Réponses aux questions de La Règle du jeu

Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez pris connaissance des crimes commis par Dominique Pelicot à l’encontre de son épouse et mère de ses enfants Gisèle Pelicot ?

Je lisais et je n’en croyais pas mes yeux, même si je savais que ce qui était écrit là dans le journal était vrai. J’ai tout de suite pensé à la folie à laquelle le fait d’être ainsi utilisée aurait pu mener Gisèle Pelicot. Au miracle de sa survie. Ces viols sont quelque chose que même un scénariste de film d’horreur n’aurait pu imaginer. L’esprit peine à comprendre comment une telle chose a pu se produire. Le comble, c’est que même ceux qui ont commis ces actes ne se reconnaissent pas en eux. J’ai été très troublée par un argument des avocats de la défense : ils plaident presque tous que leur client n’aurait pu commettre un viol tout en acceptant d’être filmé (puisqu’ils ont accepté d’être filmés). Ils oublient un peu vite que bon nombre de viols sont filmés par les agresseurs, certes dans des circonstances différentes. Mais aussi, cela nous apprend éventuellement que ces hommes pouvaient commettre un viol sans, sur le coup, le ressentir comme tel. Et cela dit quelque chose d’atroce sur le droit que s’arrogent certains hommes d’instrumentaliser le corps des femmes, en tout bien et presque tout honneur, en quelque sorte. En fait, ils ne voient littéralement pas où est le mal.

Pensez-vous qu’il y aura un avant et un après affaire Pelicot ?

Je me méfie des avant/après. Le cas si extrême des viols de Mazan rend facile de dire que ça, ça n’arrive pas tous les jours, que c’est une histoire exceptionnelle. Bon, j’espère que cela aura servi à ce que l’on s’interroge sur ce que cela veut dire, de préférer une femme inconsciente à une femme éveillée, car il me semble que c’est la question centrale, car cela pose de façon cruciale la question de l’intelligence et du libre arbitre des femmes, que décidément certains hommes préfèrent ne pas affronter.

Le procès des viols de Mazan vous semble-t-il exemplaire ou historique ?

Oui, ça l’est bien évidemment. Du fait que Gisèle Pelicot ait refusé le huis clos, décision immense. Du fait que les viols soient si documentés. Qu’il ne puisse y avoir de « parole contre parole ». Je pense que nous sommes loin d’avoir étudié et digéré tous les aspects de ces viols. Par exemple, personne ne parle de l’âge de Gisèle Pelicot. C’est une femme mûre. Aux cheveux grisonnants. Quel genre de domination ces hommes recherchaient-ils ? Quelle histoire se racontaient-ils ? Gisèle Pelicot est l’inverse d’une jeune fille qui se fait attraper par un salaud parce qu’elle incarne tout ce qu’est une chair fraîche, passez-moi l’expression. Donc il y a quelque chose là-dessous. Comme si l’âge de cette femme et donc sa maturité et son expérience étaient si terrorisants qu’il la fallait inconsciente à tout prix. Sans cerveau.

Si vous pouviez vous adresser à l’un des protagonistes de cette sordide affaire, qui choisiriez-vous et que lui diriez-vous ?

Je dirais à Béatrice Zavarro, l’avocate de Dominique Pelicot, que je la comprends. Lui, bien sûr, me donne envie de dégobiller. Je suis sûre que Dominique Pelicot la dégoûte elle aussi profondément même si elle plaide pour lui. Tout homme a droit à être défendu. Je lui dirais que je sais qu’elle ne plaide pas pour excuser mais pour que la dignité de la justice soit là. Une société où l’on voudrait juste pendre haut et court ce type répugnant aboutirait vite à une société encore plus violente. Et avec encore plus de viols, alors qu’il y en a déjà tant.

À Gisèle Pelicot je dirais : merci.