Un Prix innovant et ses lauréats de l’édition 2025

Le Comité scientifique Pro Anima[1] se bat depuis 1989 pour l’arrêt de l’utilisation d’animaux dans la recherche. C’est tout le sens de ce préfixe latin –pro, soit « en faveur de » : l’expérimentation en laboratoire, qui vise à sauver des vies humaines, ne doit pas se faire au détriment de la souffrance animale.

Face à l’absence de financements publics pour mener ce combat à rebours des pratiques habituelles, le Comité a mis en place le Fonds et le prix EthicScience en 2013. Il s’agit de montrer que « l’on peut faire mieux et autrement qu’avec l’expérimentation animale ». Ainsi, le prix EthicScience a récompensé des programmes innovants tels que la création d’un « mini-cerveau » sur la base de cellules souches pour étendre la recherche sur la maladie de Parkinson, ou la modélisation, à partir de tissus humains, de tumeurs en vue de faire progresser la recherche sur le cancer.

Via sa fondation, le philanthrope Jean-Baptiste Descroix-Vernier finance de nombreux organismes humanitaires également soucieux de préserver la nature et les animaux. Il a ainsi rejoint cette initiative en 2023. Et grâce à son soutien, le prix ne récompense plus un, mais trois programmes de recherche par an.

Après délibération du comité de sélection présidé par le Dr Jean-Pierre Cravedi, l’unique prix français pour la recherche non animale a été remis le 28 mars 2025 au Palais du Luxembourg, à Paris, lors d’une cérémonie parrainée par le sénateur Arnaud Bazin. Ainsi, le Prix Innovation s’est vu attribué au projet « Neuron as a sensor », qui permet d’évaluer la toxicité de composés chimiques à l’aide de l’intelligence artificielle ; le Prix Développement et Applicabilité a été décerné au projet : « PDAC on a chip », qui utilise la modélisation de tumeurs pancréatiques pour améliorer le traitement du cancer ; le Prix du Jury-Espoir de la recherche a distingué le projet « ObFAT-3D » qui reproduit les caractéristiques du tissu adipeux de patients obèses pour mieux comprendre l’obésité et les pathologies métaboliques associées.

À cette occasion, Jean-Baptiste Descroix-Vernier a prononcé un discours enthousiaste sur les avancées de la recherche éthique.

Discours de clôture de l’édition 2025 du prix Descroix-Vernier EthicScience : L’exploitation animale n’est plus une obligation, elle est alors inacceptable

Je vais conclure cette remise de prix en vous parlant d’éthique – c’est désormais une tradition. L’éthique est un concept qui n’est pas né avec l’humanité. Au cours de son histoire, l’humain n’a connu que 2% de son temps sans guerre. Il a indifféremment liquidé les Indiens d’Amérique, les forêts du Brésil – ou les dodos, jusqu’au dernier, pour en faire des chapeaux à plumes.

Pourtant, l’éthique s’est petit à petit imposée comme une règle de progression civilisationnelle. L’acceptation d’une charte promulguant les mêmes droits fondamentaux pour chaque homme en a été l’une des étapes cruciales. On a commencé à mettre en valeur les femmes et les hommes de paix – et non plus seulement de grands guerriers –, on a aussi intégré l’idée que notre survie dépend de notre environnement global.

Une partie de l’humanité a estimé qu’il fallait vivre dans le respect des autres êtres vivants. Au fil des siècles, une forme de manichéisme s’est installée : d’un côté, des gens intégrant une conscience morale dans leurs actions, des gens capables de choisir de faire ce qui est juste, même si cela a parfois un prix, et, à l’opposé, des barbares avec différentes échelles de barbarie. 

Je vous donne un exemple concret : il y a quelques années, avant ma maladie, mon épouse et moi nous trouvions à la frontière du Bénin. Accompagnés d’une équipe de bénévoles, nous visitions des villages africains qui devaient être équipés en eau potable. Nous avons traversé un village dans un terrible état. L’endroit nous était pourtant signalé comme étant déjà équipé et assaini. En réalité, il n’était ni l’un ni l’autre. Ce village était passé de plus de 1600 à moins de 800 personnes. Le taux de mortalité infantile était de 4 sur 5, les plus vieux ne résistaient pas ; les tombes avaient été rouvertes des dizaines de fois pour y entasser de nouveaux corps. Les survivants étaient rachitiques et pour la plupart malades. En cause : l’eau. Une eau immonde chargée de dysenterie et de bilharziose. Mais l’eau n’était pas la seule cause de cette catastrophe humanitaire. Au milieu du village, il y avait un puits. Pas un seau pour y puiser, pas de pompe fonctionnelle, pas une goutte d’eau au sol. Un puits tout neuf qui semblait déjà abandonné. En fait, je venais de découvrir ce que les Africains appellent un « puits politique ». Un élu local avait fait construire uniquement le puits. Posé sur le sol, sans trou ni forage pour rejoindre la nappe phréatique. Un puits de théâtre, pour prendre quelques photos, avoir quelques articles de presse, et empocher une subvention. Non seulement le village n’avait pas d’eau potable, mais de plus il était rayé des listes des villages à équiper. Près de 1000 morts en 3 ans…

Ce n’est pas le manque d’eau qui a tué ces personnes. C’est le manque d’éthique.

Sans éthique, au lieu de créer des choses merveilleuses, on engendre des catastrophes potentielles. 

Ces deux mondes, celui qui a de l’éthique et celui qui n’en a pas, cohabitent et se confrontent, mais l’un des deux a pris le pas sur l’autre. En un peu plus d’un siècle, l’humanité a aboli l’esclavage et interdit la torture. Elle s’est imposé des cadres et des lois au-delà desquels aucune guerre n’est plus défendable. On a vu surgir les notions de crime contre l’humanité mais aussi de délit environnemental, de maltraitance envers les animaux, d’abus de faiblesse. Dans la majorité des pays occidentaux, ont été mis en place des minimums de survie, parfois la gratuité des soins médicaux – c’est le cas en France –, des minimums vieillesse, l’éducation accessible à tous… Alors oui, cela va dans le bon sens.

Mais ce n’était pas le cas dans le cadre de la recherche… Dans sa grande majorité, la science a longtemps été ignorante de l’éthique. Cette fameuse « science sans conscience » pointée du doigt de la Grèce antique à Einstein en passant, bien sûr, par Rabelais, n’avait jamais été ostracisée et encore moins sanctionnée. 

A l’inverse, la science éthique, déontologique, n’était ni mise en valeur ni véritablement récompensée. Les recherches les plus essentielles étaient laissées la plupart du temps sans aucune reconnaissance : Galilée a été condamné pour avoir eu raison, on a laissé Pierre et Marie Curie mourir dans la quasi-pauvreté, on a décapité Antoine Laurent de Lavoisier, l’inventeur de la chimie moderne, parce qu’un tribunal révolutionnaire, un petit groupe d’idiots à qui l’on avait donné trop de pouvoir, a affirmé que « la République n’a pas besoin de savants » – les exemples ne manquent pas.

Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, on détournait la recherche pour en faire des armes. En revanche, par la suite, c’est l’inverse qui s’est produit. On a pris la plus terrible des armes, à savoir les tout premiers missiles de croisière qui avaient fait tant de morts, et l’on en a fait une fusée pour aller sur la lune… Les scientifiques ont construit un bon gros missile et, au lieu de lui faire transporter de la mort, ils l’ont bourré de matériel pour l’exploration et la recherche. 

Une nouvelle ère s’est ouverte. Elle a engendré l’astrophysique moderne, développé la robotique et les nanotechnologies, créé des intelligences artificielles, et même jumelé la biologie à la mécanique ! On a d’abord remplacé des membres amputés ou des organes par des machines, et aujourd’hui, on cultive des tumeurs cancéreuses humaines sur des puces électroniques pour apprendre à les vaincre. 

Cette nouvelle ère a fait naître des générations de chercheurs qui, pour la première fois, ont conscience de la place infinitésimale qu’occupe l’humanité dans la création. L’humilité est souvent à la base de l’éthique. Ces chercheurs « éthiques » se sont avérés plus performants. Ils avancent plus vite et plus précisément. On l’a rappelé maintes fois : ce qui fonctionne sur une souris ou un singe ne fonctionne pas forcément de la même manière sur un corps humain. Alors ils ont inventé ces fameuses puces électroniques, ils ont créé des imprimantes de tissus humains, ils ont cultivé de la peau, du muscle – et j’en passe. Leurs recherches vont droit au but : soigner telle ou telle maladie, réparer tel ou tel handicap en travaillant dès le départ avec la bonne matière génétique. 

Ils ont rendu la vivisection inutile et l’ont reléguée à la place qui est la sienne : une facilité inefficace et un business sordide.

Il y a plus de quinze ans, quand Christiane Laupie-Koechlin, Théodore Monod et quelques autres ont créé ce prix, ils l’ont fait pour vous, chercheurs. Pour vous remercier, vous honorer et vous aider, parce que non seulement ce que vous faites va changer le monde, mais aussi parce que vous le faites pour un monde magnifique. Un monde éthique.

Le prix Descroix-Vernier EthicScience est porté par des femmes et des hommes qui veulent ce modèle de civilisation, un modèle qui place le respect de la vie au centre de tout. C’est le monde des vertus d’Aristote, c’est l’éthique au service du bonheur de Stuart Mill. En vous remettant ce prix, nous vous disons que vos recherches sont essentielles, que la façon exemplaire dont vous les menez est essentielle. Nous tous ici – parlementaires, responsables d’instituts et d’ONG, écrivains, artistes, philosophes, chefs d’entreprises –, nous sommes venus vous dire que la recherche française et vous, chercheuses et chercheurs, vous êtes essentiels. 

Merci à chacun d’entre vous. 

Je remercie le Sénat pour son accueil et ses actions en faveur de l’éthique. Merci au sénateur Arnaud Bazin qui incarne cette valeur en tant que président du Comité de déontologie parlementaire du Sénat français.

Merci à toi, Arielle Dombasle, tu n’as pas hésité une seconde à apporter ton soutien à cette cause. Ton amitié et celle de Bernard-Henri Lévy ont toujours été exemplaires, indispensables et indéfectibles depuis des années. Vous faites partie de mon cœur.

Je remercie et félicite les équipes de Pro Anima et de la Fondation Descroix-Vernier, dans tous les pays où elles se trouvent. 

Et merci à vous, Christiane Laupie-Koechlin. Vous savez l’admiration que je vous porte. Votre courage est un exemple pour moi. 

Merci enfin à toutes celles et ceux qui, comme vous, et comme vous tous dans cette salle, avez fait le choix d’œuvrer pour l’humanité, sans jamais perdre une once de votre propre humanité.

Les trois projets récompensés en 2025 par le Prix Descroix-Vernier EthicScience

– Le Prix Innovation a été attribué au projet : « Neuron as a sensor », porté par les Drs Benoit Maisonneuve et Thibault Honegger de la start-up lyonnaise NETRI.
Ce projet développe une plateforme microfluidique utilisant des neurones comme capteurs. Associée à l’intelligence artificielle, cette technologie permet d’évaluer l’efficacité et la toxicité d’un large éventail de composés chimiques dans la recherche biomédicale sur des pathologies comme Alzheimer ou les douleurs neuropathiques.

– Le Prix Développement et Applicabilité a été décerné au projet : « PDAC on a chip », visant à mieux comprendre les contraintes d’efficacité des traitements en modélisant l’adénocarcinome pancréatique (PDAC). Il est porté par la Professeure Halima Alem-Marchand (Université de Lorraine – CNRS) et co-porté par le Dr Lina Bezdetnaya de l’Institut de Cancérologie de Lorraine.
L’objectif est de concevoir un modèle alliant impression 3D et microfluidique afin de reproduire l’environnement tumoral du cancer du pancréas, dans une approche éthique destinée à améliorer les thérapies anticancéreuses.

– Le Prix du Jury-Espoir de la recherche a distingué le projet : « ObFAT-3D », Tissus humains ex vivo 3D pour imiter le tissu adipeux obèse, mené par le Dr Vincent Dani de la start-up niçoise ExAdEx-Innov.
Ce projet élabore des modèles in vitro à partir de tissus adipeux humains prélevés lors d’interventions chirurgicales, afin de reproduire les caractéristiques du tissu adipeux des patients obèses et ainsi mieux comprendre l’obésité et les pathologies métaboliques associées.


[1] Le Comité scientifique Pro Anima a été créé par Christiane Laupie-Koechlin (ancienne administratrice de la SPA), en complicité avec le Professeur Théodore Monod, célèbre naturaliste, et François d’Harcourt, député d’honneur de l’Assemblée nationale.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

*