COPÉ — Je suis le chef.
FILLON — Non. Nous devons attendre pour savoir qui a été élu. Et, soit dit en passant, je suis le chef.
COPÉ — Non. J’ai quelques dizaines, hop, quelques centaines de personnes de plus qui pensent que je suis le chef ; et au moins la moitié d’entre elles ont voté.
FILLON — Non. J’ai quelques centaines, hop, quelques dizaines de personnes de plus qui pensent que je suis le chef ; et je crois bien que certaines d’entre elles ont voté aussi.
COPÉ — Non. J’ai un tas d’amis qui affirment que tu ne sais pas compter ; ils disent même que j’ai gagné, et que tu as perdu ; ils sont extrêmement fiables, puisqu’ils annoncent ma victoire.
FILLON (fait la moue) — Bon, d’accord.
(Estrosi arrive brusquement)
ESTROSI (tire Fillon par la manche et murmure) — Tout le monde n’a pas été pris en compte.
FILLON (à Estrosi) — Comment ?
ESTROSI (à Fillon) — Ils ont oublié les types, là, dans le coin ; derrière l’arbuste.
(Estrosi repart)
FILLON (à lui-même) — Je les avais oubliés aussi. (triomphant, à Copé) Non. Je suis le chef ; tu as oublié les types, là, dans le coin.
COPÉ — Quels types ? Je ne les vois pas.
FILLON — Là ; derrière l’arbuste.
COPÉ (embarrassé) — On ne peut plus changer, mon tas d’amis a déjà donné son avis ; maintenant c’est comme ça, je suis le chef ; mais si tu veux, tu peux être le vice-chef ; tant que je suis le chef.
FILLON — Tu n’es pas le chef ; il faut ajouter les voix des types dans le coin ; derrière l’arbuste.
COPÉ — Si tu y tiens, tu peux demander à un autre tas d’amis à moi ; ils sont extrêmement fiables, puisqu’ils annonceront ma victoire.
FILLON — Puisque c’est comme ça, je vais aller tout répéter. Et d’ailleurs, je ne veux plus être chef.
COPÉ (exultant) — Tu n’as qu’à être mon vice-chef !
FILLON — Je ne veux pas être vice-chef ; je veux un autre chef. Je vais demander à un ami à moi de trancher ; il va décider pour nous ; mais je ne veux pas que ce soit moi, et je ne veux pas que ce soit toi.
COPÉ — Je ne veux pas de ton ami, les miens sont très bien ; et je suis le chef.
FILLON — Je refuse.
COPÉ — Et pourtant.
FILLON — Je m’indigne.
COPÉ — Malgré cela.
FILLON — Mes soutiens et moi nous en allons.
COPÉ (crispé) — Si tu insistes (Juppé fait mine de rentrer), je veux bien le rencontrer (on distingue son visage), mais il ne fera qu’observer mes amis (il fait volte-face et disparaît) ; tant pis pour lui, il n’avait qu’à être là avant.
FILLON — Il faut recommencer, que l’on perde tous les deux. Sinon, je resterai dans mon coin ; je ne ferai que discuter avec mes amis ; et puis nous partirons.
COPÉ — Je ne veux pas revoter ; (on lui remet un document) d’ailleurs, mes amis extrêmement fiables m’écrivent pour m’informer de mon statut de chef ; les types derrière l’arbuste ne comptent pas, et tes amis ont voté trois fois ; tout est fini.
VOIX DE SARKOZY (rauque ; qui résonne sans raisonner) — Il faut changer de stratégie.
COPÉ (tendu) — Finalement j’ai envie de revoter ; d’ailleurs, je veux voter sur le fait de revoter, les élections me manquent ; (se reprend en main) j’ai simplement quelques conditions à poser ; je veux que tu promettes de ne pas rapporter ; je veux que tes amis restent avec moi ; je veux organiser les élections moi-même ; et je veux gagner.
FILLON — Est-ce qu’on peut…
COPÉ — Non ! Non ! Je suis le chef ! Il a refusé ! Je suis le chef !
FILLON — Mais…
COPÉ — Chef ! Chef !
FILLON — Pourtant…
COPÉ — Je suis le chef !
FILLON — Pourquoi….
COPÉ — Je suis le vainqueur ; et tu es le vaincu !
VOIX DE SARKOZY (presque éraillée) — Il faut changer de stratégie.
COPÉ (renfrogné) — Bon, très bien ; discutons.
Voilà deux millénaires et des poussières, eh oui, déjà! comme dirait Moati, les dualistes accordaient même importance et même puissance à la Dyade et à la Monade. L’R-UMP procède d’une UMP qui eut dès le principe vocation à unifier des groupements politiques dont les points de convergence dépassaient de trop loin leurs points de divergence pour que leur émiettement continuât de les affaiblir au lendemain comme à la veille du 21 avril. Hier, Le Pen actait l’effondrement de l’UMP. Or ladite division de son ennemie jurée n’existe que dans sa formulation dualiste. Le courant dont Fillon est le président se situe soit dedans, soit dehors. Dans les deux cas, il ne bissecte en rien la popularité de l’Union ou du mouvement que les p’tits gars de la Marine trépignent de rendre impopulaire. L’UMP a un chef et non deux. Chacun des groupes composant l’UMP a son chef. En deux mots, Fillon est président de son groupe de la manière dont Bockel l’est de La Gauche moderne. Je me contre-tape de la cuisine des chefs ou de la date du nouveau vote des militants. Valls était en pétard au sortir du tunnel de Reims. À sa place, je l’aurais été. Mais je n’y suis pas, et à la mienne, c’est le PS qui compte et l’occupation d’un espace à gauche que zyeute la bave aux lèvres la girouette des fachos.
Voilà une pièce qui risque d’avoir de multiples scènes, de multiples actes…