Lettre ouverte à S.E.M. Jan Théophile Versteeg, ambassadeur des Pays-Bas en France, sur l’exclusion d’Eva Illouz à l’Université Erasmus de Rotterdam

Monsieur l’Ambassadeur, 

J’ai l’honneur d’attirer votre attention sur un événement préoccupant survenu à l’Université Erasmus de Rotterdam : Eva Illouz, sociologue franco-israélienne, s’est vu retirer son invitation à intervenir au « Love Lab » le 21 novembre prochain, sur le thème « Amour romantique et capitalisme ». Cette mesure, prise indépendamment de la nature de ses travaux et de ses opinions, trouve sa justification dans son parcours à l’Université hébraïque de Jérusalem.

D’après le quotidien néerlandais NRC Handelsblad, la décision lui a été communiquée par courriel. Les responsables du séminaire ont invoqué un « malaise », attribué au fait qu’elle a enseigné dans cette institution israélienne jusqu’en 2022 – élément pourtant connu lors de sa sélection. Cette exclusion intervient alors que l’établissement rotterdamois, dans le contexte du conflit à Gaza, a mis en place un boycott des universités d’Israël.

En fondant cette éviction sur l’affiliation universitaire et non sur la substance de l’œuvre intellectuelle ou la pensée exprimée, la démarche amorce un glissement inquiétant vers une forme d’antisémitisme contemporain : l’origine, la nationalité ou un parcours antérieur deviennent des vecteurs de discrimination. Stigmatiser un individu en raison de ses liens, réels ou supposés, avec Israël ou la communauté juive constitue une atteinte manifeste aux principes du pluralisme académique et au respect des identités.

Au vu de la gravité du contexte, il convient de rappeler que les Pays-Bas ont endossé en 2016 la définition opérationnelle de l’antisémitisme proposée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA). Celle-ci décrit ce phénomène comme « une certaine perception des Juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard », englobant également les actes dirigés contre les personnes juives ou non juives, leurs biens, ainsi que les institutions et lieux communautaires.

Cette résolution, que votre pays a adoptée, invite à distinguer la critique légitime de la politique d’un État des formes de stigmatisation ou d’exclusion ciblant des personnes selon leur origine, leur identité ou leur appartenance supposée. Ce cadre devrait inspirer la réflexion universitaire et institutionnelle aux Pays-Bas afin d’écarter toute confusion entre débat politique et manifestations d’antisémitisme, tout en garantissant la justice et le pluralisme intellectuel.

L’affaire Eva Illouz met en lumière le risque de voir l’université se transformer en espace d’injustice, où la suspicion et l’exclusion prennent le pas sur l’échange et la confrontation des idées. Une telle évolution, qui confond critique politique et mise à l’écart fondée sur l’identité, interpelle quiconque reste attaché à la lutte contre l’antisémitisme sous toutes ses formes.

Je vous prie instamment, Monsieur l’Ambassadeur, de sensibiliser les autorités compétentes à la gravité de ce problème. Protéger la liberté académique et contrer toute forme d’exclusion fondée sur les affiliations ou origines, c’est défendre les principes universels qui fondent l’enseignement supérieur. Il vous revient, dans un esprit de dialogue, de faire remonter auprès de votre gouvernement et des instances universitaires le caractère inacceptable de cette situation.

Veuillez agréer, Monsieur l’Ambassadeur, l’expression de ma haute considération.

Marc Knobel
Historien

Son Excellence Monsieur Jan Théophile Versteeg
Ambassadeur des Pays-Bas en France
Ambassade des Pays-Bas
7-9, rue Éblé
75007 Paris
France

Un commentaire

  1. Monsieur Knobel,
    On ne peut qu’approuver votre lettre ouverte à l’ambassadeur des Pays-Bas et son ton, volontairement mesuré, qui contraste avec la colère qui peut nous étreindre après cette mise à l’écart de Madame Eva Illouz qui devait aborder un sujet, pourrait-on dire, non actuel.
    Cette décision d’une grande brutalité, lorsqu’on en analyse les raisons, font craindre, dans la mesure où elle n’est pas, loin s’en faut, isolée, que les risques d’une progression géométrique de l’antisémitisme soient majeurs. Nous sommes peut-être à l’orée de l’année 1933, avec cette différence que les limites dépassent largement les frontières de l’Allemagne Nazi, que cela touche tant l’Europe, que l’Amérique du Nord, sans oublier le monde musulman et bien d’autres. Les plus optimistes ont de quoi s’inquiéter !!