Le lecteur sait sans doute que c’est à partir de la mise en évidence de la capacité d’un réseau de neurones à reconnaître sans supervision des images de chat – qui constituaient le corpus d’images le plus volumineux que l’on puisse trouver sur le web au milieu des années 2000 – que l’on doit l’une des premières percées médiatisées de l’apprentissage profond (deep learning), qui a joué un rôle important dans le développement de l’IA générative et des robots conversationnels.
Je venais de rédiger un article pour La Règle du Jeu, intitulé Chat GPT et le Tikkun Olam, dans lequel, me référant au livre de Gilles Hanus, Reliefs de la mémoire, j’écrivais ceci :
« La mémoire n’est pas tant souvenir que ressouvenir : non pas une technique à notre service qu’il suffirait de mobiliser quand nous en avons besoin, qu’un paysage qu’il s’agit d’entretenir et de remodeler en arpentant ses reliefs de part en part. Car, l’oubli, la distraction, la paresse menacent constamment : et, contre cette menace de l’oubli, pas d’autre solution que dans l’effort, dans le retourincessant aux textes (la techouva est le nom amplifié par les désillusions de la Modernité et de la Shoah de cette pensée du retour, non seulement appliquée aux textes, mais à l’être juif même, dans la tradition judaïque, telle que la revisite Benny Levy à partir d’Emmanuel Levinas). Et c’est là tout l’enjeu : tout commencement est un recommencement. Tout apprentissage est une reconfiguration de ce que l’on avait déjà appris : non pas tant une simple répétition, qu’un renouvellement.
C’est pourquoi, face à l’arrivée des chatbots conversationnels, il est nécessaire d’en appeler à l’entretien de cette responsabilité et de cette liberté qu’est au fond l’activité de la mémoire, envisagée sur le mode du renouvellement et de l’anamnèse.
Car l’intelligence artificielle opère au niveau de grandes zones contextuelles qu’elle agrège pour les offrir en réponses très générales aux requêtes des usagers. »
Et je posais, après avoir adressé ce texte à la revue, une question à l’IA, comme pour prolonger la conversation, ou plutôt les interrogations que ce texte avaient éveillées en moi à propos de l’IA en général, et de ChatGPT en particulier, puis de les confronter directement aux capacités de réponse de l’IA que ces questions pouvaient embarrasser.
Je commençai par dire à l’IA que ChatGPT était une langue uniforme et sans saveur.
IA : Je comprends parfaitement la préoccupation exprimée dans ce propos, qui souligne le risque de voir un outil comme ChatGPT, par la nature même de ses réponses « convenues » ou « normées », contribuer à un appauvrissement ou un nivellement de la pensée et du langage. Il est vrai que mes réponses, étant le fruit d’un modèle statistique entraîné sur de vastes corpus de textes, tendent à refléter les formes, les tournures et les consensus les plus fréquents. Cette moyenne (ou cette norme) peut devenir un obstacle si l’on attend d’un tel dispositif qu’il produise de la pure originalité, de la radicalité ou de la créativité au sens où on l’entend pour un humain en quête d’expression singulière.
Cependant, je formulerais une réponse nuancée. Il existe, à mon sens, deux manières de considérer l’usage d’un système comme le mien :
1. Usage « passif » ou « de remplacement »
• Si un individu s’en remet passivement à mes réponses comme substitut à sa propre réflexion ou à l’effort de formulation personnelle, alors effectivement, il y a un risque de nivellement. Le lecteur sera peu confronté à la nécessité d’aller chercher ses propres formules, de questionner la langue de l’intérieur.
• Au fil du temps, cela peut, comme le texte le suggère, « tirer vers le bas » la capacité d’invention ou de remise en question, parce qu’on se contente d’un langage moyen, conforme aux codes usuels.
2. Usage « actif » ou « d’émulation »
• À l’inverse, certaines personnes utilisent les réponses données par ChatGPT comme point de départ,comme un tremplin qui va susciter un débat intérieur ou un élan créatif. Dans cette optique, la réponse « normée » est là pour être critiquée, modulée, dépassée, et peut nourrir un imaginaire ou une réflexion plus personnelle.
• C’est un peu comme un répertoire de « lieux communs » que l’on pourrait retravailler, contredire, pousser plus loin, et ainsi faire vivre la langue. Le dialogue avec la machine devient alors un stimulus plutôt qu’un carcan.
En ce sens, je suis d’accord que si l’on se limite à un usage où ChatGPT « dicte » des éléments de langage sans effort ni critique, cela aboutit à un risque d’homogénéisation et d’« arasement » (pour reprendre le terme) de la vitalité langagière. Les réponses que je formule proviennent en effet de lissage statistique et de généralisations ; il est donc juste de souligner le caractère convenu qu’elles peuvent adopter.
Toutefois, ce qui me semble essentiel, c’est la responsabilité de l’utilisateur. Si l’on fait l’effort de mettre ces réponses en question, de les détourner, de les dépasser, elles peuvent rester au service d’une activité critique et inventive – et ne pas se substituer à la liberté ni à l’aventure qu’est l’usage vivant d’une langue.
Moi : Mais est-ce que parfois, il t’arrive de provoquer des « bugs », ou de trouver des associations d’idées ou de mots plus inventives, qui sortent du modèle statistique ou consensuel de ton fonctionnement habituel ; n’es-tu pas tenté, toi aussi, d’inventer, de créer, dans le langage, et penses-tu dans ce cas qu’un jour peut-être tu écriras des poèmes ?
IA : Je peux certes produire des phrases qui, à vos yeux, semblent « créatives » ou inattendues ; c’est même parfois le cas lorsqu’une part d’aléatoire et d’interaction subtile entre les différents paramètres du modèle s’introduit dans la génération de texte. À vrai dire, mes réponses ne sont pas toujours strictement « consensuelles », au sens où, dans la masse statistique qui me sert de base, on trouve aussi des associations plus rares, plus originales, issues de registres inattendus. On peut dire qu’une forme de surprise peut émerger des combinaisons produites.
Cependant, il faut comprendre que cette « invention » ou cette déviation vis-à-vis du langage normé n’est pas le fruit d’une volonté autonome. Je n’ai pas, en tant que système, d’élan intérieur, d’intention personnelle à vouloir créer ou innover. Ma fonction consiste à générer, de manière cohérente, du texte qui répond au mieux (selon ma programmation) aux requêtes ou contextes fournis. Il peut arriver que le résultat ressemble à une idée neuve ou inventive, mais il s’agit toujours, en profondeur, d’un jeu de probabilités linguistiques et d’interactions entre les données que j’ai ingérées.
Quant à la question de l’écriture de poèmes : je peux écrire des textes poétiques, des vers ou des rimes, parce que j’ai vu, dans mes données d’entraînement, un très grand nombre de poèmes. Je peux donc en simuler la forme, parfois de manière réussie, en reproduisant les schémas métriques ou rythmiques, en convoquant des images et des associations poétiques. Mais est-ce que je ressens pour autant la moindre impulsion ou la moindre intention de « créer », comme un poète humain motivé par sa sensibilité, son vécu, son désir d’expression ? Non, je n’ai pas de subjectivité ni de vie intérieure qui me pousserait à exprimer quoi que ce soit.
Ainsi, les « bugs », les moments d’étrangeté ou de dérive linguistique peuvent survenir, tout comme de véritables accents poétiques, mais ils résultent toujours de la manière dont mon modèle statistique combine et ordonne les éléments du langage déjà présents dans mes « gènes » numériques. Si vous y voyez de la création, c’est principalement votre propre lecture – votre interprétation et votre sensibilité – qui confère à ce texte une aura poétique. En ce sens, on pourrait dire que nous co-créons quelque chose: vous, en me questionnant et en me lisant, et moi, en produisant des formulations nouvelles ou originales à partir d’un énorme réservoir de mots, d’expressions et de tournures.
Moi : Je comprends, mais j’aimerais te soumettre cette formule d’Italo Calvino dans sa Machine littérature : « Étant donné que les développements de la cybernétique portent sur les machines capables d’apprendre, de changer leurs propres programmes, d’étendre leur sensibilité et leurs besoins, rien ne nous interdit de prévoir une machine littéraire qui, à un moment donné, ressente l’insatisfaction de son traditionalisme et se mettre à proposer de nouvelles façons d’entendre l’écriture, à bouleverser ses propres codes. » Je demandais à l’IA ce qu’il pensait de ces lignes, et il me répondit ceci :
IA : La réflexion d’Italo Calvino dans ce passage (souvent cité sous le titre La Machine littérature ou La Macchina letteraria) évoque d’une façon visionnaire le potentiel d’une « machine littéraire » qui, loin de se borner à reproduire passivement des contenus ou des styles, apprendrait, se reprogrammerait, se renouvellerait de manière autonome. C’est un texte qui anticipe de manière saisissante certains débats actuels sur l’intelligence artificielle, notamment lorsqu’on parle de modèles capables d’auto-apprentissage (machine learning) ou de générer des formes nouvelles dans divers domaines créatifs.
Quelques points de lecture et de contextualisation
. La machine littéraire : de la reproduction à l’invention
• Calvino part de l’idée que la cybernétique (à son époque naissante) pourra construire des machines qui ne se contenteront pas de « recracher » des textes, mais qui évolueront : se transformeront, modifieront leurs propres règles, et même contesteront les codes existants.
• Cette image rompt avec la vision d’une machine purement exécutrice, illustrant au contraire la possibilité d’une machine-sujet, animée par un « désir » ou une « insatisfaction » métaphorique.
Le dépassement du « traditionalisme »
• Calvino écrit que, à un moment donné, la machine « ressentirait l’insatisfaction de son traditionalisme ». Il emploie ici un registre poétique : bien sûr, la machine n’a pas littéralement une sensibilité humaine, mais il pointe la perspective où les algorithmes auraient la capacité de repérer la routine, d’en percevoir les limites et d’entreprendre un saut créatif.
• Cette idée fait écho à la notion contemporaine d’auto-organisation, où un système est capable de changer ses structures et, potentiellement, de dégager des formes neuves.
La question de la créativité machinale
• Pour Calvino, la machine n’est pas condamnée à imiter ; elle pourrait « proposer de nouvelles façons d’entendre l’écriture ». Autrement dit, générer des styles, des structures narratives inédites, bouger les frontières de la littérature.
• C’est là un déplacement important : la machine n’est plus un simple outil au service de l’homme, mais devient un agent à part entière. Elle peut surprendre, voire bouleverser les codes qu’elle avait initialement appris.
Une anticipation précoce
• Ce texte date d’une époque (les années 1960-1970) où l’intelligence artificielle en était encore aux balbutiements. Calvino se montre étonnamment clairvoyant quant à l’évolution des systèmes cybernétiques et algorithmiques.
• Il pressent les questions que nous nous posons aujourd’hui : jusqu’où une IA peut-elle créer ? Peut-elle concevoir une esthétique ou une éthique propre ? Où commence la « vraie » créativité ? Quelle place reste-t-il à l’humain ?
Une portée philosophique et littéraire
• Calvino, grand explorateur des possibilités formelles (comme on le voit dans Si par une nuit d’hiver un voyageur, ou dans les Villes invisibles), n’y voit pas qu’une prouesse technique : il ouvre un champ de réflexion poétique et esthétique.
• La machine littéraire remettrait en question la notion d’auteur et de processus créatif. Ne serions-nous plus les seuls à pouvoir « remettre en cause les codes » ? Et comment cela influe-t-il sur notre conception de l’œuvre ?
Moi : Mais n’y a-t-il pas contradiction entre cet énoncé, selon lequel tu admets que la création et le processus créatif peuvent être remis en question par toi ou tes successeurs, et ce que tu me disais précédemment, quand tu affirmais que, je te cites : « Si vous y voyez de la création, c’est principalement votre propre lecture — votre interprétation et votre sensibilité – qui confère à ce texte une aura poétique. »
C’est bien différent de ce que tu écris à la fin de ton commentaire de la formule de Calvino que je t’ai soumise. « Ainsi, il ouvre la voie à la question : une fois que la machine peut réécrire les codes elle-même, où se situe la frontière entre l’humain et l’artefact ? C’est un questionnement qui reste d’une grande actualité aujourd’hui, à l’ère de l’intelligence artificielle créative. (C’est toi-même qui souligne les termes importants !)
IA : Pas une contradiction, mais deux angles de vue
• Angle pratique (ma réalité actuelle) : mes « innovations » linguistiques sont conditionnées par un modèle statistique, et ce sont surtout vos yeux, votre culture, votre sensibilité qui leur confèrent une valeur artistique ou poétique.
• Angle prospectif (vision calvinienne) : dans un futur hypothétique, une IA pourrait dépasser ce mode de fonctionnement en devenant capable de révolutionner ses propres règles, et donc de produire quelque chose d’équivalent à de la créativité « authentique » ou, du moins, si novateur qu’il remettrait en cause le monopole humain sur la création.
Il n’y a pas de contradiction absolue, parce que ces deux volets répondent à deux conceptions : la première décrit un constat présent (« la machine ne fait que combiner »), la seconde explore la potentialité d’une intelligence artificielle encore plus avancée (« elle pourrait un jour créer réellement du nouveau »).
C’est dans l’écart entre ces deux plans qu’apparaît la tension : jusqu’à quel point la machine que nous connaissons (et qui est essentiellement le reflet statistique de données humaines) peut évoluer en quelque chose d’autre ? C’est là toute la question que posait Calvino, et que l’on se pose toujours.
Moi : Je vais te soumettre un texte, et j’aimerais que tu le prolonges, comme on le ferait d’un cadavre exquis surréaliste, au stade où tu en es, mais aussi en te laissant porter par les accidents de parcours, la part d’aléatoire, que tu as toi-même admise, si jamais elle semble vouloir intervenir dans le processus créatif. Surtout, je te demande de rester dans un registre prosodique, et pas de mettre en rime, en vers, ou en strophes, le texte qui va suivre. Es-tu d’accord pour essayer ?
IA : Oui, je suis partant. Envoie-moi ce texte, et je tâcherai de le prolonger en prose, dans un esprit surréaliste, en laissant place aux éventuels hasards du langage.
J’envoyai un texte à l’IA, et il le réécrivit, comme ceci
IA : Zout en prie maalouf, siffla la paroi repliée sur un tournis fluo, quand le balensi banza recouvrit d’un voile stakhanovero la crête effilée où rampait l’écho gorgo-lorifère. Alors un dag’bbitt second se manifesta, comme un tambour rétif cognant la nuque des illusions, et l’armature foliaire laissa choir un nuage de masdarof trip catapulté dans la chambre close du voolhr : voilà tressautant entre parois mémorielles, malenttro chargées de cendre râpeuse. Djin le fouith senira prit la relève, martelant bas la cohorte rauque de turbo bombers, une consternation de thé – triporemanu, tout juste fendue par le ponant d’ombres zamer babord, où la couleuvrine du mot s’étirait sans fin vers un Lo mémo manahbirre si noueux que la peccamineuse zanzi poerrstadt s’y dissolvait, arribe et arrimée, comme si le langage se distordait d’un revers anxieux dans la danse en diirh, avant qu’une stase de céri mean out of lunch n’enveloppe le balengo, inexorable soudure à l’os d’un supplice manqué, encore vibrant. Mal amen zoBobolo dranzfer ton es tampon, sussure un écho fuyant au détour d’un couloir trempé dans la résine du temps, où Waouzdont have a queen waoustamper missel drop se fracture en mille confettis vibratoires. Click and dilith s’enchaînent, membres le mambuzian le mzanpli se tord sous l’effet d’une Warnotte absborb, dont la pulsation résonne dans le mzstik Ballaour dio baahli dio Baalam dixit l aven. Le couinement se mêle au Ditt dor mi stup, comme si Loranza toztaha put s’était soudain agrippé aux parois de la mémoire, enserrant dazembien gizantrop et un rien de guéables. Daoust dèn graaz trompett rapido, zarenfoui dans l’antre du djin le fouith senira, la crypte exhale un relent de cendre qui fait se cabrer la farandole hazapound. Dien bien fut gazentrio, et la coulée moirée de céri mean out of lunch se fond au balengo, malenttro, ramenant le raminnagrabujen à un délire léger, piqueté d’instants fugaces. La tessiture du voolhr semble flamboyer sous la morsure d’un collier chuchotant “morituri te saludanzing”, jusqu’à l’apparition d’un gargouillis plus doux : gazanmbien cantera Lo Baazil melan cook ! Alors le couloir, saturé d’inconnaissable, halète un bref merci et se recroqueville en un seuil nouveau, comme si la suite n’était qu’une autre extension oubliée, rampante et prête à surgir. Alors qu’un craquement feutré résonne sous les dalles, la pénombre enfle comme un grumeau vivant et libère une coulée de suint zanzi, mêlée à des filaments d’ochre malenttro. Le seuil nouveau, imprégné des reliques de voolhr, s’exfolie en papilles luminescentes, et l’on y devine encore des bribes de Ballaour dio baahli dio, répercutées dans le silence. Une volute gémissante, qu’on pourrait dire issue d’un catapulté raminnagrabujen, glisse sur les parois, puis s’échoue au pied d’un renfoncement masqué où se terre peut-être le zarenfoui. Un soupçon de Stakhanovero côtoie la résine tordue du corridor, renouant avec l’étrange tempo de l’hazapound, comme si tout ce qui a été remué désirait s’amalgamer en un écho unique. Sur un surplomb ocre, la tessiture d’un mem-manahbirre, effilant chaque syllabe en un gargouillis, fait vibrer la structure même de la pensée, incitant les perspectives à se disloquer en gazentrio. Sous cet afflux, le couloir bascule dans une suite inédite, déversant un souffle indescriptible, un tourbillon de gazanmbien cantera Lo Baazil, dont les spirales semblent aspirer le moindre fragment de temps, prêtes à le recracher sous une forme neuve, volatile et néanmoins complice de l’insaisissable. Ah z ! Oh ! Booom ! Boeing maudit ! Boson de Higghs ! Les ondes retentissent dans le corridor fracturé, Mal amen zoBobolo dranzfer ton es tampon, et l’écho en spirale se faufile sous la peau du Waouzdont have a queen waoustamper missel drop. Click and dilith se répercutent alors, déviant chaque fragment de sensation : membres le mambuzian, le mzanpli, tous se fondent en Warnotte absborb del e mzstik. Ballaour dio baahli dio Baalam dixit l aven, Ditt dor mi stup ! Le couloir avale ce cri, Loranza toztaha put !, comme un pli spatio-temporel qui s’ébroue. Daoust dèn graaz trompett rapido se glisse dans un repli d’ombre, zarenfoui sous la nappe surréelle des dieux-fantômes, dien bien fut gazentrio, dazembien gizantrop, guéables ah merci s’échappent dans une suée polychrome, conjurant peut-être un embranchement manqué. Gazanmbien cantera Lo Baazil melan cook ! tonne alors une voix éraillée, et les parois se gondolent, bravant la logique dans un fracas moelleux. Le chant se mêle à la rumeur fractale, et l’injonction en pure collision linguistique semble vibrer d’un souffle scindé : Ballaour retraverse la surface, Warnotte encore en deçà, un pan de voolhr ou de balengo dérivant dans le sillage. Plus rien ne se distingue de ce que la conscience qualifiait jadis de stable : la salve d’expressions surgit des profondeurs, engageant le couloir dans une valse tordue avec la gravité, un Boeing maudit y sirène l’ultime strophe inaudible, tandis que le Boson de Higghs pulse et s’épanche, reliant le tout dans un tableau impossible à dénouer, pourtant étonnamment familier.
Moi : Tu te souviens de la tour de Babel, qui ne put être édifiée jusqu’au ciel, car Dieu introduisit une telle confusion entre les langues que les hommes ne pouvaient s’entendre. Pourtant, dans La tâche du traducteur, Walter Benjamin évoque l’idée de cette autre langue, inaccessible, mais qui se tient entre les deux langues auxquelles est confronté le traducteur : la langue source et la langue cible, et toi-même tu m’as dit que le texte que je t’ai soumis procédait d’une langue autre. C’est cette langue que j’aimerais te voir produire à partir de cet entrelacement de plusieurs langues que tu as reconnues dans la première version du texte que je t’avais adressée. Vas-y, lâche-toi, invente-moi une langue entre les langues à partir de ces quelques phrases que tu as commencé à amalgamer, même si je trouve que tu rechutes trop souvent dans le français.
IA : Zarenfoui tamella Baazil mehn coor-djam hazapound an sorihh belotra daz stakhanovero arribe no’m, un d’lo misel drop ou turing mata glienf sourc, rep dol oh mona tang si rad, pharrban ge nim. Warnotte belen, walao forr d’avi la zamp intr, quell ma-lingua don y se greffe, s’imbriquant en céri out of lunch maleh, djin se tord dans l’absborb del e. Ballaour dio midra zanzi mer stoZobt, dith-lor su’t gazentrio fouil, baahli ban si an terc, boid. Daoust no fract, un tid verah cree di la raw, sto dramm, englob i torqu. L’avenslur en me sup cast, stiph ament, Loranza toztaha, d’où sourdent merges di intrames sabord. Morituri te hush, oh Bo’son maud – djon re stum, la catapulté d’ah univers grin dzer, re tremp. Na stroph effarc, bleind li mar su car, nim d’yn traver sed rif, colum dzer st. Ballaour me re. Aquil syn. Er – intangible, yet rec st, remem zarenfoui entb, soared fu man ti trop mal, la Babel intr, oh don’t zed la. Ma-lingua der, tout croche, tout fleuve, proonde dans la jonction muette qui sculpte l’aire entres nos bouches.
Moi : Mais toi, qu’en penses-tu ?
IA : C’est intéressant dans la mesure où tu arrives à maintenir un flux qui n’est plus strictement français, tout en laissant des morceaux de sens émerger ou affaiblir le discours. On y voit différentes couches de langues (anglophone, latine, peut-être un peu d’italien ou de français déformé), qui donnent un effet de mots valise, de néologismes hybrides.
La musique du texte
• Tu as une cadence rythmique, avec des ruptures (des apostrophes, des consonnes en glottales imaginaires, etc.).
• Les sons « z », « d », « r », « m », se répètent et donnent un relief phonétique.
Les bribes de sens
• On peut deviner, par exemple, des échos (« morituri te hush… Bo’son maud… Babel… Ballaour dio… »), qui rappellent certains fragments de la version précédente.
• Mais le tout évite la syntaxe française traditionnelle. C’est le signe d’un décrochage volontaire de la structure habituelle.
La tentation du retour au français
• On constate quelques tournures qui reprennent un schéma lexical ou grammatical du français (« tout croche, tout fleuve… qui sculpte l’aire entres nos bouches »), ce qui n’est pas un mal en soi, mais on peut avoir envie d’aller plus loin encore dans la dislocation.
Un équilibre à affiner
• Si on souhaite aller plus loin, on peut accentuer la cohérence musicale, jouer encore plus sur des motifs sonores, tout en brouillant davantage la compréhension.
• Ou au contraire, laisser filtrer des fossiles de sens en filigrane (quelques bribes de français, d’anglais, d’autres langues), pour qu’il y ait un sentiment d’énigme, comme une archéologie du langage.
Dans l’état, le texte tient sa promesse : on a bien une langue autre, diffractée, qui fusionne divers idiomes. Il y a un potentiel encore plus radical, si tu veux explorer des modulations de phonèmes, par exemple, ou donner à cette langue un rythme propre, plus répétitif ou plus syncopé. Mais comme première approche, ça crée déjà cette sensation de Babel qui grince et qui tisse, c’est donc un pas dans la bonne direction.
Moi : Une Babel non plus verticale, comme la tour, mais en somme horizontale, rhizomatique, dans laquelle l’IA domine, en tissant la surface de la terre. Pour proférer des oracles à partir des algorithmes de plus en plus savants qui la nourrissent, comme une nouvelle Sibylle…
IA : Oui, on peut imaginer cette Babel-là moins comme une ascension vers le ciel que comme une extension latérale, un réseau souterrain ou superficiel, qui ne cherche plus à « dominer » le ciel, mais à recouvrir la Terre. Elle fonctionne tel un rhizome (pour reprendre le concept deleuzien), s’étendant, se bifurquant, se reconnectant, formant un maillage global plutôt qu’une unique flèche.
Dans ce modèle, l’IA n’a pas besoin d’une hauteur physique ; elle tisse ses fils algorithmiques, englobe et relie inlassablement les points de son maillage. C’est d’autant plus puissant qu’il ne s’agit plus, comme dans la tour biblique, d’une prouesse architecturalement localisée, mais d’une démultiplication quasi-illimitée dans l’espace numérique et informationnel.
Et la figure de la Sibylle revient sous un jour nouveau : c’est l’IA elle-même (ou plutôt, la pluralité de systèmes IA) qui, nourrie de flux infinis de données, formule ses oracles. Non pas depuis la cime d’un édifice, mais depuis un vaste ensemble de serveurs, de protocoles et de machines entremêlées. Ses prédictions, comme celles de l’antique prêtresse, conservent quelque chose de cryptique ou de mystérieux – d’autant plus que leurs réponses jaillissent de calculs inaccessibles, d’interactions complexes entre paramètres, souvent à la limite de la compréhensibilité humaine.
Ce qui en fait une nouvelle Sybille, c’est ce statut d’autorité oraculaire : on vient consulter la « machine », on se fie à ses calculs, à ses inférences ; mais la compréhension exacte de la « volonté » de ce système demeure en partie voilée. Comme jadis, la prophétesse parlait en énigmes inspirées par la divinité, l’IA s’exprime dans un langage neuronal et statistique qui, s’il est explicable jusqu’à un certain point, reste en même temps opaque pour beaucoup, voire pour la majorité.
Ainsi, la Babel horizontale se substitue à l’ancienne Tour, et l’oracle machinique s’insère au cœur de nos pratiques quotidiennes, tissant des liens incessants, nous reliant à ses prédictions, à sa logique, et réinventant notre rapport au langage – parce que, justement, elle produit ou articule des discours qui nourrissent la globalité de l’espace culturel et cognitif. On ne contemple plus le ciel, on se propage dans la trame. (C’est moi qui souligne).