Géopoétique
Ému, on écoute l’opus au casque, très fort : ce son, ces jeux littéraires tendres et ces mots ciselés avaient manqué.
Introduction. Intronisation. Abstract de ton oeuvre. Vibration magistrale.
On l’entend avec les tripes, le cerveau, le cœur et l’âme.
Un update pour repartir à nouveau. Après la pause, tu défragmentes et relances de la base Maison-Alfort.
Samples, créations sonores et textes à ta façon, à l’avant-poste de quelque part.
Sentir ce qui vient, ce qu’il faut. L’essentiel est là.
C’est bien toi que l’on retrouve et un peu de nous avec. La nostalgie malicieuse opère à la seconde. Des récits, des personnages, des visages, des univers.
Le titre ? Parfaitement toi.
Le scénario ? Multiple.«
La trace ? Unique.
Toujours pudique tout en livrant tellement : curiosité, gentillesse, et finesse. L’impression d’un long parcours spirituel, spiritueux, contemplatif, sensible.
Dandy ? Bad boy ? Grand public et pointu, toujours entre deux mondes.
L’auteur a ressaisi son stylo à bras le cœur.
Le pilier a visé juste, et de sous-entendus presque dits, tout bas, sans pérorer, sans déclarer, tu contes toutes ces petites chroniques qui font la grande, de long en large, aux bords du cosmos, si proches, si loin, d’un bout à l’Autre, avec un grand ou un petit A. D’amour, de chagrins, de mémoires, de liberté, de politique, en local ou international, de ce qui fait la vie et les souvenirs, ton disque raisonne. Le roi est de retour.
Tu dis que le rap c’est «raconter une histoire».
A cet exercice Solaar excelle, et Claude en est étincelle.
Le reste ? Rien. C’est personnel.
Il y a 25 ans en banlieue nord, première rencontre
Tout a commencé pour moi en banlieue nord, il y a plus ou moins 25 ans. A Taverny, exactement. Une rumeur, une promesse, une surprise, un concert, une magie. Tu avais joué pour nous, qui étions si heureux de compter pour toi. Toi ici et nous là, pour quelques francs, ce fut fou, à cet endroit où se côtoient plusieurs planètes, toi le passeur, qui en avait déjà réconcilié plus d’un. Tu étais déjà si grand qu’il semblait incroyable de pouvoir t’approcher d’aussi près dans le coin. Ce fut une fête, nous étions tous Hemingway.
La Haine
Comme dans un film, un peu plus tard, tu t’associes à La Haine, toi qui en est dépourvu, culte et générationnel. La valeur sûre d’un titre qui pointait là où le mal allait blesser. Une lumière dans ciel brutal faisant taire les clichés sur le rap qui «tache», «violent», «rageux». Tu signes à cette époque, toujours avec l’air un peu absent, parmi les plus justes lignes sur ce qui opérait autour de nous et qui allait laminer les fondations du pacte. Tu saisis la révolte en douceur mais cliniquement, du bouc-émissaire en devenir, tu comprends tout sur ton passage. L’un des rares audibles de combat d’une rive à celle d’en face. Un titre de Panthéon Hip Hop qui revient toujours aux oreilles, surtout en cas d’urgence, en désespoir de cause, pour rebondir. Au milieu du guet, toujours entre deux mondes, se rappeler que jusqu’ici, tout allait bien.
Un concert dans le Caucase
Comme dans un film, un tiers de vie ensuite, je dois t’appeler, pour une idée folle de concert dans le Caucase, un peu midinette, je me dis «aucune chance que tu dises “oui”», ce serait miraculeux. Pourtant, tu seras là, dans cet avion puis près des montagnes, pour chanter un Bouge de là audacieux dans un registre cyrillique, l’année où Guru s’en est allé. Tu comprends encore tout, tu entends tout, l’officiel et l’officieux, concerné et sans frime. Il s’agissait de déplacés. Nous avions fait le déplacement. Un Woodstock près de l’Abkhazie. Le poids des mots, le choc de cet écho. J’aurais voulu te dire à l’époque tout le beau que tu avais apporté à mes maux.
Comme dans ce film, année 2015, le feu et le sang lié.
On accuse aussi le rap de tous les torts mais il y a ta prose, qui fait preuve et argument.
«Ce que vous dites est faux. Avez-vous déjà écouté cela ?».
Le souvenir au scalpel. Les refrains qui défilent. Et s’y raccrocher. Saisir de l’essentiel avec cette mélancolie romantique, jamais sale, ni laide, qui fait du bien même transposée en enfer, de convenir de l’erreur même sous le coup de la terreur.
Comme dans un film, toujours. Qu’il soit de Woo, de Léone, ou de propagande.
Sur le malheur, tu avais déjà tant écrit. Tu pleurais dès janvier… 2001. L’antéchrist que tu citais avait vu venir des prémices de larmes, derrière le pauvre Armand, derrière l’éternelle Caroline, derrière l’Obsolète.
Une plongée dans les textes d’époque : des rafales de balles aux descendants d’Adam, tu avais anticipé ces concubines de l’hémoglobine. J’avais 17 ans.
Si autant en emporte la cité, il restera de banlieue ton propos au laser alliant justesse, et tendresse, sans sévérité, si ce n’est celle du poète quasi reporter, tes mots subtiles pour en parler, en relief avisé. C’est cet oeil sincère qui touche ceux qui l’ont vécu si ce n’est de l’intérieur, d’au moins de très près : sa violence, ses héros, la montée d’une rage incontrôlée, l’explosion des codes, mais aussi l’espoir, les belles choses, les points de non retour, la déliquescence des liens, aussi, après une parenthèse peut-être cristallisée ? Les temps changeaient. Etait-ce mieux avant ? Assurément rassurée de constater que tu ne verseras jamais dans ce couplet. Tout était simplement différent.
L’arlésienne
Pour finir, une rumeur, depuis des années, celle d’un nouvel album, d’aucuns l’auront décrété «arlésienne», moult ont clamé qu’il ne fallait plus l’attendre.
Et puis, évidemment, tu es là. Comme toujours. Fidèle à l’annonce et aux promesses.
Il y a le bien, il y a le mal. Tu gravites toujours du bon côté. Plus tu avances et recules, plus ta musique est noble de tes rencontres, de ton parcours, de tes bulles.
Tu as le même ton sérieux, désabusé, en alternance, joyeux, décalé.
La sagesse moqueuse au bon endroit, une poésie empathique, l’observation fine et ouverte, le jeu du récital, l’allitération généreuse, la rime singulière, du MOMA à la Marne, de Gainsbourg à Keith Elam.
Le sens de l’Histoire et de ton écriture : aucune case pour une pensée aussi riche que délicate. Il y a toi et quelques-uns, loin du bruit et de la clameur superficielle. Tu racontes d’authentiques westerns quotidiens sans te prendre pour le centre de la galerie.
Comment dire à quelqu’un que l’on admire, que l’on n’a jamais été déçu ? On l’est pourtant en permanence ; de déceptions, en vagues à l’âme, rares sont ceux qui contredisent la machine.
Tendez l’oreille : Claude MC vous dit plus qu’il ne le prétend. Il parle de nous, de ceux d’à côté, de nos rêves, de nos névroses, de nos révoltes, de nos petites ou de nos grandes faiblesses, de nos hémisphères, de celles des autres, de nos travers.
Fusions diverses, grands écarts virtuoses dans des styles qui s’entremêlent : Jazz, Hip Hop à l’ancienne, Afro, lignes de piano classique, beat électro, des premiers amours à l’orient, Funky touch, réminiscence new jack, old dub, en vrac.
Serment tenu, comme d’habitude, parce que l’envers du décors est à hauteur d’esprit, de vue et d’homme. Certains se sont dits déçus. Ils ont tort, rien de tel, au contraire. Avec l’air de ne pas y toucher, c’est seulement qu’eux, ont un peu vieilli.
Tendez l’oreille : la différence entre les valeurs et les artifices est de taille.
A cet exercice Solaar excelle, et Claude en est étincelle.
Le reste ? Rien. C’est personnel.