Saluons l’intelligence artistique d’Imanol Pradales Gil, président du conseil de surveillance de la Fondation du musée Guggenheim de Bilbao et de Juan Ignacio Vidarte, le directeur général sortant du Guggenheim qui organisent une rétrospective exceptionnelle de l’artiste suédoise Hilma af Klint (1862-1944), sous le double commissariat de Tracey R. Bashkof et Lucía Agirre, respectivement directrice sénior des collections et conservatrice actuelle. Précurseuse et préfiguratrice de l’abstraction, Hilma af Klint est la contemporaine de Malevitch, Kandinsky, Klee, alors qu’elle est quasi inconnue en France. La dernière exposition qui eut lieu à Paris, fut organisée à l’Institut suédois en 1922.

Il faut toutefois rappeler qu’Hilma af Klint n’acceptait de montrer à de petits cercles d’initiés que ses seules peintures figuratives, jusqu’à sa mort en 1944, à Stockholm. De son vivant, ses œuvres ne furent pas exposées au public. Puis, à partir de sa disparition, par volonté testamentaire, elles échappèrent complètement au marché de l’art. N’ayant pas eu d’enfant, elle légua toute son œuvre à son neveu avec obligation d’attendre vingt ans avant qu’elle puisse être exposée. Au final, près de trente ans ont passé pour qu’une fondation fût créée, au début des années 1990, grâce à son petit-neveu. Pourtant, il fallut encore attendre près de quinze nouvelles années pour que ses œuvres soient enfin exposées dans des musées européens. The Solomon R. Guggenheim Foundation, organisa la toute première exposition « Hilma af Klint : Paintings for the future », à New York, en mars 2019, qui révélaient 170 œuvres aux amateurs d’art américains. Deux ans plus tard, c’est encore le Guggenheim, cette fois à Bilbao, qui l’expose. 

Hilma af Klint
Hilma af Klint, Stockholm, vers 1910. Photo : Fondation Hilma af Klint

Très rarement, jamais peut-être, l’œuvre d’un(e) artiste de cette dimension, à l’époque contemporaine, n’avait été conservée après sa mort dans un tel secret, quatre-vingts ans durant, excluant l’idée que celle-ci puisse être une marchandise à vendre comme les autres. Personnellement, je n’ai entendu pareille requête que de la part de Rothko, qui, à la fin de sa vie (il se suicida), refusait que ses peintures ne deviennent des œuvres de spéculation, et de celle de Gerhard Richter pour sa série Birkenau, qu’il légua à sa future fondation, de crainte que ses quatre toiles sur l’extermination des juifs à Auschwitz-Birkenau (2015) ne se retrouvent un jour en salle des ventes. 

Hilma af Klint était une mystique et l’exposition de Bilbao montre la puissance symbolique, mystique, de ces peintures, de ses dessins, dans une quête éperdue non de syncrétisme mais de convergence vers une symbiose universelle. Ainsi naquit un ensemble de 193 œuvres nommées « The paintings for the Temple » (1906-1915). Klint aurait rêvé que fût construit spécialement pour accueillir son œuvre un temple hélicoïdal, qui ne sera jamais bâtit, contrairement à la chapelle Rothko construite à Houston grâce au couple de collectionneurs franco-américains Jean et Dominique de Ménil.

Hilma af Klint fut l’une des artistes à la fois originaire et déjà à la pointe de l’abstraction géométrique. Ses références audacieuses, liées à la mystique kabbalistique aussi bien qu’aux mystiques chrétiennes, bouddhistes, musulmanes, occupent une place cardinale dans son œuvre. Le cercle devient très vite un symbole cosmique qu’elle utilisera fort souvent comme l’étoile à sept branches. La sexualité est l’autre pôle de sa vision de l’union de l’homme et de la femme. Sexualité sublimée dans sa série L’arbre de la connaissance (1913-1915), qui trouve sa quintessence dans sa série Le Cygne, peinte en pleine Première Guerre mondiale. Après avoir achevé sa série Peintures pour le Temple, en 1915, elle écrit : « Là où la guerre a détruit des plantes et tué des animaux, il y a des espaces vides qui pourraient être à nouveau remplis de nouvelles figures, s’il y avait suffisamment de confiance dans l’imagination humaine et dans sa capacité à développer des formes supérieures. »

Dans sa peinture Le Cygne, grand carré noir dans sa partie supérieure, et blanc dans l’inférieure, Klint peint deux cygnes, en haut le cygne blanc et en bas le noir, dont les deux ailes se touchent et qui se nourrissent l’un l’autre ou s’embrassent à la façon des cygnes, selon une courbe d’une majesté intense.

Klint appartenait à un groupe de femmes, The Five, qui communiquaient avec les esprits. Dans l’une de ses séances entre théosophie et rosicrucianisme, elle entendra une voix lui intimant la mission de créer un ensemble unique, d’où sa série de Peintures pour le Temple.

Devant certaines de ses toiles, ses cercles, ses diagrammes, ses « Grandes peintures de figures, série WU/Rose. Groupe III », on peut penser à Kupka (Autour d’un point, 1911-1930), son autre contemporain majeur. Comme lui, Hilma af Klint fut fascinée par les mouvements circulaires, les diagrammes chers au bouddhisme, comme en témoigne son œuvre unique du Centre Pompidou « The Large Figure paintings, n°5, Group III », datée de 1907. 

Retable, Peinture de l'artiste suédoise Hilma af Klint.
Retable, Retables, Groupe X (Altarbila, Altarbilder, Grupp X), n° 1, 1915. Huile et feuille de métal sur toile, 237,5 X 179,5 cm. Courtoisie The Hilma af Klint Foundation, Bilbao 2024.

L’exposition de Bilbao révèle, en outre, ses Retables et l’on ne peut pas ne pas citer ici la double exposition de Fabienne Verdier, Retables, de la galerie Lelong à Paris et à Londres, cet automne, qui fut de l’ordre de l’illumination, de la révélation de la part secrète de l’abstraction la plus pure.

Les Retables et les Peintures pour le Temple, de Hilma, forment autant d’imposantes formes géométriques, tels des triangles pénétrant des cercles, des pyramides pénétrant des diagrammes célestes. Imprégnée d’expérience mathématiques, scientifiques, mythologiques et spirituelles, Hilma af Klint laissa une œuvre unique, sans avoir été adoubée, bien au contraire, par Rudolf Steiner, le célèbre anthroposophe, qui n’a pas su accepter la vision de cette femme artiste, qui révolutionnait les formes de l’art avant ses congénères masculins. 

Marie-Ève Charron (Le Devoir, du 16 mars 2019) parlait du « langage de réconciliation » portée par la vision de Hilma af Klint, tout en rappelant que l’artiste rêvait que son art puisse assurer « le salut de l’humanité ».

Dans la situation quasi-apocalyptique que notre humanité et notre planète, inséparablement, traversent, l’art visionnaire de cette mystique est une sorte de rédemption par la peinture pour ceux qui connaîtront son œuvre.

Encore une femme et une artiste d’exception à découvrir à Bilbao avant le 2 février !


Guggenheim, Bilbao, Exposition « Hilma af Klint », jusqu’au 2 février 2025.

Catalogue en espagnol Hilma af Klint, dir. Tracey R. Bashkoff et Lucía Agirre.

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