« Ne croyez pas, essayez » – telle est la doctrine du grand physiologiste William Harvey adoptée par Edward Jenner, un médecin anglais lorsqu’il tente, en 1796, la première vaccination contre la variole sur un jeune patient de huit ans. Près d’un siècle plus tard, en 1879, Pasteur propose d’atténuer en laboratoire la souche virale d’une maladie pour élaborer un nouveau type de vaccination. Il n’est donc plus question comme c’est le cas chez Jenner, d’utiliser une vaccine, version bénigne de la variole, mais de développer des vaccins à travers ce nouveau principe d’un virus atténué artificiellement. Ces grandes avancées de la recherche médicale permettront de déployer un arsenal prophylactique contre les maladies infectieuses. Au milieu du XVIIIe siècle, la moitié des enfants mouraient à moins de 10 ans et l’espérance de vie ne dépassait pas 25 ans. Aujourd’hui, elle est trois fois supérieure et est estimée à plus de 80 ans. La vaccination et la découverte de l’antibiothérapie sont des facteurs majeurs de cette augmentation de l’espérance de vie. En quoi consiste la vaccination ? Il s’agit de générer une protection efficace contre une maladie en injectant un agent infectieux atténué ou inactivé. Cette approche thérapeutique trouve son origine dans le texte biblique à travers un concept hérité de Moïse. On raconte dans le livre des Nombres que des serpents brûlants appelés néhashim sérafim ont mordu les hébreux dans le désert, décimant une partie du peuple à peine sorti d’Egypte. Dieu demanda à Moïse de prendre un bâton et d’y placer à son extrémité une reproduction d’un serpent sans qu’il lui soit indiqué la nature du matériau à utiliser. Moïse choisit un alliage de cuivre appelé néhoshet pour confectionner le serpent – mot dont la racine hébraïque comporte trois lettres, noun, het, shin formant le mot nahash qui signifie serpent. Ainsi, le choix de ce matériau ne s’est pas fait en fonction de ses caractéristiques physiques mais de son appellation en hébreu et donc, par son analogie avec le mot nahash. Moïse souhaitait que dans le remède on retrouve les lettres hébraïques de l’origine du mal. Le néhoshet correspond à l’airain appelé aussi bronze. Celui qui était mordu devait fixer le serpent d’airain placé à l’extrémité du bâton de Moïse pour guérir. Le serpent était donc à l’origine de la morsure et devenait source de guérison. Cette initiative de Moïse a inspiré bien des chercheurs jusqu’à nos jours en infectiologie.
Chaque année, la vaccination évite plus de deux millions de décès dans le monde. Elle a permis l’éradication ou la réduction significative de nombreuses maladies comme la variole, la rage, la diphtérie, le tétanos, la tuberculose, la coqueluche, la poliomyélite, la rougeole, la rubéole, les oreillons, les pneumopathies à pneumocoques, les hépatites A et B et bien d’autres. Il faudrait relire Némésis, l’un des grands romans de l’écrivain américain Philip Roth qui raconte, dans ce texte bref et puissant les ravages produits par une épidémie de poliomyélite dans la vie d’une communauté de Newark en 1944. Ce n’est qu’en 1954, que les premiers essais de vaccination apparaissent et permettent de lutter contre cette maladie. Quand on constate les bénéfices sur l’état de santé des populations à travers le monde on est en droit de se demander pourquoi les Français sont-ils devenus aussi sceptiques à l’égard de cette forme de thérapie prophylactique ? En effet, selon une enquête mondiale publiée par Wellcome/Gallup en 2019, un Français sur trois pense que les vaccins ne sont pas assez sûrs. Il s’agit d’ailleurs de la proportion la plus élevée parmi les populations étudiées. Le programme vaccinal instauré depuis plusieurs décennies a si bien protégé la santé des Français qu’ils ont fini par croire que le risque infectieux n’était plus une vraie menace pour l’homme. La sidération occasionnée par la pandémie de Covid-19 est due en grande partie à cette insouciance face au risque infectieux. La méfiance à l’égard de la vaccination qui prospère dans nos sociétés et qui est relayée par les réseaux sociaux ne tient pas sur des faits scientifiques mais sur des observations factuelles utilisant certaines incertitudes de manière pernicieuse. Il faut au contraire voir une source d’opportunité en chaque crise comme nous l’explique l’historien israélien Yuval Noah Harari. L’épidémie de Covid-19 est une occasion indéniable de faire progresser la recherche sur la vaccination. Deux structures de recherches pharmaceutiques, Pfizer-BioNTech et Moderna, proposent déjà une solution vaccinale moins d’un an après l’apparition de la pandémie. Il s’agit d’une prouesse scientifique incontestable qui concrétise l’élaboration d’un nouveau mode d’action vaccinal, celui de l’ARN messager comme agent antigénique pour développer une immunité contre le Sars-CoV2. D’autres vaccins sont en cours d’élaboration, utilisant d’autres modes d’actions qui seront probablement tout aussi prometteurs. Les études de pharmacovigilance amèneront à évaluer les effets indésirables pour chacun d’entre eux. Mais plusieurs points ne sont pas encore élucidés pour l’instant : la durée de l’immunité, la protection vis-à-vis des formes graves et l’efficacité sur les personnes âgées. Une efficacité à 95% telle qu’annoncée par Pfizer-BioNTech et 94.5% pour Moderna permet d’envisager une protection aussi importante que le vaccin contre la rougeole et serait en mesure de diminuer la transmission du virus si la politique vaccinale est suffisamment conséquente sur tout le territoire. Il faut espérer que cette crise sanitaire engendrera une évolution des consciences sur la perception des vaccins et qu’elle sera aussi l’occasion d’une juste répartition des ressources prophylactiques entre les populations de la planète.