C’était un personnage de Proust. C’était, comme aurait également dit Sartre, un individu « sans importance collective » dont la mort, j’imagine, ne fera que quelques lignes dans les journaux.
Il s’appelait François Baudot. C’était un vieil ami que je ne voyais plus guère, mais dont le suicide, à 60 ans, me bouleverse.
Je le revois, colossal et raffiné. Secret et fulgurant. Plus snob qu’un personnage de Thackeray et, plus encore que lui, Thackeray, tenant le snobisme en dédain. Je le revois, depuis les années Palace, détectant comme personne l’esprit du temps qui vient mais s’en détournant à l’instant très précis où cet esprit va s’imposer.
Je l’entends, dans nos dîners d’été, incollable sur la peinture italienne et l’art contemporain, l’histoire de France et ses permanences, les clés des livres de La Bruyère, Saint Simon, Balzac ou, à nouveau, Proust.
Je me souviens de cet « Art d’être pauvre », érudit et délicat, que ce grand dandy, sans oeuvre comme il se doit, avait fini par se décider à écrire et dont je fus un peu l’éditeur.
Je le revois, la dernière fois où nous nous sommes croisés, avec ce visage trop charnu, comme tuméfié, qui ne lui ressemblait plus et où j’aurais dû voir le signe d’un désaccord définitif avec ce monde. Peu d’hommes auront à ce point senti leur temps et l’auront si puissamment détesté. Peu de contemporains en auront, comme lui, François Baudot, pressenti les rendez-vous mais sans jamais y trouver vraiment sa place.
On a dit de Robert de Montesquiou qu’il est mort de s’être reconnu, trop reconnu, dans « A la recherche du temps perdu ». Se pourrait-il que l’on meure, aussi, de n’avoir pas trouvé sa « Recherche » et d’être resté, jusqu’au bout, un personnage en quête d’emploi ? Une sorte de Charles Haas qui n’aurait pas rencontré son Proust, ne serait jamais devenu Swann et en aurait conçu un irrémédiable chagrin
Son art d’etre pauvre s’arrête à la fin des annêes 80 , c’est à dire au moment oú Paris se vide progressivement de sa substantifique moelle ,pendant longtemps faite d’elegance , de culture , d’esprit , mais aussi d’une certaine tenue , même dans la dêcadence et les excentricitês . Le moment aussi oú Paris perd le sens du jeu , du merveilleux , du rêve , qui s’affirme comme une rêalité tangible et suffisamment forte pour surpasser , parfois , ce que nous appellons la réalité.
Un Paris qui savait , pour reprendre la formule de Fabrice Emaer » Etre à la foi acteur et spectateur de lui même » , loin des technocrates qui seraient peut etre aujourd’hui , les nouveaux damnés de Visconti ou , plus gentiment , Les nouveaux nouveaux monstres de Risi.
Paix à cet homme courageux , et à la destinée hors du commun.
Dommage qu’il n’ait pas trouvé , ou peut etre cherché d’autres moyens de prendre de l’altitude par rapport à ce qu’il lui restait d’existence.
François avait le pire des défauts à Paris: il était aussi clairvoyant qu’honnète. D’ou sans doute ces detestations réciproques.
Enfin, il aura tenu sa position inconfortable pendant 60 ans, un exploit peu égalé: gloire à son ame !
Serge !
je suis triste aujourd’hui car François que j ai rencontré il y a 20 ans est une personne que j aimais beaucoup très distingué et intéressant nous avons voyagé très souvent ensemble par mon métier il m a fait rencontrer des personnes qui sont devenu des amis je lui dit merci pour toute ces attentions.philippe
» Si j’ai bonne mémoire, je suis né en 1950. Sans que personne ne me demande mon avis. L’ai-je jamais pardonné à mes parents ? Vendange tardive, l’accouplement entre une décoratrice mondaine et un orphelin déglingué, rescapé des camps, dérangeait. Mère chérie était réactionnaire et fortunée, mon géniteur bohème et communiste. Dans le Saint-Germain existentialiste, une vieille sorcière, le transformera en brocanteur fantasque. Tout Paris l’a adoré.
Mon premier cri fut celui de l’horreur. Comprenez-moi. J’étais le premier mâle de la famille depuis 1908. On répétait, : il sera l’héritier. J’attendais donc la mort de mes parents. Elle ne s’est pas fait attendre. Enfin seul, libre, heureux comme un enfant triste, j’ai constaté que de notre fortune, minée par des placements catastrophiques, il ne restait plus rien. Mais rien, pour un adolescent, c’est déjà quelque chose. Ainsi ai-je commencé à cultiver L’art d’être pauvre. Enfermé au collège à sept ans, relâché à quinze, mon seul projet était d’oublier cette incarcération, en découvrant la grande vie. Préambule à ma course aux plaisirs, j’ai perdu mon pucelage avec une aristochatte. Elle tomba enceinte. J’ai alors essayé les garçons. Et bien, l’un dans l’autre, chaque côté à son charme. A New York j’ai parfait mon éducation de gentleman, en découvrant, dans la mouvance du Pop Art : Iggy Pop, Nico, Lou Reed, le Velvet Underground, les premiers bars cuir et surtout la factory, cœur vivant d’une avant-garde mondiale. J’avais seize ans, les yeux fardés mais grands ouverts. J’ai vécu trois mois avec un ange blond, dont le jumeau était l’amant de Warhol. Ainsi, Andy a été pendant trois mois ma belle sœur. Mais quand j’ai compris que la morphine devenait ma femme, j’ai regagné Paris où m’attendaient d’autres filles, d’autres garçons transgressifs, le café de Flore, la cocaïne, les derniers bals du siècle, la révolution Gay, l’explosion de la Disco et des clubs où se côtoyaient jet-set, travestis, créateurs, couturiers, mannequins, gigolos : cette fièvre de plaisir a trouvé son point d’ancrage avec l’ouverture du théâtre le Palace, le plus grand music-hall du monde. Les rencontres y étaient sans lendemain, le bonheur pour toujours, mais surtout pour tout de suite. Le Palace en faillite, la mode devenue business, la fête était finie ! Alors, on est tous rentrés travailler, conquérir notre territoire et le défendre âprement contre une nouvelle génération. Loin de nous en vouloir, la pauvre nous envie. Moralité : mieux vaut gâcher sa jeunesse, plutôt que de n’en rien faire ? «
C’était un être attachant par sa faculté à être toujours en avance sur son temps, il percevait avec un gout extrêment juste sur la beauté des choses et des idées mais c’était surtout un prétentieux égoïste et ronger par sa détestation des autres et en fait du monde qui l’entourait. Dommage je l’aimais il s’est perdu tout seul. Peut-être a-t-il trouvé la paix intérieure en quittant ce monde qu’il excécrait. Je crois qu’il aurait aimé une fête grandiose et sophistiquée pour ces funérailles. J’ouvrirai du cristal Roederer en sa mémoire
Emouvant.
Il est toujours si triste de perdre des amis dans des conditions si dramatiques…
Cela me fait pense à une autre histoire , à un autre de vos amis….
Je comprend mieux…maintenant