C’est en parlant avec des cadres d’entreprises que l’on se rend compte à quel point la Corée est un cimetière de vocations sacrifiées. Combien de passions naissantes pour la philosophie, la littérature classique, la cuisine, ou encore les arts plastiques sacrifiées sous le diktat des parents, au profit de carrières chez Samsung, Hyundai, ou en tant que chirurgien, avocat ?
Bien sûr, en France aussi des parents directifs imposent à leurs enfants leurs choix personnels sous prétexte qu’ils sauraient mieux ce qui est bon pour eux. Mais en Corée, pays où la collectivité prime sur l’individu, l’éducation est beaucoup plus qu’en France une affaire de famille.
Pour comprendre à quel point cette tendance est ancrée dans les mentalités, il faut remonter à la fin du XIVe siècle, où la dynastie Joseon remplace celle de Goryeo et, avec elle, les élites bouddhistes au profit de celles néo-confucianistes. L’éducation prend alors place au cœur de la société coréenne, non seulement parce qu’elle est l’une des valeurs essentielles de la pensée confucéenne, mais aussi parce que, concrètement, l’éducation constitue la seule possibilité d’ascension sociale.
Car durant la dynastie de Joseon qui durera plus de 500 ans jusqu’au début du siècle dernier et l’occupation de la péninsule coréenne par le Japon, l’aristocratie n’est liée ni à la terre, ni au sang, mais au mérite sanctionné par les concours nationaux. Pour prétendre appartenir à la classe des “Yangban”, c’est-à-dire à l’équivalent de la noblesse sous l’Ancien Régime, il faut qu’une famille puisse compter parmi ses membres soit un haut fonctionnaire, soit un militaire haut gradé. Or, l’accès à ces postes est unique : il passe par la réussite au “Gwageo”, un concours national d’accès aux hautes fonctions du royaume.
C’est pourquoi, en théorie, les privilèges n’étaient pas immuables au royaume de Joseon. Toute famille de Yangban voyait son titre remis en cause régulièrement, car si elle ne pouvait faire valoir la présence de l’un de ses membres aux hautes fonctions de l’Etat sur quatre générations, alors cette famille était déchue. On imagine déjà au XIVe siècle, le poids terrible des responsabilités qui reposaient sur les épaules des candidats au Gwageo : la réussite à ce concours était déterminant bien sûr pour leurs réussites personnelles, mais engageait également le destin et l’honneur de la famille entière.
120 ans ont passé depuis la fin de la dynastie Joseon, mais on n’efface pas aussi facilement les traces qu’ont laissé des siècles et des siècles de destins faits ou défaits par les résultats aux concours. Et si l’on peut estimer que dans le cadre d’un système féodal, la touche de méritocratie qu’imposait le Gwageo avait des vertus réelles, on peut par contre se demander si le rôle que joue la course aux diplômes dans la Corée d’aujourd’hui n’est pas excessif.
Aujourd’hui, le sésame pour tout lycéen coréen se résume aux trois plus prestigieuses universités que sont la Seoul National University, la Korea University et la Yonsei University. Un sésame tel, que les Coréens ont l’habitude de nommer ce trio par ses initiales, SKY, tant accéder à l’une d’entre-elles est un peu comme accéder au ciel.
Cette métaphore est à peine exagérée. Ici, le diplôme d’université joue un rôle déterminant dans la tournure que prendra l’avenir : celui de l’une des trois plus prestigieuses en poche permet bien sûr de mettre toutes les chances de son côté pour suivre une carrière à succès, mais offre également un tremplin vers une vie personnelle et sociale réussie : grâce au réseau des anciens – plus efficace, soudé et actif que n’importe quel réseau des anciens de nos Grandes Ecoles – mais surtout parce que personne dans la société coréenne n’échappe à ses origines académiques : son “Hakbeol”.
Tout contact social confronte en effet les Coréens à une question implacable : “De quelle université êtes-vous diplômé ?” Parfois posée telle quelle, parfois plus discrètement auprès de tiers, l’objectif est le même : pouvoir se positionner vis-à-vis de son interlocuteur au sein d’une société codifiée, hiérarchisée, où le diplôme est un facteur déterminant. Un bon diplôme fait de vous une personne hautement respectable quels que soient le lieu et les circonstances. Cela rejaillit dans la déférence avec laquelle vous serez accueilli ainsi que sur l’ascendant naturel que vous aurez sur votre interlocuteur si ce dernier ne peut revendiquer un diplôme de prestige équivalent.
Une université médiocre et c’est un passif, un boulet à traîner partout, tout le temps ; c’est la hantise de devoir répondre, faute de pouvoir l’esquiver, à la question des études qui gêne autant qu’elle revient sans cesse. Le pire étant bien évidemment de ne même pas être diplômé d’études supérieures ; d’être un “Go-jol”, c’est-à-dire quelqu’un qui n’est pas allé plus loin que le lycée : un manque d’éducation synonyme de médiocrité, voire de vulgarité qui pouvait encore trouver des circonstances atténuantes du temps de la misère jusqu’à la fin des années 70, mais qui ne trouve pratiquement plus aucune excuse aujourd’hui, et place les malheureux en question dans la catégorie des losers.
C’est pourquoi deux tiers des Coréens entre 25 et 34 ans sont diplômés d’études supérieures, alors qu’ils ne sont que 40% en moyenne dans les pays de l’OCDE, et c’est également pourquoi tous les moyens sont bons pour accéder aux meilleures universités.
Les moyens financiers d’abord : les dépenses pour l’éducation des ménages coréens sont trois fois plus élevées que celles des ménages des pays de l’OCDE. Car non seulement les universités en Corée coûtent l’équivalent d’une école de commerce en France mais, surtout, la quasi-totalité des parents choisissent de faire bénéficier les enfants de cours privés tout au long de leurs scolarités et ce, dès le plus jeune âge. C’est ainsi que, dès la maternelle, certains parents jugent utile d’envoyer leurs rejetons dans ce qu’il est de bon ton d’appeler des jardins d’enfants anglophones, mais qui sont en réalité des cours privés d’anglais pour enfants ne sachant pas encore lire ni écrire ; l’objectif étant de grappiller le plus tôt possible, quelques points d’avance sur ses camarades de classe qui deviendront, avec le temps, les concurrents aux places limitées qu’offrent les meilleures universités.
La maternelle est un avant-goût du rythme infernal qui attend les jeunes Coréens, et qui ira crescendo au fur et à mesure que la classe de terminale approche, puis le dernier trimestre de la terminale, et avec lui le “Sooneung”, l’examen final. C’est là que tout se joue, car le classement au Sooneung déterminera l’université qui accueillera les lycéens en fin de cursus et, en exagérant à peine, orientera irrémédiablement le reste de leurs vies pour le meilleur ou pour le pire.
On peut donc comprendre l’obsession des Coréens pour réussir ces quelques heures d’examen. Obsession qui pousse l’immense majorité d’entre eux à consacrer l’adolescence au bachotage, au lycée puis en instituts privés, en semaine et lors des week-ends, en périodes scolaires comme en période de vacances. Au point que lors de l’année de terminale, la journée typique d’un lycéen commencera vers 6h du matin pour ne se terminer que vers 2h du matin, une fois achevés les cours normaux, puis les cours particuliers, puis les devoirs et révisions personnelles.
L’engrenage de cet enfer des études n’est pas prêt de s’arrêter car il est toujours possible de placer la barre des objectifs plus haut : que demander de plus à des lycéens qui triment dur pour intégrer les plus prestigieuses universités coréennes ? Qu’ils triment encore plus dur pour qu’ils intègrent les plus prestigieuses universités au monde, ou en tout cas les plus reconnues internationalement : les universités américaines. SKY est un peu la Ivy league coréenne, alors pourquoi ne pas troquer le faux pour le vrai et ne pas aspirer à intégrer Harvard, Yale ou Stanford ?
C’est ce que font en masse les Coréens qui peuvent se le permettre, c’est-à-dire les plus aisés et ouverts internationalement. Après l’Inde et la Chine, la Corée constitue le troisième contingent étranger présent dans les campus américains. Dans les quartiers les plus aisés de Séoul, certains lycées privés sont de véritables classes préparatoires à l’admission aux meilleures universités américaines, remplies de lycéens qui en plus du programme imposé par l’éducation nationale coréenne, suivent des matières spécifiquement dédiées à l’entrée aux universités américaines.
D’autres parents choisissent une voie encore plus radicale en scolarisant directement leurs enfants dans les high schools américaines. Mais ce n’est une mince affaire pour personne de laisser partir son enfant dans un pays lointain, inconnu pour certains, et dont on maîtrise mal la langue au début. Comme dans la plupart des cas il est quasi-impossible pour les parents de s’expatrier aux États-Unis et d’y retrouver un emploi, les familles font généralement le choix de se séparer à partir des années lycée : la mère aux États-Unis avec l’enfant, le père en Corée avec l’emploi. Il leur faut donc financer deux foyers et des études sans doute encore plus coûteuses que si le choix avait été de rester au pays.
Ces familles séparées pour cause de l’éducation de leurs enfants sont suffisamment courantes pour qu’on donne un nom aux maris qui se retrouvent seuls en Corée dans le seul rôle de pourvoyeur de fonds au reste de la famille de l’autre côté du Pacifique : les « Kireoki appa », ou papas oies sauvages, car tels des oies sauvages, ceux-ci s’envolent une fois par an pour traverser l’océan et retrouver leurs familles le temps de congés furtifs.
Combien de familles françaises feraient-elles le choix d’une telle séparation pour l’éducation de leurs enfants ? Combien choisiraient-elles de mettre entre parenthèses leurs vies de famille et bien souvent leurs activités sociales afin que leurs enfants obtiennent les meilleurs diplômes ? Si pour beaucoup d’entre nous, un tel sacrifice paraît excessif, il se justifie souvent en Corée justement parce qu’il ne s’agit pas tout à fait d’un sacrifice pour ses enfants : un diplôme prestigieux obtenu et c’est une consécration pour toute la famille, qui sera reconnue par la société coréenne dans son ensemble.
L’éducation est une affaire de famille donc. L’enfant reste bien sûr le premier concerné, mais les enjeux liés à son parcours le dépassent. Et l’immense sentiment de responsabilité, la peur de décevoir face aux sacrifices des parents, poussent les enfants à tenir le rythme infernal qui leur est imposé.
Et c’est à l’aune de cette pression infernale que subissent les jeunes Coréens qu’il faut comprendre ce fait divers du mois de juin dernier, devenu sujet de débat national : un fait divers qui commence par un fait de gloire, celui d’une lycéenne coréenne de 17 ans qui, grâce à un père expatrié aux US pour le compte d’une société coréenne, a pu être scolarisée dans la prestigieuse Thomas Jefferson High School, véritable antichambre de la Ivy League.
C’est dans cet établissement élitiste, que cette lycéenne se serait distinguée de ses pairs par son excellence, notamment en mathématiques. Elle serait sortie du lot à tel point que Harvard et Stanford auraient joué des coudes pour attirer dans leurs campus respectifs cette surdouée. Puis, choisissant de coopérer, les deux universités auraient mis au point un cursus spécial permettant à la lycéenne de passer deux ans dans chacun de ces deux campus.
Deux prestigieuses universités concurrentes qui coopèrent pour offrir un cadre d’épanouissement personnalisé à un futur étudiant : du jamais vu jusqu’ici, mais ne faut-il pas cela pour un prodige comme cette Coréenne ? Dont le talent serait reconnu non seulement par le monde académique mais également par le monde professionnel. C’est ainsi que le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, aurait lui-même appelé la jeune lycéenne afin de lui proposer de rejoindre son équipe, une fois ses études terminées.
Imaginons la fierté et l’excitation des parents de la jeune lycéenne, de constater à quel point leur fille se destine à un parcours académique exceptionnel, puis sûrement à une carrière retentissante. Leur fille est non seulement la plus brillante de leur entourage social, mais sûrement également de la Corée toute entière, voire même l’un des éléments les plus brillants au monde de sa génération. Bref, leur fille est hors-catégorie, et, par procuration, la famille toute entière peut également, dans une certaine mesure, revendiquer une lignée extraordinaire vu qu’elle compte parmi les siens un être aussi exceptionnel : des « Yangbans » des temps modernes en quelque sorte.
Ce raisonnement n’était peut-être pas présent consciemment à l’esprit du père, mais il a dû jouer lorsque celui-ci contacta les médias pour faire connaître l’incroyable destin de son enfant. Ancien journaliste lui-même, le père n’eut aucun mal à faire part de l’histoire de sa fille auprès d’un correspondant aux États-Unis d’un grand quotidien coréen, à qui il montra les lettres que sa fille avait reçues des doyens de Stanford et de Harvard.
C’est donc ainsi que l’histoire de cette jeune Coréenne expatriée se propagea telle une trainée de poudre. Les Coréens, friands de ce type de contes de fée, découvrirent avec admiration et envie celle qu’on appela aussitôt la « jeune fille prodige », ou « le génie des maths » au travers de médias coréens trop contents de vendre cette famille modèle à leurs lecteurs, auditeurs, ou téléspectateurs : le père respectable cadre supérieur dans une entreprise coréenne se développant aux Etats-Unis, la mère au foyer modèle se dévouant pour le bien-être de la famille et s’assurant que la fille ne manque de rien pour se concentrer sur ses études. Enfin la fille, brillante, surdouée, suivant le parcours d’excellence voulu par ses parents : n’est-elle pas finalement une juste récompense aux efforts fournis par chacun des membres de la famille ? Ne tient-elle pas son intelligence de celles de son père et de sa mère ? Et dans ce cas, la gloire ne doit-elle pas être collective ?
Sauf qu’il n’y avait pas une seule information vraie dans tout le récit de cette fille, si ce n’est dans son imaginaire. Et ceci fut difficile à croire au début, tant la lycéenne racontait son histoire le plus naturellement du monde au travers des médias. Je suis moi-même tombé par hasard sur une interview téléphonique de cette fille à la radio, racontant tranquillement sa conversation avec Mark Zuckerberg, et pas une seule seconde n’ai-je pensé que malgré le caractère incroyable de cette histoire, celle-ci pouvait être inventée. Mais elle fut bel et bien démentie par des communiqués de Stanford et de Harvard peu de temps après sa médiatisation. Leurs prétendues lettres officielles étaient fausses, vraisemblablement fabriquées par la jeune fille, tout comme la conversation avec le fondateur de Facebook, qui n’eut jamais lieu.
Les parents, brièvement adulés et enviés par le pays tout entier, furent brutalement honnis. Certes, eux aussi avaient été trompés par leur fille, au point que le père s’évertua pendant un court moment à défendre la version de sa fille. Mais comment n’avaient-ils pas pu réaliser que leur fille n’était pas surdouée, mais malade, qu’elle n’avait pas la bosse des maths mais un penchant pour la mythomanie ? Surtout, l’empressement des parents à exposer leur fille et son succès factice à la Corée entière n’était-il pas révélateur de leurs énormes attentes, donc de l’immense pression qui reposait sur les épaules de la fille, ainsi que du peu de cas qu’ils se faisaient de sa santé mentale ?
Ne blâmons pas excessivement les parents, ni surtout cette pauvre fille. Tous sont victimes d’un système éducatif qui mélange le meilleur et le pire. Pour le meilleur, il faut consulter certains classements internationaux tels PISA qui placent le système éducatif coréen parmi les meilleurs au monde. Et il faut lui reconnaître des mérites, au premier rang desquels celui d’avoir su transformer une population qui comptait en 1950 autant d’illettrés, en proportion, que l’Ethiopie d’aujourd’hui, en un pays qui produit plus de diplômés d’études supérieures que n’importe quel autre au monde. Une progression indissociable de celle de son développement économique éclair.
Mais ce succès collectif ne peut faire oublier les dommages collatéraux : si le système éducatif coréen a produit des générations de travailleurs bien formés et un pays prospère, il fabrique aussi des lycéens stressés, épuisés, peu épanouis. Il n’offre pas d’alternative à ceux qui ne supporteraient pas cette pression, ou ne seraient tout simplement pas faits pour les études, si ce n’est celle de plonger dans la dépression et, pour les plus affectés d’entre eux, se donner la mort – expliquant ainsi pourquoi le suicide est la première cause de mortalité des 15-24 ans en Corée, pays de l’OCDE où le taux de suicide est le plus élevé.
Il y a autant de différence entre libéralisme et ultralibéralisme qu’il y en a entre droite et ultradroite ou gauche et ultragauche. À vouloir trop avancer dans le champ théorique au mépris de la pratique, on finit par planter son drapeau aux antipodes de soi-même. Et le fait que l’argent soit un agent inodore n’arrange rien à nos affaires; que l’on spécule sur lui ne nous donne aucune indication sur les motivations de son spéculateur. C’est donc encore la question de l’intentionnalité qu’il faut placer au centre de nos préoccupations analytiques. Le fait que Mao ait choisi de se mettre au Coca-Cola est la preuve flagrante de la relativité du pouvoir dont dispose l’économie libérale à exporter la libre conscience et autres libertés fondamentales sous les cieux d’un fondamentalisme opposé. La conversion de l’ex?URSS au libéralisme pur et dur nous démontre chaque jour un peu plus de la neutralité de l’économie de marché à l’égard de l’idéologie pour la victoire de laquelle les concurrents du jour sont venus s’asseoir à la Table des négociations soi-disant civilisée. Ce cocktail de tolérance et de totalitarisme — non par confrontation explosive mais par confusion implosive — ne peut évidemment que baver sur le champ politique. Et si nous avons bien compris que l’amoureux des libertés fondamentales montre une patience à toute épreuve face aux résistances fascistes de ses partenaires politico-économiques pour la seule raison qu’il compte sur l’attraction irrésistible des libertés individuelles partout où il les injecte au goutte à goutte, je me permets tout de même de lui rappeler ce qu’il sait mieux que moi… savoir que depuis l’autre bord de sa table de 40 000 km de long, son associé antidémocrate a compris son manège.
La tyrannie ultralibérale rejoint en effet ses demi-sœurs fascistes sur au moins un point : Rival Ier, son proprio brutaliste, a verrouillé la porte des cages de verre qu’il a moulées, une à une, d’après le corps de ses compatriotes et locataires, évitant ainsi d’avoir à se fatiguer à les pousser dedans. À ce titre, les attitudes obscènes d’un membre potentiel de Pussy Riot, qu’il soit sud-coréen, ou bientôt iranien, seront sanctionnées suffisamment tôt pour que son automate ne soit plus en état de distinguer entre la pénétration d’un rayon de soleil au QHS de la réussite individuelle nationaliste et le lever du jour incendiant l’horizon lynchien au bout de l’autoroute perdue.
Si les méchants, ainsi que s’en enlumina Groucho lors d’une de ses méditations fugaces, ont indubitablement saisi quelque chose qui échappe aux gentils, je ne parviens pas à me résoudre au fait que je vis en ce monde où Rogojine, devenu prince en son bagne, est prêt à tuer son Ukraine bien-aimée plutôt que vivre auprès de celle dont le cœur appartient à l’Idiot. Aussi, je ne lâcherai pas l’assassin des yeux, n’ignorant pas que ma présence, à la place qu’il briguait aux côtés de Pharaon, n’a jamais reposé sur une alliance profonde, mais sur un coup de maître. Les échecs sont un sport et, en ce domaine particulier plus qu’en n’importe quel autre, le titre de «champion» est toujours remis en jeu.
L’homme, sous un régime national-libéral, est une monnaie d’échange. Sachons nous en souvenir au moment où l’inhumain, délesté de remords, va poindre à l’horizon de l’anation. Nous ne sachons pas que Nadia Savtchenko ait commis un quelconque crime de guerre. En revanche, il nous a été rapporté qu’un certain nombre de compatriotes de Vladimir Poutine avaient de quoi projeter sur elle. Nous devrions envisager la possibilité d’un échange de prisonniers conforme à la nature de ces projections, voire non conforme — il semble que cela ait plus de chance de matcher avec le TsARÉvitch. Si jamais il n’y avait rien de suffisamment spectaculaire à échanger, il faudrait, de toute évidence, que cela change.
Fausse digression 1 : À ce qu’il paraît, il faut être proche de ses amis, et plus encore de ses ennemis. Faut-il encore ne pas s’être trompé d’amis, et moins encore d’ennemis.
Fausse digression 2 : Ce n’est pas sur la corde sensible qu’il faut jouer avec le modèle Staline. « On n’échange pas un maréchal contre un lieutenant », avait-il opté pour se garder au frais le trophée Paulus, tandis que le SS-frottement allait devoir opérer l’une de ces transformations instantanées, ici le célèbre SS-raidissement, vrillant sur lui-même, et encerclant le cou de Iakov Djougachvili (le fils de la première épouse) qui en avait donné du fil à retordre à son vieux père lorsqu’il s’était mis en tête de se marier avec — putain! — une Juive.
Fausse digression 3 : Si Al-Sissi ne peut se passer d’Israël dans sa lutte contre les investisseurs de l’hyperplateforme hypoterroriste, que n’a-t-il réservé à Netanyahou les mêmes honneurs qu’au Président français en l’invitant à tâter le pouls de l’Égypte, depuis le pont du Mahroussa? Probablement par obéissance obsessive, aveugle à cette troisième voie qu’il prend pour une ligne de démarcation entre le tout-ordre et le tout-désordre, une obéissance, que l’on quasi-qualifiera de confucianiste, aux démons de l’Égypte ancienne.