Qui se soucie de l’élection du prochain bâtonnier du barreau de Paris ? Trop peu de monde hélas en dehors des 22.000 avocats parisiens concernés. Pourtant, l’avocat est avec le journaliste, le seul professionnel indépendant dont le statut est la condition et la garantie d’une société démocratique.
Cette profession étant à part, ses élections professionnelles sont nécessairement particulières. Les 30 novembre et 2 décembre prochains, il se jouera donc quelque chose d’autre que la simple représentation des avocats parisiens pour les années à venir.
Surtout, la justice est au cœur des débats qui agitent la société française.
L’affaire Bettencourt en donne une illustration quotidienne avec une magistrature en guerre au sein d’une même juridiction, soupçonnée de partialité quand ce n’est pas de complaisance. Comment dans ces conditions éviter de reposer l’inévitable, l’incontournable question de l’indépendance du parquet ?
Mardi soir, encore, le président de la République était interrogé à la télévision publique sur son avenir politique et notamment sur sa succession. Il a préféré répondre par son souhait de transformer les tribunaux correctionnels et le juge d’application des peines en juridictions populaires.
Quand le pouvoir politique, au plus haut niveau, place à ce point la justice au rang de ses obsessions, c’est aux avocats de faire entendre et leur voix et le respect des principes fondamentaux. Qui sinon le fera ?
Dans ces circonstances et en ce qui me concerne, la candidature conjointe de Pierre-Olivier Sur et Catherine Paley-Vincent s’est imposée pour ces élections ordinales qui ne seront pas ordinaires.
Je m’attarderai un instant sur le premier, que je connais mieux, pour dissiper un possible malentendu. Pierre-Olivier Sur n’est pas un de mes « camarades », je ne l’ai jamais croisé dans une réunion politique et je ne lui connais pas d’autres engagements que ceux qui découlent de son serment. Pour avoir suivi de près sa campagne, je puis affirmer sans risquer d’être démenti que sa robe est tout à la fois sa seule vocation, sa plus forte conviction et son unique religion.
L’impétrant ne compte évidemment pas que des qualités. Je tiens pourtant à l’heure de la contrition obligatoire et de la modestie forcée, son incapacité à masquer son grand talent pour l’une d’entre elles et non des moindres. A 46 ans, il n’attend de cette élection ni la carrière, ni la reconnaissance, ni les honneurs qu’il n’aurait pu acquérir autrement et qui l’ont déjà tant gâté. En un mot, il aurait beaucoup plus à perdre qu’à gagner dans cette aventure. La campagne acharnée qu’il déploie depuis près d’un an et demi est plus éloquente que n’importe quelle démonstration.
J’ai rejoins Pierre-Olivier Sur autour d’un combat: la mise au ban de la garde à vue sans avocat. Il en a été l’un des précurseurs et la possible victoire qui s’annonce, si elle advenait, lui devrait beaucoup. Avec mon petit « Livre noir de la garde à vue », j’ai contribué à mon modeste niveau à ce débat. Depuis, le Cour européenne des droits de l’homme, le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation ont déclaré cette pratique hors la loi. Mais la réforme qui nous est promise laisse entrevoir de véritables dangers pour les justiciables, à commencer par le régime de l’audition libre que Pierre-Olivier Sur a dénoncé le premier en mettant à profit dans cet exercice, tant l’expérience du praticien que la clarté de l’enseignant.
On doit à la vérité de dire que les combats de la liberté ne lui sont pas venus sur le tard au hasard d’une ambition électorale. Tout jeune avocat par exemple, il devait se porter au secours de son ancien professeur de libertés publiques à sciences-po, sans imaginer que 19 ans plus tard, celui-ci serait élu président de la Guinée. Autre affaire, autre lutte : la reconnaissance du droit des victimes du tortionnaire cambodgien, John Douch, d’où est sorti un grand procès et un très beau livre paru il y a peu sous sa plume[ref]Pierre-Olivier Sur, « Dans les yeux du bourreau », JC Lattès, Paris 2010[/ref].
Mais au-delà de son parcours, il y a les actes dont certains sont révélateurs. Ainsi, il n’est pas neutre d’avoir choisi pour thème de la dernière réunion publique de sa campagne, le « barreau contre les discriminations », démontrant au passage que le barreau a un rôle pionnier à jouer dans une société française qui peine à passer de l’égalité proclamée à l’égalité constatée.
Un mot encore. Cette élection qui va déterminer ceux d’entre les avocats parisiens qui seront amenés à représenter leurs pairs est banale ; peut-être trop si l’on en croit la faible participation qui y est habituellement comptabilisée. Cette banalité ne devrait pas nous conduire à oublier ceux qui, parce qu’ils portent ailleurs, le même titre et proclament les mêmes valeurs sont entravés ou emprisonnés.
Ici à la Règle du jeu, nous savons que le dernier coup porté par un régime iranien qui n’en a jamais été avare, à Sakineh – cette femme suppliciée, jugée et condamnée à la lapidation pour crime d’adultère – a été d’arrêter son avocat Me Houtan Kian à son cabinet, de l’interroger, de le menacer et de l’emprisonner alors qu’il était le dernier lien de sa cliente avec le monde libre. La proposition de transformer le premier des avocats parisiens en une ONG intitulée « prévenez le bâtonnier de Paris » au service des défenseurs dont les droits sont bafoués à travers le monde, a pu faire sourire. A mes yeux, elle suffit à faire du grand avocat qu’est déjà Pierre-Olivier Sur, le grand bâtonnier qu’il aspire à devenir.