Dès l’âge de 14 ans, Aaron Swartz avait collaboré à la création du format RSS 1.0 (Real Simple Syndication, famille de formats de données utilisées pour la syndication de contenu sur la toile). Membre fondateur de différentes organisations telles que Creative Commons ou Demand Progress promouvant le libre accès et le partage de données sur le web, ce jeune-homme ayant décidé de marquer un cran d’arrêt fatal à son existence, semblait promis à un avenir non seulement brillant, mais utile à la collectivité. A ce titre le cas d’Aaron Swartz est plus intéressant et méconnu que celui d’autres figures de sa génération, tels que Mark Zuckerberg (fondateur du fameux réseau social Facebook) ou Sean Parker (fondateur de Napster, logiciel de partage de musique entre utilisateurs). Hal Abelson, proéminent professeur au MIT (Massachusetts Institute of Technology) et son président avaient été les premiers à informer les autorités de mouvements suspects sur leur réseau. Aaron Swartz a finalement été poursuivi pour avoir mis à disposition des internautes un peu plus de 4 millions d’articles scientifiques. D’abord menacé d’une peine de 10 ans de prison, le procureur en charge du dossier a réussi à accumuler assez de chefs d’accusations contre le jeune-homme pour réclamer contre lui une peine de 35 années d’emprisonnement et une amende d’un million de dollars. Son procès devait s’ouvrir au mois d’avril de cette année. La pression constante à laquelle il aura été confronté depuis son accusation à l’automne 2010 et l’état psychologique particulièrement fragile dans lequel il se trouvait depuis, et auquel ses accusateurs seront restés insensibles, auront conduit à sa mort pure et simple. Dans un communiqué de presse publié peu après sa disparition, sa famille s’exprime de la façon suivant : La mort d’Aaron n’est pas seulement une tragédie personnelle. Elle est le fruit d’un système judiciaire et pénal en proie à l’intimidation, usant de poursuites et de menaces qui seront allées trop loin. Les décisions prises par les fonctionnaires dans le bureau du procureur du Massachusetts et au MIT auront contribué à sa mort.
L’exemple récent et plus tapageur de Julian Assange et de Wikileaks est de fait l’expression d’une problématique essentielle soulevée par la réalité technologique d’Internet aujourd’hui et pose la question de l’accès libre et gratuit à l’information et aux connaissances. Il s’agit d’une question idéologique dont les répercussions politiques et économiques semblent assez percutantes. Ce que révèle le cas de Swartz, nous ramène à ce que Michel Foucault nous donnait à comprendre sur les rhizomes et la délocalisation du pouvoir qui n’est jamais centralisé, mais présent en de multiples points d’un réseau social, économique, culturel et moral défini par une société, dont nous héritons et que nous modifions au fil du temps. La création de l’imprimerie par Gutenberg au milieu du XVe siècle à été déterminante pour la diffusion et l’accès au savoir via des langues vernaculaires. Cette révolution technologique a engendré une révolution sociale et culturelle qui modifiera à jamais le monde et la carte de l’Europe, créant un schisme au sein de l’église catholique apostolique et romaine en permettant la naissance de l’église évangélique d’un moine rebelle, Martin Luther, dont les écrits seront diffusés, non en langue latine, qui était la langue du pouvoir, celle de la caste dirigeante de l’église et des États chrétiens, mais dans une langue dite vulgaire, lisible et intelligible par le plus grand nombre, permettant donc de créer un lien intellectuel et affectif conséquent.
Cette révolution est en train de réapparaître aujourd’hui par le biais d’Internet qui permet la circulation de données qui, comme dans le cas de Wikileaks, a pu mettre à nu les rouages des pouvoirs en place, mais aussi atteindre à la sécurité même des États. C’est cette mise en danger de tutelles économiques et politiques qui aura peut-être eu raison d’Aaron Swartz, car si tel n’avait pas été le cas, comment expliquer alors le fait que son affaire, en cours d’instruction depuis bientôt deux ans, n’a été connue ou relayée que très succinctement par les médias? Comment expliquer aussi, qu’un système et une administration judiciaire, par le biais d’un procureur, selon toutes apparences, décide de faire un exemple de ce citoyen en menaçant de le priver de sa liberté durant trente-cinq années et de l’endetter à vie? Le cas de Swartz est de nature idéologique et morale. Comme indiqué dans un article de Sara Yasin, écrivaine et journaliste pour Index on Censhorship, organisme communiquant sur toutes les formes de censure opérées par le États et les institutions à travers le monde, les racines de ce mal sont l’expression d’une réalité économique qui se trouve mise en péril par des activistes tels que Swartz, qui militent contre les projets de lois américains SOPA et PIPA, visant à enrayer le téléchargement illégal sous caution de protéger la propriété intellectuelle, mais qui dans un même temps réduiront très nettement les libertés individuelles au sein de nos sociétés, en cherchant à contrôler les informations et les flux de données sur la toile. Récemment à Londres la Fondation Mozilla a organisée une rencontre autour des questions liées à la diffusion libre et gratuite des logiciels et des connaissances via Internet. La réalité de ce que l’on aura baptisé le Printemps arabe aura aussi été rendue possible par cette circulation libre des informations, révélant de façon irréversible et rendant public ce qui se passait et se passe encore aujourd’hui en Tunisie, en Egypte, en Libye ou en Syrie. La politique de contrôle de l’État chinois, comme de n’importe quelle autre dictature (l’Iran par exemple), est à cet égard assez éloquent.
Depuis le suicide d’Aaron Swartz, le gouvernement américain dit vouloir revoir ses projets de lois, comme si cette mort menaçait d’ouvrir une boite de Pandore aux conséquences irréversibles pour nos sociétés. Quelques temps avant sa mort Aaron Swartz déclarait : On appelle du vol ou du piratage, le fait de partager et de donner accès aux savoirs, comme s’il s’agissait là d’un équivalent moral et pénal au pillage d’un bateau et de ses biens, ou à l’assassinat de son équipage. Mais le partage n’est pas immoral – c’est un impératif moral. Seuls ceux qui sont aveuglés par la cupidité refusent ce partage libre et gratuit par tous.
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