La classe enfantine de mon fils a voyagé dans le monde entier tout au long de l’été.
Sa maitresse, à l’imagination débordante, a dit à sa classe d’enfants de quatre ans que chaque jour, ils voleraient en avion vers un pays à chaque fois différent. Elle a mis les chaises des enfants sur deux rangs avec une allée centrale. Elle a apposé une ceinture de sécurité sur le dossier de chaque chaise. Chaque jour, elle choisissait un enfant différent pour s’asseoir face à ses camarades et portant une casquette de pilote. La maitresse jouait le rôle de l’hôtesse de l’air, cheffe de cabine, elle distribuait les lunch boxes des enfants, retournait le panneau « Attachez votre ceinture » chaque fois que l’un(e) d’eux allait aux toilettes.
Mon fils, n’était pas le seul j’imagine, comme tous ses camarades, à se réveiller chaque matin débordant d’excitation et à me demander : « Maman, vers quel pays vais-je m’envoler aujourd’hui ? »
C’est ainsi que lui et ses petits camarades de classe sont allés cet été en Italie manger des glaces qu’ils appelaient des « gelati ». Ils sont allés en Grèce jouer dans des piscines gonflables… à l’école. Ils sont allés en Hollande et ont tous apporté leurs vélos et leurs casques, et ont fait le tour de la cour de l’école. Mon fils m’a dit que c’était l’été le plus amusant qu’il ait jamais passé. J’ai souri, le cœur lourd. Je me demandais combien de temps son innocence heureuse et si attachante durerait.
Mon fils, bien qu’il n’ait que quatre ans, n’est pas complètement innocent. Il sait que nous vivons dans un pays en guerre. La moitié des enfants de sa classe ont des parents qui ont été éloignés de chez eux pendant de longues périodes – des semaines ou même des mois – pour effectuer leur service dans la Réserve. Deux parents de sa classe servent dans la police militaire, et, toujours en uniforme, déposent leurs enfants le matin à l’école.
Même si nous vivons à Jérusalem, qui est relativement sûr par rapport au reste d’Israël, nous avons eu des sirènes d’urgence et des alertes rouges. Mon fils a dû se blottir avec ses frères et sœurs aînés dans notre « chambre sécurisée », alors que nous, ses parents, n’étions pas à la maison.
L’autre jour, il m’a demandé si quelqu’un pouvait inventer une salle de bain sur roues.
« Pourquoi ?» ai-je dit.
« Si la sirène retentissait pendant que je suis aux toilettes, je pourrais faire rouler toute la salle de bain loin des méchants et ne pas avoir à me lever au beau milieu. »
Chaque nuit, il se réveille avec un autre rêve sur les « méchants » – ils s’infiltrent dans sa maison, sa classe et sa conscience. Et pourtant, miraculeusement, malgré tout cela, son institutrice a réussi à créer l’illusion que lui et ses petits amis passent l’été, insouciants, à voyager à travers le monde.
En réalité, peu d’Israéliens ont voyagé à l’étranger cet été. Ceux qui ne servent pas dans la Réserve ont probablement des enfants qui, eux, sont réservistes, ou des amis dont les enfants sont partis à la guerre.
« Priez pour mon fils, il part demain pour Gaza », m’adresse un ami par SMS.
Au lieu de répondre – que pouvais-je lui dire ? – je fais cuire une challah, une sorte de brioche sans beurre, pour Shabbat, ainsi qu’un pain, à donner à un ami qui récupèrera la challah pour la distribuer aux soldats.
Et pourtant, nous sommes chanceux. Certains Israéliens sont toujours en enfer, attendant et travaillant désespérément pour le retour de leurs proches dont les photos sont placardées sur les bords des routes et les panneaux d’affichage : RAMENEZ-LES À LA MAISON MAINTENANT. D’autres sont en deuil, paralysés par le chagrin. D’autres encore se demandent, s’ils pouvaient voyager, où aller ?
Notre monde, en effet, est devenu de plus en plus inhospitalier aux Juifs. Ma famille et des amis américains m’ont appris que des gardes armés font désormais partie du paysage quotidien devant chaque synagogue et chaque école juive, même s’il m’est difficile de l’imaginer. Mon mari, qui devait se rendre en Norvège pour une conférence universitaire, a été désinvité, tout comme ses collègues israéliens, la semaine où la Norvège, l’Irlande et l’Espagne ont reconnu officiellement la Palestine comme un État.
Mon fils me dit qu’il prend l’avion aujourd’hui avec sa classe de maternelle pour la Turquie. Le matin même j’apprends aux Informations qu’un avion israélien a dû atterrir d’urgence à Antalya pour évacuer un passager ayant besoin de soins médicaux urgents et que les autorités turques ont refusé que l’avion fasse le plein.
Je suis heureuse que mon fils – qui ne penserait jamais à quitter notre maison sans une kippa sur la tête et des franges rituelles pendant sous son T-shirt – croit toujours qu’il peut aller n’importe où librement dans le monde.
J’espère que les temps auront changé quand il sera assez grand pour en savoir plus.
Mon mari et moi sommes tous deux nés aux États-Unis. Établir notre foyer et élever nos enfants en Israël était un choix conscient. Nous voulions qu’ils grandissent dans un environnement où la culture juive est la culture nationale, où les rues de notre quartier portent les noms des douze tribus de Jacob, où les panneaux publicitaires annoncent les cours dispensés par les rabbins locaux, où les supermarchés proposent les aliments spéciaux pour la fête juive à venir, où nos enfants, devenus grands, fréquentent l’école publique du quartier, y prient tous les matins, étudient la Bible et la littérature rabbinique en plus des mathématiques et des sciences.
Et pourtant, tous mes enfants sont parfaitement conscients que le droit de vivre en tant que peuple libre sur cette terre n’est pas quelque chose que nous pouvons tenir pour acquis. C’est à la fois un immense privilège et une lourde responsabilité de vivre en tant que Juifs dans un État juif. Je ne pense pas que mon voyageur d’enfant, en jet, serait d’accord, mais si je pouvais prendre l’avion pour n’importe où dans le monde, il n’y aurait nul autre endroit où je préfèrerais être, que chez moi.
Traduit de l’anglais par Gilles Hertzog
Cette contribution est parue dans On Being Jewish Now, un recueil de textes publié par l’éditrice Zibby Owens. Rassemblant soixante-quinze signatures, l’ouvrage propose une réflexion sur ce que signifie être juif et sur la façon dont la vie a changé depuis les attaques du 7 octobre 2023. Les auteurs abordent la culture juive (la célébration, l’humour, la cuisine, l’amour, la famille) mais aussi le traumatisme et le deuil, s’attardant sur la résilience et l’humour juifs.
Tous les bénéfices du livre seront reversés à l’organisation Artists Against Antisemitism.
MES YEUX SE SONT HUMIDIFIES A LA LECTURE DES PREMIERES LIGNES ET LES LARMES SE SONT SUCCEDEES, NOS ENFANTS SONT LES MEILLEURS DU MONDE… HAM ISRAEL HAY
Je pleure de chagrin en lisant le témoignage de cette professeure. Mais assise à mes côtés, drapée dans sa dignité, une Palestinienne me demande si l’un des élèves de cette professeure juive israélienne est allé visiter Gaza? Je lui ai répondu qu’il n’y avait pas d’autre avion pour Gaza que des F15!