J’ai, vous le savez, l’amour d’Israël chevillé au corps et à l’âme. J’ai couvert ses guerres. J’ai passé ma vie, contre la haine et la calomnie, à défendre son peuple et son armée. J’ai été, récemment encore, dès le 8 octobre 2023, parmi les premiers à me rendre dans les kibboutzim pogromisés et à témoigner, les yeux grands ouverts, de ce que j’y voyais. Israël, pour moi, est un point fixe. C’est un refuge. Un foyer. Et, dans ce beau mot français de foyer, j’entends aussi le point de lumière qui, depuis qu’Abraham y séjourna, aimante la pensée, l’attente, l’espérance juives. Bref, j’aime Israël. Et c’est pourquoi, lorsque vous m’avez invité à ouvrir, à Jérusalem, une conférence sur l’antisémitisme qui devait être conclue par votre Premier ministre, j’ai accepté sans hésiter. Mais c’est aussi pourquoi, apprenant la présence, à ses côtés et aux vôtres, de représentants des extrêmes droites européennes, j’ai préféré me rétracter. Je m’explique.
Je sais que les principaux partis d’ultradroite disent, à l’instar du Rassemblement national, avoir rompu avec l’antisémitisme. Et j’ai entendu les grandes voix (Serge Klarsfeld) qui leur ont fait crédit de ce changement de cap. Suis-je plus prudent ? Plus attentif à toutes les campagnes électorales où il a fallu exclure, dans l’urgence, des candidats néonazis que l’on avait hâtivement investis ? Ou ai-je trop travaillé sur la mécanique – introspection, excavation, travail de deuil et de mémoire – qui fait que les animaux politiques guérissent vraiment de la peste ? Il a fallu une vie à Bernanos pour rompre avec Édouard Drumont. Il a fallu une révolution sans pareille dans l’histoire des religions pour que l’Église catholique, apostolique et romaine rompe, à Vatican 2, avec l’enseignement du mépris. M. Bardella n’est pas Georges Bernanos. Et un congrès où le Front national se rebaptise, par décret, Rassemblement national n’est pas un concile.
Je sais aussi que la principale menace qui pèse, aujourd’hui, sur les Juifs d’Europe vient de l’extrême gauche et, dans mon pays, de La France insoumise. Et je vois bien le Rassemblement national jurer ses grands dieux qu’il est le meilleur bouclier d’un Cyril Hanouna caricaturé, sur une affiche électorale de LFI, en « Juif éternel » version 1940. Mais suis-je, là encore, trop prudent ? Suis-je, surtout, trop exigeant ? J’ai du mal à me sentir protégé par un parti dont le président ne sait toujours pas si Jean-Marie Le Pen était ou non antisémite et dont la candidate confond, dans le même opprobre, la kippa et le voile islamique. Je ne vois pas le bouclier quand je constate les liens de ce parti avec le pays, la Russie, qui a, le premier, au lendemain du 7 Octobre, salué, célébré et reçu avec les honneurs les responsables du Hamas. Et je préfère ne pas trop penser à la réaction des trumpistes de la vieille Europe le jour où leur modèle, autoproclamé, lui aussi, défenseur des Juifs, exercera son art du deal au bénéfice, par exemple, de l’Iran…
Car je sais enfin qu’Israël fait, comme tout le monde, de la realpolitik. Et je sais qu’un pays minuscule, presque une bande de terre, peut bien être le point névralgique de l’aventure humaine et la prunelle des yeux de la Providence : il doit en faire, hélas, plus que les autres et composer avec des forces qui, s’il ne les amadouait pas, le traiteraient comme une souris écrasée sous la patte d’un éléphant. Mais composer est une chose, s’associer en est une autre. Faire de la realpolitik, c’est inévitable – mais pas au risque de faire de Jérusalem, deux jours durant, la capitale d’une Internationale illibérale qui se moque des valeurs démocratiques qui sont l’un des piliers d’Israël. Je ne vais pas, cher président Herzog, vous incommoder de polémiques franco-françaises. Mais les Juifs ont été trop souvent, à travers les siècles, les dindons de la farce des puissances. Je ne vois pas pourquoi ils prendraient le risque d’embrasser, dans l’enthousiasme, la cause d’un parti qui s’est engagé dans une guerre à mort avec Les Républicains de Bruno Retailleau, les amis de Gabriel Attal ou les héritiers – car il en reste ! – des sociaux-démocrates qui ont fait d’Israël une puissance nucléaire.
Un dernier mot, monsieur le président. Vous êtes trop habité par l’histoire juive pour ne pas savoir qu’il y a dans cette passion des nations qu’elles appellent le nationalisme une machine infernale qui finit presque toujours par se retourner contre les Juifs. Et vous connaissez aussi, mieux que personne, cette forme d’idolâtrie si parfaitement opposée au mélange de mémoire, d’étude, de poésie et de modernité qui a permis aux Juifs, après des millénaires, de réhabiter la terre d’Israël. Longtemps les Juifs exilés ont psalmodié : « si je t’oublie, Jérusalem, que ma main se dessèche ». Le temps n’est-il pas venu, pour les Juifs d’Israël, de songer à leur tour : « si je t’oublie, âme juive, si je t’oublie dignité juive qui as survécu à tant de massacres sans jamais rien perdre de ton détachement face aux puissances, si je t’oublie être-juif qui voulus de toutes tes forces ne se confondre point avec les nations – et c’est, non la main, mais le cœur d’Israël qui se desséchera » ? L’exception juive est à ce prix. Donc, le sionisme et sa noblesse.
Nous avions déjà pointé le caractère, sinon la nature ironiquement obamienne du désengagement de Donald Trump en matière de maintien de la paix et de l’ordre mondial, mais nous avons beaucoup de difficulté à concevoir qu’un cow-boy à l’ancienne s’échine, de manière fortuitement amène, à ménager la susceptibilité des promoteurs mondiaux du concept d’islamophobie.
L’accord de Vienne restera dans les annales comme un osloïsme des plus éblouissants dont la pensée aveugle des nations se percevant comme éclairées nous avait presque convaincus de participer à l’accouchement par forceps ; tomber deux fois dans le même piège grossier que l’on s’est tendu à soi-même n’est pas envisageable, outre que cela obligerait Obama comme Hollande à proposer la candidature de Trump au prix Nobel de la paix.
Oh my fucking God ! punissez-nous si vous voulez, mais de grâce, abstenez-vous d’infliger des souffrances que nous nous révélerions incapables d’endurer.
la bonne raison de ne pas y participer en Israel est que cette assemblée est plus illibérale qu’anti-antisémite
cet argument ne vaut pas pour le RN actuel, qui est devenu fréquentable et parce qu’il est l’ennemi de nos ennemis, et donc notre allié sans être notre ami
par ailleurs, Bernanos n’a jamais renié Drumont
Trump est fidèle à ses valeurs que nous ne partageons pas. Dieu merci, l’opposition américaine est sur la même ligne que nous, qu’elle trahit, hélas, à tours de bras.
Trump n’aime pas plus notre Amérique que Le Pen ne défend notre France. Mais qui les aime et les défend ? et avec qui sommes-nous conviés à continuer de mener le combat pour des valeurs que nous n’osons même plus nommer tant elles ont été perverties en tous sens et aux pires fins utiles ?
La paix à laquelle Trump souhaite forcer le Kremlin dépend de la crédibilité d’un État symbole de la résistance au nouveau désordre mondial et, en conséquence, de la capacité à tenir en respect ses voisins dudit symbole que Marâtre Russie agresse à l’est de l’Europe ; un pays que quelques-uns d’entre nous, dont je suis, sont prêts à prendre le risque de voir intégrer notre Union ; que les uns invitent à s’asseoir à la table de l’OTAN, quand les autres redoutent la réaction incontrôlable qu’un tel coup de force géopolitique provoquerait chez l’envahisseur russe.
Le Pen a tort de s’opposer au renforcement de l’aide militaire à l’Ukraine. — La paix, si une esquisse de capitulation pouvait résulter de la défaite feinte d’une nation qui, après avoir recouvré sa souveraineté, préférerait se faire hara-kiri plutôt que d’aller redorer le blason d’un empire en prenant place de favorite aux côtés d’un violeur invétéré, la paix, disais-je, requiert de l’Occident une aptitude trop souvent défaillante à entretenir la foi dans ses forces de dissuasion conventionnelle et nucléaire.
Poutine doit être arrêté ; ça tombe bien, il peut l’être ; aussi veillerons-nous à ce qu’il le demeure, car nous n’ignorons pas qu’il guette le moindre signe de relâchement de notre part pour s’engouffrer dans l’esprit de nos lois comme dans les combles d’un hôpital grouillant de possédés.
On nous ordonne de réagir à la hauteur de la menace que présente la Russie pour une Europe que nous avons déjà commencé de déserter comme nos ancêtres fuyaient jadis les foyers de persécution, que ce soit par l’Alya ou, pour les détenteurs de la double nationalité, vers les États-Unis où un président anormal rompt en effet avec la nouvelle norme officieuse qu’ont instituée les organisations et institutions internationales depuis, non pas le 7 octobre 2023, mais bel et bien, hélas, un certain 11 septembre 2001 de sinistre amnésie, savoir la haine d’Israël et des Juifs.
Nous ne sommes plus embourbés dans le relativisme ; nous ployons sous le joug d’une sourde dictature, étant entrés à l’évidence dans une autre ère totalitaire qui ne dit pas son nom, un âge du fiel ayant su tirer avantage d’un bouclier de droits essentiels que l’on peut aisément retourner contre leurs principes suprêmes, à condition qu’on les eût convaincus de suprémacisme blanc, tout en chevauchant allègrement les libertés de culte et de conscience.
Demain comme hier, la gauche de gouvernement ralliera le Hamas en dénonçant « la situation effroyable de Gaza » dont elle attribuera la responsabilité au grand méchant Netanyahou sans comprendre que le 7-Octobre bis qu’Israël éviterait de justesse il y a de cela quelques semaines en Judée-Samarie, donne a posteriori raison au parti de Jabotinsky et renvoie par là même aux calendes grecques une solution à deux États qui ne déboucherait pas fatalement sur l’effarante coexistence entre, d’une part, la Palestine obsessionnelle de l’agitprop anticolonialiste (mais pas jusqu’au panarabisme) et, d’autre part, cet État islamique ultime que représente un Israël vidé de son peuple, que tout le monde feint de ne pas voir venir.
Face à la menace de dislocation que fait peser sur elle l’effondrement du rêve hugolien d’États-Unis d’Europe, matrice matérialisatrice d’États-Unis du Monde, la gauche qui jure et crache son intolérance à l’antisémitisme ira toujours glisser dans l’urne un bulletin hamassiste.
« Si le pangermanisme, c’est le mal radical, le panrussime c’est l’ultramal. — Et le panarabisme ? — Ah ! le panarabisme, c’est pas pareil… c’est merveilleux. » Une idéologie de gauche pour le moins paradoxale, sauf à combattre dans les rangs de l’Oumma au nom d’une fameuse et fumeuse convergence des révolutions inconciliables. Quand on pense que, pour paraphraser Mitterrand à qui l’on demandait où se situait le centre sur l’échiquier politique, les centristes des années 2020 sont clairement terrés au fond du couloir, mais cette fois-ci à gauche !
Le trumpisme n’est pas ma tasse de thé, sauf qu’au point de non-retour que l’on m’enjoint d’atteindre en célébrant notre propre extinction, il est la pire des Amériques, à l’exception de toutes les autres. Et ce n’est même pas par réflexe humaniste, mais par pur et simple patriotisme que le Miraculé fait le choix de sanctionner, à proportion de la menace qu’ils exercent contre tout et tous, les serviteurs ou nationaux ou internationaux du Califat fantôme.
Par conséquent, je ne vois qu’une solution pour sauver l’honnête humanisme, les droits individuels ou collectifs non dévoyés de la traverse de l’universalisme et, en vue de cela, dresser un cordon sanitaire autour de l’arabisation et l’islamisation d’un Occident voué à la panarabisation et la panislamisation : la solution de la dernière chance ; qui voudrait que les vrais progressistes fussent prêts à croiser le fer pour sauver l’architecture et l’horlogerie non négociables de notre conception de la civilisation ; or pour ce faire, il est absolument nécessaire que ces derniers des Mohicans que sont les esprits éclairés du siècle des anti-Lumières fassent imploser, chacun dans son camp, ce que nous appelions autrefois les partis de gouvernement, avant que la gouvernance des pays occidentaux ne se soumette aux exigences hypnotiques, asphyxiantes et rampantes du totalitarisme woke.
C’est ça ou la dixième croisade.
Nous avons donc le choix des armes.
Je ne dirais pas, Bernard-Henri Lévy, que j’ai été soulagé d’apprendre que vous vous récusiez, car je n’avais aucun doute à cet égard. Votre place, dans la lutte contre l’antisémitisme – une lutte dont je m’efforce d’être le témoin concerné et actif – est évidemment telle qu’elle ne peut se prêter à aucune compromission. C’en eût été une que de siéger aux côtés de dirigeants de formations d’extrême droite qui n’ont été invités en Israël qu’à l’initiative d’un Premier ministre engagé dans une remise en cause de la démocratie israélienne à laquelle je suis attaché depuis qu’enfant, à Paris – j’avais dix ans -, je vis Exodus, d’Otto Preminger. Par la suite, j’ai saisi toutes les occasions de travailler à comprendre l’antisémitisme et à le combattre. Je bute toujours sur l’énigme que constitue pour moi cette haine millénaire, mais je la combats avec une énergie entière.
Monsieur, je comprends vos préventions. Elles ont leur part de vérité. L’antisémitisme à l’extrême-droite demeure une réalité vivante. Mais il faut, quant à vous, reconnaître qu’il s’exprime aujourd’hui essentiellement en-dehors du RN (les blogs et médias d’extrême-droite antisémite français honnissent Marine Le Pen et encensent Mélenchon). La raison en est structurelle et profonde : la clientèle sociologique du RN se fiche de l’antisémitisme auquel elle n’est pas plus réceptive que la population générale ; en revanche, les jeunes Français du Bataclan s’identifient très bien aux jeunes Israéliens de la rave-party. Cela ne suffit certes pas à éteindre vos scrupules, mais cela suffit à sceller une alliance face à un danger commun. La Résistance drainait aussi dans tous les milieux intellectuels et politiques. En outre, une deuxième chose rapproche aujourd’hui les Juifs de France et la clientèle sociologique du RN : l’abandon par le bloc central et la social-démocratie. Le silence de MM. Hollande, Glucksman, Attal, Darmanin, Faure est assourdissant ! La social-démocratie a aussi engendré Laval et Déat, l’antisémitisme de centre-gauche propre sur lui. Les seuls social-démocrates qui se sont manifestés contre l’antisémitisme sont Manuel Valls et Bernard Cazeneuve, mais ils sont complètement marginalisés dans leur propre camp. Enfin, et ce qui est peut-être plus grave envie, concernant la clientèle sociologique du NFP en général (et pas uniquement LFI), que je connais assez bien, je peux vous dire que l’antisémitisme y fait des ravages. Y compris et notamment parmi une certaine bourgeoisie française des beaux quartiers qui exulte de voir son antisémitisme refoulé relégitimé par la gauche et l’islamisme (à la manière d’un Villepin, des animateurs de Radio France ou de l’humoriste Blanche Gardin). Donc, en résumé, vos préventions ont une part de vérité mais il faut aussi tenir compte du contexte historique concret : René Cassin et Romain Gary ont rejoint une France-Libre qui n’était pas exempte de relents antisémites et nationalistes.
JE REJOINS VOS ANALYSES/ CF LA PURETE DANGEREUSE……