Se dire – ceci ou cela. Par exemple, psychanalyste.

Le peut-on seulement ? Imaginons-le, figurons-nous quelqu’un qui en ferait le pari, qui dirait : « Je suis psychanalyste, je le ressens, je me ressens comme tel, je le crois, je pense même pouvoir le penser. La psychanalyse m’habite. La psychanalyse dans laquelle je respire, même, c’est pour moi l’élément naturel de ce que je m’efforce d’être. C’est ma langue, la seule que je suis voué à parler tant que parler me sera possible, même si je sais que cette langue, jamais, à proprement parler, ne sera la mienne. Mettons, alors, que j’aie pour cette langue un goût immodéré, à tel point que je l’appelle ma demeure. »

Serait-ce donc possible ? Pourrait-on me croire sur parole si je parlais ainsi ?

Ou faudrait-il plutôt que l’attestation de ce que je me figure être me vienne d’ailleurs, d’une autorité autre que celle que je me suppose ?

Qu’est-ce donc alors que se dire – ceci ou cela, psychanalyste par exemple ? Serait-ce se donner un genre ? On a déjà demandé (c’était Serge Leclaire en 1971, dans Démasquer le réel) si du côté de l’écrit un genre psychanalytique existait. Serait-il pensable que la psychanalyse ne soit d’aucun genre ? Comment décider alors de la compétence de ses supposés compétents ? Il faut en effet faire place à des questions sur les bordures de ce qui ne constituera peut-être jamais un champ. Car s’il est impossible de dire ce qui fait qu’un écrit est ou n’est pas psychanalytique, c’est-à-dire, plus radicalement, si nul écrit ne peut répondre de ce qui est psychanalytique et, comme il est aujourd’hui à la mode de le dire, en « témoigner », alors il faut reconnaître que « psychanalyse » n’est peut-être rien d’autre que le nom donné à une pratique, une méthode, une théorie, dont la spécificité n’est pas acquise, dont le genre reste indéterminé, indéfini, la légitimité peut-être improbable, et les compétents toujours seulement supposés.

Reste qu’il s’agit de ne pas mélanger les genres, de ne pas, comme dit Derrida, risquer l’impureté, l’anomalie ou la monstruosité. Le psychanalyste, dès qu’il s’annonce, a déjà contracté avec l’œuvre freudienne une dette de reconnaissance : il (se) doit (d’)être ce que l’œuvre le destine à être en son telos. Dès qu’on entend le mot genre, dit encore Derrida, dès qu’il paraît, dès qu’on tente de le penser, une limite se dessine. Et quand une limite vient à s’assigner, la norme et l’interdit ne se font pas attendre : « il faut », « il ne faut pas », dit le « genre », le mot « genre », la figure, la voix ou la loi du genre. Il s’agit de s’assurer que l’on appartient soi-même bel et bien au genre « psychanalyse », de même que ce que l’on fait. Que l’on fait toujours, qu’on le veuille ou non, au nom de Freud : tout « psychanalyste » s’appelle à l’existence de ce nom que Freud lui donne.

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Jean-Bertrand Pontalis pensait que le psychanalyste ne saurait se prévaloir de cette appellation, que nul ne saurait se dire psychanalyste, ne saurait user de cette appellation comme d’un titre ainsi que le font les praticiens d’autres disciplines. Le praticien de la discipline appelée « psychanalyse » ne saurait s’appeler, se dire, se revendiquer « psychanalyste », tel est le curieux soupir poussé devant la littérature qui laborieusement le définit, lui, et qui définit, interminablement, son propre idéal. Le psychanalyste serait ainsi celui dont la définition s’évanouit à l’infini, dont la présentation (la Darstellung, aurait dit Kant) interminablement se diffère. Il y aurait, inscrite dans le discours qui tente de le définir, l’impossibilité de jamais le présenter. Le psychanalyste devrait donc renoncer à s’appeler à l’existence du titre même qui fait pourtant que l’on vient à lui pour « faire une analyse ». J’avais essayé de lui faire entendre que c’est là une position qui, si elle est peut-être jusqu’à un certain point tenable pour la raison pure théorique, ne l’est pas du tout pour la raison pure pratique, car la pratique doit justement pouvoir, comme telle, offrir à la raison au moins la mise en scène de sa propre possibilité. Car il faut au praticien comme à ceux qui le consultent pouvoir y croire pour qu’une chance puisse être donnée à l’analyse d’avoir lieu. 

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J’aime ce que dit Serge Viderman dans Le temps du silence. Il dit que les psychanalystestrop souvent, jouent Chaplin dans Les temps modernes : rivés à leurs fauteuils, arrimés à la théorie comme Charlot à son tapis roulant de boulons, comme lui ils continuent à les serrer même quand ils ne sont plus que les boutons de la robe d’une passante.