On ne parle pas assez des premiers romans. Ils sont pourtant courageux et frondeurs. Courageux car ils portent en eux une haute idée de la littérature, du rôle de l’écrivain et du pouvoir des mots. Frondeurs car ils s’attribuent une mission tout à fait révolutionnaire, à savoir bouleverser notre rapport aux livres. Rien que ça ! Je le sais pour être récemment passé par là : on ne sort pas indemne de l’écriture d’un premier roman. On y met une bonne dose de blessures et de souffrances… On s’y raconte, on s’y noie. Mais, avant toute chose : on cherche à laisser une trace. Avec Les Petits Garçons, Théodore Bourdeau vient de laisser la sienne, romantique, un brin nostalgique, heureuse malgré le temps qui passe et les aléas de l’Histoire. Une belle façon d’entrer en littérature ! Journaliste, jadis membre éminent de l’équipe du Petit Journal (Canal+) et désormais producteur éditorial de Quotidien (TMC), Bourdeau écrit, à trente-huit ans passés, sur une enfance qui pourrait bien ressembler à la sienne. Il signe donc, chez Stock, l’histoire écrite en parallèle, presque en miroir, de deux amis grandissant ensemble et développant une complicité palpable dans une France qui change de siècle. On y trouve un narrateur sensible et maladroit, hédoniste aussi, prêt à découvrir le monde et ses plaisirs comme d’autres traversent une aventure. On suit ce personnage au collège puis au lycée, dans le déploiement de ses spleen adolescents, lors d’un voyage scolaire à Venise, et surtout dans sa découverte du corps des femmes et sa tentative malhabile d’apprivoiser sa propre carcasse changeante. Ce premier tiers du livre, pareil au roman d’apprentissage, se révèle tendre et émouvant. En fil rouge, l’on y découvre également Grégoire, l’ami intime du narrateur. Un enfant brillant bientôt transformé en adolescent surdoué, bien coiffé et carriériste. Dans la vie du narrateur, Grégoire représente une certaine idée de la perfection. Peut-être aussi constitue-t-il également un avant-goût du monde qui vient… Puis, les deux garçons évolueront. Entreront dans le monde du travail et des adultes. Le roman, dès lors, prendra des allures de fable générationnelle bien ficelée, truffée de références et d’expériences propres aux natifs de la fameuse génération Y, née avec Nirvana, le SIDA, les ordinateurs, la fin des idéologies et la crise économique. Si Bourdeau a bien un mérite, c’est ainsi celui de nous plonger dans l’Histoire récente, avec un pas de côté. On trouve dans Les Petits Garçons la chaleur réconfortante de l’enfance, les souvenirs heureux de cours de récréation, l’évocation d’un pays pas encore troublé par les questions identitaires, pas encore en proie à la violence et aux nouvelles règles d’un monde qui change. Puis tout change, comme par glissement… Cela s’entrevoit d’ailleurs, dès les premières pages, par l’évocation du terrorisme qui envahit doucement l’espace du narrateur. Ce dernier ne comprend d’abord pas. Il oublie même. Vit. Puis cela frappe avec récurrence, tout autour de son espace, jusqu’à envahir son quotidien. Des avions frappent des tours à New-York ? Le réel rattrape le narrateur et le sort de sa torpeur. Un fou de Dieu tue des enfants juifs à Toulouse ? C’est tout un pays qui bascule. Soudain, le quotidien perd en insouciance et en légèreté. En roman abouti, Les Petits Garçons n’élude surtout pas cette réalité, elle sert même de toile de fond. Mieux, son auteur réussit là où beaucoup, jusque ici, ont échoué : il met des mots sur ce mal qui ronge notre société, prends garde à ne jamais starifier la figure du terroriste (qui n’a jamais de patronyme). Dans la jolie littérature de Bourdeau, c’est plutôt la vie qui compte. La sienne et les mille histoires, trajectoires et destins alentours…
Les Petits Garçons, de Théodore Bourdeau. Editions Stock. 256 pages, 17.90 €