnage.
Cette annonce intervient alors que la République islamique d’Iran et les « 5+1 », les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, c’est-à-dire États-Unis, Russie, Chine, France, Grande-Bretagne, plus l’Allemagne, sont réunis depuis hier à Genève pour discuter de l’épineux dossier nucléaire iranien, un dialogue renoué après plus d’un an de rupture. La nouvelle arrive également deux jours après l’appel commun signé dimanche par quatre ex-présidents allemands dans le tabloïd allemand Bild, celui qui employait les deux journalistes, priant l’Iran de libérer les deux journalistes.
Horst Koehler, qui a démissionné de la présidence en mai dernier, a ainsi demandé aux autorités iraniennes de permettre aux deux journalistes de joindre leurs familles pour les fêtes de Noël.
Enfin, Richard von Weizsaecker, président de 1984 à 1994, a lui décrit l’Iran comme un « pays considérable avec une grande et indépendante culture, ainsi qu’une indéniable confiance en soi », appelant ainsi les autorités iraniennes à ne pas se venger sur les journalistes.
Mais pas un mot, pas une phrase, n’ont été prononcées au sujet de Sajjad Ghaderzadeh, Houtan Kian, ou même Sakineh Mohammadi Ashtiani, dont les deux journalistes souhaitaient pourtant recueillir des nouvelles exclusives pour leur tabloïd.
» Cette lettre est une supplication », explique à la Règle du Jeu Mina Ahadi, porte-parole du Comité international contre la lapidation, incriminée par les deux journalistes allemands lors de leurs « confessions télévisées ».« Or les deux journalistes allemands sont tout sauf des criminels. Ils n’ont fait qu’interviewer Sajjad, le fils de Sakineh. Et il ne faut pas s’en excuser! « . Ainsi, la militante des droits de l’homme fustige l’attitude conservatrice du gouvernement allemand dans cette affaire : « depuis le premier jour, l’Allemagne agit de manière conservatrice. Elle n’a pas souhaité dévoiler le nom des journalistes, préférant agir derrière les rideaux de la diplomatie. Mais la diplomatie avec la République islamique, cela ne marche pas. Car il est impossible de leur faire confiance. Regardez, comme pour Sakineh, chaque responsable iranien annonce quelque chose de différent. Ils jouent le même jeu ». Pour Mina Ahadi, les déclarations iraniennes ne sont pas synonymes de libération définitive des journalistes : « à l’instar des randonneurs américains (ndlr: arrêtés en juillet 2009, et dont deux d’entre eux sont toujours derrière les barreaux) qui ont pu voir leurs mères avant d’être renvoyés en prison, la République islamique joue à un « show médiatique » visant à s’acheter une bonne conduite en montrant qu’elle a pitié. Mais les journalistes allemands pourraient eux-aussi être par la suite renvoyés en prison ».
Quel est donc l’intérêt pour Téhéran de détenir deux citoyens allemands? « À travers ces deux journalistes, l’Iran fait pression sur le gouvernement allemand, pour qu’il se taise sur la violation des droits de l’homme en Iran. La preuve: pas un mot n’est dit sur Sajjad, Houtan Kian ou Sakineh. Parce que les Allemands ont conscience que l’évocation de leur nom déplairait à la République islamique et pourrait aggraver le cas de leurs citoyens ». Car selon Mina Ahadi, il n’y a pas que les journalistes qui risquent gros dans cette affaire.« Ce qui est important pour l’Allemagne, c’est la poursuite de ses liens économiques avec l’Iran. Or si le gouvernement allemand et le Bild dévoilaient tout à l’opinion publique, et qu’ils organisaient des manifestations de rue en Allemagne, cela aurait beaucoup plus d’impact sur la République islamique pour obtenir la libération de leurs concitoyens. N’oubliez pas, c’est grâce à la pression populaire que Sakineh est toujours en vie aujourd’hui ».