« Je suis le représentant du Prophète et du 12ème Imam « . Voici la fatwa, ou édit islamique, qu’aurait prononcé le Guide suprême iranien l’Ayatollah Ali Khamenei, devant une foule de ses supporters mercredi.
Alors que le véritable leader du pays est de plus en plus contesté depuis l’élection présidentielle 2009, l’Ayatollah Khamenei s’est autoproclamé comme « branche de la garde du Prophète Mahomet et des infaillibles Imams », « représentant de l’Imam caché « , se hissant au même niveau que le prophète Mahomet:
« Le règne du faqih (le juriste théologien, donc lui-même) est le règne du faqih qualifié en l’absence de l’infaillible Imam. Il est une branche de la garde et du règne du Prophète Mahomet et des infaillibles Imams« (…)Vous devez faire preuve de loyauté au Gardien du Faqih en obéissant à ses décisions administratives ».
En résumé, je suis au même niveau que le Prophète Mahomet, et vous devez tous m’obéir. Point Final. Officiellement, le Guide suprême iranien est le représentant Mahdi, le 12ème Imam caché, qui s’est occulté et réapparaîtra sur terre pour y instaurer la justice et la paix. Mais jamais il était allé jusqu’à se comparer au Prophète de l’Islam Mahomet.
Cette annonce a deux destinataires:
Tout d’abord, les opposants à la réélection à la présidence de Mahmoud Ahmadinejad. À ceux-là, malgré une énorme perte de légitimité envers lui, plus de 200 morts, 4000 arrestations et toujours 800 manifestants en prison, il demande de se taire à jamais, comme il l’avait si bien fait le 19 juin 2009, se dressant contre vents et marées derrière son poulain Ahmadinejad, peu importe la fronde populaire.
Mais surtout aux membres même du régime, qui sont de plus en plus nombreux, notamment depuis la présidentielle qui a mené à la plus grande crise qu’ait jamais connue la République islamique, à lui envoyer des lettres remettant en cause ses qualifications pour être Guide suprême. C’est aussi ce qu’a osé faire il y a quelques jours le journaliste iranien Isa Saharkhiz, critiquant ouvertement le Guide en plein tribunal Révolutionnaire, après 13 mois de détention. La gronde a également gagné le camp des Ayatollahs. Mohsen Kadivar, un religieux chiite en exil, a récemment demandé d’engager une procédure de destitution à son encontre, en l’accusant « d’injustice », de « dictature », d’avoir « renversé la République islamique » et « d’affaiblir l’Islam ».
À la mort du fondateur de la République islamique, l’ayatollah Khomeiny, beaucoup de grandes figures religieuses chiites, y compris le Grand Ayatollah Montazeri (désigné tout d’abord comme le nouveau Guide suprême avant d’être écarté par Khomeiny en raison de sa dénonciation des exécutions massives d’opposants), avaient contesté la nomination de Khamenei, arguant du fait qu’il ne répondait pas aux qualités requises pour devenir Guide. Mais jamais Khamenei n’avait lui-même publiquement répondu à ces accusations dans une fatwa.
« Une telle fatwa revient à admettre officiellement la fin de l’État de droit et la fin de la Constitution de la République islamique », écrit sur « Enduring America« , blog de référence sur l’actualité iranienne, « Mr Verde », spécialiste de la politique intérieure du pays. « Les opposants au Régime expliquent que cet édit religieux prend des parties de la Constitution iranienne, tel l’article 110 qui recouvre l’autorité du Guide suprême, et l’élargit au point que d’autres articles – le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, l’indépendance de la Justice, le devoir du Parlement d’adopter les lois – deviennent inutiles ».
Mais le plus intéressant dans cette fatwa, ce n’est pas qu’elle demeure un tour de force unique en vingt et un ans de règne de Khamenei, révélateur impitoyable de la position de faiblesse dans laquelle est actuellement empêtré l’Ayatollah. Le plus intéressant, c’est que la fameuse fatwa « je suis le représentant du Prophète » a vite disparu de toutes les agences de presse officielles iraniennes, qui ne sont pourtant en général pas avares en déclarations « ayatollahèsques » (contrairement à celles des membres de l’opposition). C’est ce que révèle sur « Enduring America » Scott Lucas, professeur à l’Université de Birmingham.
Et ce fléau frappe le Guide suprême en plein cœur, à savoir sur son propre site officiel, qui ne relaie pas la fatwa!
Il faut dire que contrairement à la fatwa qu’avait prononcée en 1989 l’Ayatollah Khomeiny contre Salman Rushdie, qui avait fait l’unanimité dans le monde musulman, une telle déclaration, à savoir que la plus haute autorité d’un pays musulman chiite s’autoproclame comme le représentant du Prophète Mahomet sur terre, n’est pas pour faire plaisir à tous les voisins sunnites (90% des musulmans) de la Région, déjà grandement inquiets des ambitions nucléaires à peine voilées de la République islamique. Il ne faut pas oublier la récente décision saoudienne d’autoriser Israël à survoler son territoire pour bombarder l’Iran, suivie de l’annonce tout aussi tonitruante qu’inquiétante du Roi saoudien Abdallah, dévoilée il y a quelques semaines par le Figaro: « il y a deux pays qui ne méritent pas d’exister: l’Iran et Israël »…