Depuis l’invasion russe en Ukraine, l’addition de cette guerre ne cesse de croître. Bientôtquatre ans plus tard, l’Ukraine paie chaque jour le prix de la résistance, de la destruction de ses infrastructures, de la prise en charge des déplacés, et de la modernisation de ses capacités de défense.
Les pays alliés ont mis la main à la poche, mais la soutenabilité d’un effort financé essentiellement par l’endettement public européen devient un vrai sujet politique et économique.

La question élémentaire reste posée : qui doit, au final, payer pour cette guerre ?
Les contribuables des pays qui apportent leur soutien à l’Ukraine, agressée par la Russie… ou l’agresseur lui-même ?

La réponse du bon sens et de la justice est simple : la charge doit incomber à celui qui a choisi la guerre.

L’arme politique et financière existe déjà. Plusieurs centaines de milliards d’euros d’avoirs russes sont immobilisés chez nos alliés : un stock estimé à l’échelle européenne (autour de 200-210 milliards d’euros), dont une part très large est détenue dans des infrastructures de compensation situées en Belgique (Euroclear). Laisser ces fonds sans les mettre au service de la réparation et de la défense de la victime, équivaut à céder à l’immobilisme et à préserver la capacité de nuisance de l’agresseur.

Confronter cette question c’est faire fonctionner le droit international : la doctrine des contre-mesures existe pour répondre à une violation massive du droit. Des options techniques et juridiques sont déjà sur la table – mobiliser les revenus générés par ces avoirs, structurer des prêts garantis par ces actifs, ou mettre en place un mécanisme de « prêt de réparations »européen, qui permettrait d’avancer des ressources à l’Ukraine tout en réservant la charge définitive pour Moscou au moment d’éventuelles réparations.
Des scénarios chiffrés circulent au sein des institutions : l’ordre de grandeur discuté par la Commission s’approche des centaines de milliards pour ouvrir une marge de manœuvre importante.

Deux nouvelles réalités politiques imposent cependant la prudence et l’urgence : d’une part, l’UE a décidé de repousser la décision finale à décembre.

Ce délai laisse le temps aux modalités juridiques d’être précisées, mais prolonge aussi l’attente dangereuse pour l’Ukraine.

D’autre part, la Belgique, le pays où la majorité de ces avoirs est techniquement déposée exige des garanties formelles contre d’éventuelles procédures ou représailles judiciaires pouvant viser ses institutions si la procédure est engagée. Ces inquiétudes belges sont réelles et expliquent en large partie le calendrier et les débats actuels.  

Il faut ici être franc : la Belgique joue un rôle clé, parce qu’elle héberge Euroclear et réclame des garde-fous. Cela ne signifie pas qu’elle s’oppose au principe de solidarité ; cela signifie qu’elle demande des protections légales et politiques (garanties communes, mécanismes de mutualisation du risque) avant de valider une opération à l’échelle européenne. Cette prudence institutionnelle peut être comprise, mais elle ne doit pas servir d’alibi pour repousser indéfiniment l’action.

Autre élément à mettre sur la table et à confirmer publiquement avec prudence : plusieurs articles ont rapporté que la Belgique perçoit déjà des revenus liés à ces avoirs (intérêts/gains générés par les placements effectués) et que des discussions existent, parfois présentées comme visant à utiliser une partie des produits financiers pour renforcer des capacités nationales, y compris militaires. Ces éléments ont été relayés et contestés dans la presse : ils doivent être pris au sérieux et clarifiés officiellement par Bruxelles, car si un État-membre bénéficie d’un rendement et en même temps bride une solution collective, la perception d’un double standard fragilise la légitimité politique du projet.

Ceux qui mettent en garde contre un « signal » envoyé aux investisseurs se trompent de cible.
Les règles peuvent et doivent préserver les droits des acteurs privés tout en restituant à la collectivité le produit de fonds appartenant à une puissance qui commet des crimes d’agression. Ne pas agir, c’est encourager l’instabilité : conserver des milliards à disposition d’un régime belliqueux en dit autant sur nos peurs que sur notre détermination.

Politiquement, l’Europe ne peut plus se reposer mécaniquement sur un parapluie extérieur incertain. L’imprévisibilité des soutiens extérieurs, dont on a récemment vu des exemples, impose à l’Union d’assumer une partie de sa sécurité stratégique. Mobiliser dès aujourd’hui des mécanismes européens pour alléger la charge financière de la défense et des réparations ukrainiennes, c’est gagner en autonomie stratégique et en crédibilité.

On peut débattre des modalités juridiques, des garanties à offrir à Euroclear et à la Belgique, et des instruments financiers les plus sûrs. Ce débat doit se tenir, mais il ne peut aboutir qu’à une conclusion : la responsabilité historique et financière incombe à l’agresseur. L’Europe a les moyens de transformer l’immobilisation des avoirs en un instrument de réparation et de dissuasion.
Il lui reste à choisir la volonté politique d’aller au bout de cette logique.

Reporter la décision à décembre peut permettre de mettre en place des garde-fous juridiques indispensables. Mais en attendant, il est impératif que les États-membres se mettent d’accord sur des garanties communes, pas pour protéger indéfiniment les avoirs russes, mais pour protéger l’Union elle-même contre les risques juridiques tout en permettant à l’Ukraine de recevoir les moyens qui lui sont nécessaires. Agir maintenant, avec prudence et détermination, c’est protéger l’Europe et rendre justice aux victimes ukrainiennes.