Si des rêves ont bel et bien été brisés, on ne saura jamais lesquels. Broken, premier film du metteur en scène de théâtre Rufus Norris, débute sur une injustice poignante. Elle donne le coup d’envoi à une série de petites catastrophes qui rendent inhabitable le monde étroit de ce film implacable.
Rentrant de son premier rendez-vous galant, Skunk, une fillette de onze ans, assiste au passage à tabac de son voisin Rick, un jeune homme simple et réservé. Par un premier flash-back, comme si déjà le temps ne pouvait s’écouler calmement, nous apprenons que Rick a été accusé de viol sur l’une des trois sœurs Oswald, voisines de sa maison. Leur père, sans hésiter, est sorti de chez lui se jeter sur le garçon. Reconnu innocent, Rick, traumatisé, s’est muré dans le silence. Peu de temps après, ses parents se voient obligés de le faire interner. Ce qui finit par le persuader qu’il n’est destiné qu’à faire le mal. Skunk, restée sa seule amie et protectrice, lui rend visite à l’hôpital. D’autres événements viennent troubler la fillette qui, jusqu’au bout, témoigne aux autres de son amour et de sa bonté. Les sœurs Oswald la rackettent au collège, en viennent à la rouer de coups. Leur jeune professeur les surprend, sépare les filles mais, pour se venger, l’aînée des sœurs l’accuse d’avoir abusé d’elle.
L’ensemble des flash-backs et des points de vue des différents personnages, n’est pas sans rappeler Elephant de Gus Vant Sant. On retrouve la même structure articulée à partir d’un événement central, autour duquel gravitent les acteurs innocemment. Une grande intimité naît de cette construction, faite de ces destins liés. Ces lignes brisées, qu’elles soient dans les images ou dans le récit, donnent l’impression d’un monde plongé dans le chaos, dont les cassures se régénèrent sans fin.
Quelques images de bonheur, sous forme de plans mouvants en super 16, parsèment de-ci de-là ce champ de ruines. On ne sait pas quel est cet âge d’or brisé, dont on se doute qu’il est lié à l’enfance, très vite effacée. Skunk a cet âge très particulier, entre enfance et adolescence, période de transit où la jeune fille est capable de se lier à n’importe qui, de croiser tous les destins, d’être à leur écoute, car elle n’est nulle part, n’appartient à aucune catégorie. Elle se confronte absolument aux êtres comme aux choses. Elle n’a pas encore ce caractère effronté de l’adolescente, et garde de l’enfance un regard qui se porte sur toute chose, sans distinction. Tout cela fait d’elle un ange, qui finit par devoir faire le choix entre la vie et la mort, sans savoir où s’établira son règne. Ce personnage a permis de révéler une jeune actrice, Eloise Laurence, dont le charme immense illumine le film.
Skunk et Rick se regardent depuis leurs chambres respectives, leurs fenêtres se font face. Entre eux il y a un monde, que le film ne parvient pas à évincer totalement. L’enjeu du film était pourtant de faire abstraction de toutes ces petites catastrophes, pour lier définitivement deux êtres unis par un regard.