Dans l’aile Sully du musée du Louvre, une toile de Watteau, La Nymphe et le Satyre, parfois appelée Jupiter et Antiope, illustre une scène mythologique troublante. Jupiter, métamorphosé en satyre, soulève un drap blanc pour dévoiler Antiope, allongée au milieu d’un bois, nue et innocente, plongée dans un sommeil profond.
Cette scène, où le repos d’une femme devient le théâtre d’une intrusion masculine, a inspiré de nombreux maîtres de la peinture mythologique. Le Titien, Rubens ou encore Ingres pour ne citer que quelques exemples illustres en ont fait le sujet d’œuvres picturales majeures. Dans la version de Peter Van Dyck, le satyre pose sa main sur la cuisse d’Antiope, tout près de son sexe. Libre à chacun d’imaginer ce qui suit.
Le satyre existe depuis l’époque archaïque. Il est mi-homme, mi-bouc, bestial donc et souvent ithyphallique. C’est-à-dire qu’il se promène le pénis en érection.
Dans ces représentations, la nymphe ne semble ni droguée ni effrayée par la présence et les gestes du pervers qui se tient près d’elle. Elle demeure paisible, inconsciente, une image d’innocence offerte aux prédateurs.
Antiope, bien sûr, est un mythe. Toute femme sait qu’en dormant seule, nue, au cœur d’une forêt, elle tente le diable.
Antiope incarne un fantasme ancien. Celui d’une femme soumise, cueillie dans son sommeil comme une fleur inerte.
Ce fantasme traverse les âges et les récits. Dans La Belle au bois dormant, Aurore est réveillée par le baiser d’un inconnu qu’elle épouse aussitôt. Dans une version plus ancienne du même conte, Soleil, Lune et Thalie de Giambattista Basile, la belle endormie est violée dans son sommeil par un roi et tombe enceinte de jumeaux.
L’éducation culturelle tempère-t-elle les pulsions masculines ou, au contraire, les légitime-t-elle à travers l’idéalisation de telles scènes ? La réponse semble se situer dans une zone grise, entre civilisation et réminiscence de désirs sauvages.
Le procès des viols de Mazan révèle une réalité glaçante. Ce qui choque, ce n’est pas seulement la violence chimique infligée à la victime, mais la fausse ingénuité des agresseurs. Pendant plus de dix ans, aucun des hommes impliqués – pompier, infirmier, militaire – n’a eu le courage de dénoncer ce funeste manège. Plus effrayant encore est leur sentiment réitéré d’impunité.
Tant que la femme est inconsciente, ils ne se sentent pas violeurs. Ce n’est pas l’acte lui-même qui leur pose problème, mais le regard extérieur, le jugement d’autrui. Le viol existe lorsque la société en est témoin, le jour où Gisèle Pelicot ouvre les yeux.
Son ex-mari et ses disciples sont les satyres d’une nouvelle ère. Ce qui nous heurte c’est qu’ils arborent le visage de Monsieur Tout-le-monde. « L’enfer, c’est les autres. »
Je sombre alors dans la défiance. Au regard de cette affaire il est difficile pour une femme de ne pas être tentée de voir en chaque homme un potentiel agresseur. Je refuse d’y croire mais ma confiance vacille.
L’espoir réside avant tout dans la libération de la parole féminine. Mme Pelicot refuse le huis clos et le monde entier l’érige en exemple de courage, faisant d’elle une figure « star ».
Un tel procès historique participe à l’effondrement de certains stéréotypes de genre et nous incite à réévaluer un héritage patriarcal longtemps honoré. Plutôt que de brûler ou d’annuler cet héritage, nous devrions, sans haine, en dénoncer les ruses pour mieux témoigner de notre élévation.
J’ai remarqué que les hommes, même les plus progressistes, peinent à se remettre en question, à démanteler des siècles de domination masculine. Cette résistance, ce zèle à préserver leur petit pou- voir me fascinent.
J’aimerais les rassurer, leur dire qu’il n’est pas si honteux d’être perçu comme le sexe faible. Nous, les femmes, l’avons été si longtemps, et pourtant cela ne nous a pas empêchées de vivre.
Comme dirait le maire de Mazan, « Il n’y a pas mort d’homme ».
Oui, à des degrés divers, les humains sont des docteurs Jekyll et Mister Hyde ambivalents, tiraillés entre les interdits et leur transgression.
Le privilège de l’art est de nous faire percevoir notre ambivalence et de lui donner une autre issue que la satisfaction brutale ou le refoulement aveugle.