Ravel quitta le Pays basque français (la maison Estebania à Ciboure, près de Saint-Jean-de-Luz) le mois suivant sa naissance, le 7 mars 1875. Son premier souvenir musical fut les chants populaires basques que sa mère lui chantait. Dès son plus jeune âge, il était sensible à la musique – à toutes les musiques – ; clément au coucher, l’univers faisait naître en lui des murmures d’amour par des chemins parfois infâmes :

« Mon père, bien plus cultivé dans cet art que la plupart des amateurs, a su développer mes goûts et éveiller ma passion très tôt. »

Il se disait « extrêmement paresseux » et, pour le forcer à pratiquer le piano, son père devait lui promettre des pourboires. Dans la chambre de marbre, quand les écluses s’ouvrent.

Élève de Gabriel Fauré, il entre au Conservatoire de Paris en 1889 ; il y rencontre le pianiste Ricardo Viñes, son ami proche, avec qui il forme Les Apaches. Le groupe fait sensation lors de la première avec un scandale mémorable de Pelléas et Mélisande, l’opéra de son cher Claude Debussy, en 1902. Il soutient également son ami Stravinsky lors de la création tumultueuse du Sacre du Printemps. Quelle chance il a eue de n’être entouré que de plates collines et de deux ou trois monuments !

De 1901 à 1905, il présente quatre candidatures au prestigieux Prix de Rome, qui se soldent toutes par des échecs retentissants. Avec sa cantate Myrrha, il est exclu en 1905, déclenchant un véritable scandale où Romain Rolland, entre autres, prend sa défense. Un reflet comme une lune irisée.

Sous les huées du public, il crée Pavane pour une infante défunte en mai 1899. L’audace de ses compositions et son admiration proclamée pour les affranchis Chabrier, Debussy et Satie lui valent de nombreux ennemis.

À l’initiative de Sergueï Diaghilev (Ballets Russes), il compose la symphonie chorégraphique, inspirée par sa vision de la « Grèce antique » ; les navires au loin gémissaient de désespoir. Bien que son œuvre la plus laborieuse, elle reçoit un accueil mitigé en juin 1912, suscitant son amertume. L’Heure espagnole (son œuvre la plus longue) est très mal accueillie par le public et surtout par la critique, qui la qualifie de pornographique.

En 1927, après plusieurs tentatives avortées, il adopte le ballet de style espagnol Boléro, créé à Paris le 11 novembre 1927. Cette expérience, selon lui, dans une direction très particulière et limitée, l’exaspère par son succès phénoménal : il est dépourvu de musique ! 
Lors de la première, une femme s’écrie : « C’est un fou ! » Ravel, affirme qu’elle seule comprend.

De janvier à avril 1928, il effectue une tournée américaine triomphale, jalonnée d’interviews et de discours. Il est fasciné par le jeune George Gershwin. Dès lors, il reçut des ovations debout à chacune de ses rares apparitions publiques. Dans des éclairs d’extase, j’avais entendu ma petite-fille Aurelia au Conservatoire de musique.

À partir de 1933, il présenta les signes d’une maladie cérébrale incurable. Atteint de dysenterie et de péritonite, il subit une intervention chirurgicale. Jusqu’à la fin, il put compter sur sa fidèle gouvernante Madame Révelot.

La solitude fut sa grille et sa jalousie, parfois nourrie de provocation. Je pense à lui et je l’écoute presque systématiquement avec une profonde admiration.

Dix « pseudo-arrabalesques » en mémoire de Ravel

« …je préfère être dernier à Montfort-l’Amaury que premier à Rome ? »

« …les notes de musique attendent, comme L’Enfant et les Sortilèges et Shéhérazade ? »

« …mes hallucinations et mes rêves ont composé, pour deux pianos et cinq mains, Frontispice ? »

« …j’ai tout donné au soleil de la musique avec le Boléro répétitif. M’a-t-il rendu des ombres ? »

« …j’étais trop “demi-portion” pour pouvoir m’engager dans la guerre en 1915, et si haut que l’astéroïde 4727 porte mon nom ? »

« …combien de fois le piano, le violon et le luthéal de ma musique de chambre sont-ils inspirés, comme dans Tzigane, par les paroles et les gestes d’autrui ? »

« …dans l’éternité de la musique de Debussy ou de Stravinsky, tout se produit-il exactement à la même seconde ? »

« …le frère manchot du philosophe Wittgenstein croyait parrainer mon Concerto pour la main gauche (pour piano en sol majeur). Qui existe sans abri ni protection ? »

« …l’espace d’une salle de concert est-il ce qu’imagine le temps du chef ? »

« …composer Les Trois Poèmes de Mallarmé est-ce de la tapisserie ? »

« La Deuxième sarabande pour piano d’Erik Satie est-elle monstrueusement belle ? »

« …la valse-allegro-giusto pour piano À la manière de Borodine ; quand la légende est-elle aussi vraie ? »