Dans les années 50, le philosophe allemand Léo Strauss l’avait débusqué et nommé avec ironie. En bons Tartuffes, les antivax s’en emparent aujourd’hui par opportunisme malsain. Le reductio ad Hitlerum. Ou comment en 2021 certains en sont arrivés en démocratie, qui garantit pourtant parfaitement la liberté d’opinion à travers la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, à manifester contre la vaccination obligatoire et le pass sanitaire en arborant une étoile jaune sur le cœur. Si dans notre pays qui a connu la rafle du Vel d’Hiv, il y en a qui osent un tel parallèle au nom de leur liberté individuelle, c’est précisément parce que cette sombre période de notre histoire d’une part est révolue, et d’autre part parce qu’elle n’a fondamentalement rien à voir avec les récentes mesures sanitaires prises par le gouvernement.
Rationnellement, on est donc amenés à se demander pourquoi faire une pareille comparaison qui paraît d’emblée absurde. Mais c’est justement quand quelqu’un sait qu’il n’a plus aucun argument sérieux à opposer à son interlocuteur qu’il recourt, par une forme de désespérance insensée, à ce procédé dit du reductio ad hitlerum. C’est-à-dire qu’il va tenter de faire passer son adversaire pour un nazi parce que naturellement personne ne peut, moralement, être d’accord avec un nazi. Réduire son opposant à la position du Mal absolu peut être, à peu de frais, aussi fructueux que ça peut être intellectuellement malhonnête. C’est s’arroger le camp du Bien afin de tenter de renverser réthoriquement la vapeur.
Une parade relativiste qu’il est en plus assez facile d’adopter pour les antivax, la période que nous vivons en ce moment et celle de la Seconde Guerre mondiale pouvant sur la forme présenter certaines similitudes pour des esprits amalgameurs. Tout d’abord, leur caractère exceptionnel où la réduction des libertés est imposée par l’ennemi. Hier, l’Allemagne, la défaite, le rationnement, aujourd’hui le covid, le confinement, le port du masque, les mesures de distanciation physiques, le président Macron qui déclarait en mars 2020 « Nous sommes en guerre ». Par conséquent, on trouve forcément d’un côté les lâches collabos qui se plieraient à la doxa pétaino-macroniste et de l’autre les courageux résistants qui jusqu’au bout se battront contre le joug orwellien d’un supposé nouveau Big Brother qui ne dirait pas son nom.
Et puis il y a le rapprochement obscène qui est établi entre l’interdiction qui était faite aux Juifs de France pendant l’Occupation d’accéder à certains lieux publics et celle dont les antivax prétendent être également les victimes. Est-il cependant besoin de préciser que cela n’a strictement rien à voir : on bannissait honteusement des Français en 40 pour des motifs raciaux, c’est pour des raisons purement sanitaires qu’il nous faut désormais, tous, montrer patte blanche à l’entrée des bars, des restaurants et autres lieux de réunion.
Mais le pire est finalement encore ailleurs dans cette sordide histoire où l’on voit les bas instincts accourir et l’esprit des Lumières insulté. Ceux qui, sans ciller, se comparent aux victimes du régime de Vichy sont exactement les mêmes qui condamnent les autres à la maladie et parfois à mort en refusant de comprendre que les mesures sanitaires prises par le pouvoir sont là pour rompre la chaîne de contamination, alors que le variant Delta qui est beaucoup plus contagieux se propage à toute allure. Sans parler des multiples autres conséquences engendrées par le covid, qu’elles soient d’ordre économiques, politiques ou psychologiques. Cela en dit long sur la vision particulièrement individualiste de la société portée par les antivax, totalement dépourvue des notions de collectivité et d’altérité qui forment pourtant le socle de notre contrat social.
Quand nous entendons dire du mal des juifs, il nous faut dresser l’oreille, nous disait Fanon, on parle de nous. De nous tous, car son contemporain Sartre nous l’a appris dans Réflexions sur la Question Juive : « Le Juif c’est l’autre ». Ceux qui se foutent de ceux qui ont porté l’étoile jaune pendant la guerre, se foutent radicalement des autres dont ils n’ont que faire. Quand on détourne le symbole de la honte humaine à des fins idéologiques, que l’on banalise la Shoah, ce n’est pas seulement à la face de la communauté juive que l’on crache mais à la face du corps social tout entier. Il serait grand temps que les élus de la République le rappellent et réagissent devant un spectacle complotiste aussi indigne. Indigne des valeurs de notre pays où la fraternité est piétinée au nom d’une liberté que certains désirent affranchir de nos principes les plus élémentaires d’égalité.
Tandis que d’autres avaient préféré affronter la première vague de SARS CoV-2 à coup de paracétamol plutôt que de bénéficier d’un traitement non conformiste préconisé par une pointure de la virologie, certains boudent à présent un vaccin révolutionnaire pour lequel ils exigent vingt ans de recul et une confirmation protocolaire de son innocuité.
Si le variant Delta rebat les cartes de la pandémie mondiale, mais aussi celles de la physique des populations, ou encore, d’une façon qui échappe bien davantage à notre contrôle, celles de l’état psychique des individualités qui les composent et décomposent, ce dernier nous oblige à suspendre momentanément le droit d’un subcontinent émergent, tout comme celui d’un autre subcontinent, lui, hyperdéveloppé, à voir ménagées par notre haute diplomatie leurs susceptibilités respectives.
Dans un monde où les gestes barrières s’avèrent incompatibles avec le surpeuplement et la ritualité névrotique inhérente aux civilisations qui en sont les victimes expiatoires, l’augmentation des prix du vaccin par les géants de l’industrie pharmaceutique nous condamne à un isolationnisme contraire à la logique d’une économie de marché mondialisée. Elle alimente en outre la défiance dejà considérable à l’encontre de Big Pharma chez tout décrocheur du wagon de queue de ce superbe engin d’avenir que reste l’Occidorient Express.
À ce compte-là, je peine à accorder aux antivax d’aujourd’hui ma confiance critique, voire un élan de sympathie mâtiné de circonspection que j’ai pu éprouver envers les antiBCG d’antan, adeptes des médecines douces, du fromage de chèvre et de l’autonomie des enfants en bas âge.
La shoatisation de la Solution finale contre le coronavirus révèle, chez ses médiocres architectes, une toute autre dérive débouchant sur un syndrome d’un autre temps qui, hélas, nous rattrape après un demi-siècle de semi-traversée du désert.
Loin de se limiter à légitimer son propre combat par la délégitimation d’un adversaire nazifié, le détournement de l’étoile jaune participe de tout l’arsenal idéologique du négationnisme des premières comme des dernières générations. Il cousine viralement avec ces théories selon lesquelles les Juifs auraient fabriqué de toutes pièces les preuves à charge contre un Troisième Reich innocent des crimes contre l’humanité qu’on lui attribuerait, dans le seul but d’obtenir de la communauté internationale la création d’un État souverain sur leur terre ancestrale, et devrait, à ce titre, tomber sous le coup de la loi.
S’il paraît évident que toute une frange seringophobe de la contresociété antipass fait un blocage sur l’idée de pénétration forcée, force est de constater qu’en son nucléole et à travers son enveloppe nucléaire, la fange antisioniste et permutationniste poursuit sa Descension sur la voie du Grand Renversement telle que, depuis Maurice Bardèche jusqu’à Mahmoud Abbas en passant par notre cher abbé Pierre, emblème prémonitoire de l’intersectionnalité caritative, et anticapitaliste et antidéicide, elle n’eut de cesse que de rafler leur titre de champions internationaux du Martyre aux victimes de la Shoah pour légitimer, non pas une cause étrangère par nature à son bouc émissaire mais, beaucoup plus rêchement, ses propres crimes antisémites, ou ceux de ses ancêtres vénérés.
Bonjour Alexandre,
Je ne pourrais pas mieux dire et, encore moins, en penser.
Bravo pour la qualité de l’écriture et la justesse dans l’analyse.
Bien à toi