Contre la Russie, une unité réaffirmée
Le 26 février 2024, le président Emmanuel Macron réunissait à Paris vingt-sept chefs d’État, de gouvernement ou leurs représentants ministériels, à l’occasion d’une conférence de soutien à l’Ukraine, au Palais de l’Élysée. Cette conférence, s’inscrivant symboliquement et politiquement dans les commémorations des deux ans de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie, se voulait aussi l’occasion « de partager le constat de la profonde déstabilisation causée par la Russie », de « son agressivité renouvelée contre l’Ukraine et contre l’Europe », et « d’étudier les moyens disponibles pour répondre avec toujours plus de rapidité et d’efficacité aux besoins de l’Ukraine et de son peuple ». Le président déclare alors dans son allocution introductive :
« D’abord, la Russie ne peut ni ne doit gagner cette guerre en Ukraine pour l’Ukraine elle-même. Deuxièmement, nous sommes en train d’assurer notre sécurité collective, d’aujourd’hui et de demain. Et donc de manière très claire et encore plus claire qu’hier, compte tenu des attaques que nous subissons, c’est aussi notre sécurité dont nous parlons. »
Deux ans après le début de l’invasion de l’Ukraine, les participants réaffirment leur unité ainsi que « leur détermination à faire échec à la guerre d’agression menée par la Russie en Ukraine. »
Constat posé. Unité de vues affichée sur le danger accru que la Russie représente. Les vingt-sept ont aussi entendu, via une vidéo, les demandes du président Volodymyr Zelensky d’amplification du soutien à l’Ukraine – vital et urgent –, et à l’unanimité, semble-t-il. Les vingt-sept sont convaincus de la nécessité d’une défaite de la Russie, indispensable à la sécurité et la stabilité en Europe, à la possibilité pour les Européens de définir leur propre sécurité collective.
Un envoi de troupes françaises au sol en Ukraine ? Rien n’est exclu
Financements, cyberdéfense, coproduction d’armement, munitions, défense des pays menacés, coalition sur les frappes en profondeur, opérations de déminage : les vingt-sept apparaissent volontaires. Y compris sur un point : la capacité de soutenir l’Ukraine à sa frontière avec la Biélorussie avec des forces non militaires ; « rien ne doit être exclu », y compris face aux menaces sur notre sécurité collective que font peser les attaques multiples hybrides russes.
Lors de la conférence de presse organisée à la suite de l’événement, le président français revient sur les propos du premier ministre slovaque quant à l’envoi éventuel des troupes au sol. Le président répond une première fois : « Il n’y a pas de consensus aujourd’hui pour envoyer de manière officielle, assumée et endossée des troupes au sol. Mais en dynamique, rien ne doit être exclu. Nous ferons tout ce qu’il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre ».
Quelques minutes plus tard, un journaliste du Monde interroge à nouveau le président, toujours à propos de l’envoi éventuel de troupes au sol : « vous dites que cela a été évoqué, quels sont les pays qui envisageraient de le faire à titre bilatéral ? Et pourquoi la France n’y est pas favorable à ce stade ? »
Emmanuel Macron répond alors exactement :
« Je n’ai absolument pas dit que la France n’y était pas favorable. Je ne lèverai pas l’ambiguïté des débats de ce soir en donnant des noms. Je dis que cela a été évoqué parmi les options. Je vous ai dit les cinq points sur lesquels il y avait un consensus qui s’était établi. Si ces points d’ailleurs étaient totalement mis en œuvre, et il ne faudrait pas exclure qu’ils nécessitent des sécurisations qui justifient ensuite quelques éléments de déploiement. Mais je vous ai dit de manière très claire ce sur quoi la France maintiendra sa position, qui est une ambiguïté stratégique que j’assume, rien ne doit être exclu pour poursuivre l’objectif qui est le nôtre : la Russie ne peut et ne doit gagner cette guerre. »
Cette option n’avait, jusque-là, jamais été formulée publiquement par Paris. L’onde de choc médiatique de la nouvelle est colossale. S’en suivirent des semaines de débats enflammés, entachés par beaucoup de mensonges. Au lendemain de cette conférence de presse inaugurale d’un tournant offensif des vint-sept à l’égard de la Russie, Mykhaïlo Podoliak, conseiller du président Zelensky avait considéré les propos d’Emmanuel Macron comme « un bon signe » :
« M. Macron fait preuve maintenant d’une profonde compréhension des risques que la guerre en Ukraine fait peser sur l’Europe ».
Du côté des Pays baltes, parmi les premières lignes potentielles de l’OTAN face à Moscou, notamment en Lituanie, un conseiller du président Gitanas Nauseda avait confié à la presse que son pays envisageait déjà l’envoi de troupes en Ukraine, pour y former des soldats : « Nous parlons de cette possibilité et nous le faisons ouvertement. Il y a beaucoup de nuances sur ce qui pourrait se passer et dans quelles conditions ».
L’option sera reconduite en mai dernier par Emmanuel Macron, dans une interview pour The Economist : « Je n’exclus rien, parce que nous avons face à nous quelqu’un qui n’exclut rien »,déclare-t-il à l’hebdomadaire, « Nous aurions tort en termes de crédibilité, de dissuasion vis-à-vis des Russes, de l’écarter », il précise que cette option est valable seulement si « les Russes devaient aller percer les lignes de front et s’il y avait une demande ukrainienne ».
C’était il y a quelques mois. Le Kremlin est toujours furieux à cette idée. Autant que les tirs de missiles d’ATACMS américains et de Storm Shadow britanniques sur quelques-uns de ses sites militaires.
Alliée de la Russie, la Corée du Nord entre en guerre !
Arrivent les élections américaines ; les inquiétudes quant à certaines cités ukrainiennes ; tous les jours, Poutine tue, torture, bombarde, viole, terrorise, les civils ukrainiens, rase et pille les villes ukrainiennes. Depuis quelques semaines, la Corée du Nord est entrée en guerre : environ 10.000 soldats seraient prêts à être envoyés au combat contre l’Ukraine, voire beaucoup plus. L’Iran ne se cache plus. Des ressortissants de Syrie, de Cuba, du Népal et de l’Inde auraient également été déployés du côté russe de la guerre. Et la propagande du FSB tourne évidemment à plein tubes : menaces d’Armageddon Potemkine nucléaire, de 3ème Guerre mondiale encore et toujours, de destructions satellitaires sur les plateaux délirants des talk-shows de la télévision nationale russe, sabotage de câbles de communication, etc.
Depuis quelques semaines, le président tchèque, Petr Pavel a accordé officiellement la permission à plusieurs dizaines de ses citoyens de rejoindre les forces armées ukrainiennes. Cette décision a suscité des menaces de la part du ministère russe des Affaires étrangères, quant à la sécurité des ressortissants tchèques. Sans suite.
Alors que l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie se poursuit, que s’allonge la liste des crimes et des exactions russes, des bombardements quotidiens des civils, des femmes, des enfants, que la Russie continue de déporter, que des villes sont rayées de la carte d’Europe, que des trésors d’histoire et de culture ukrainiennes se trouvent réduits en miettes, alors que la situation militaire dans l’Est du pays est extrêmement difficile, que le froid menace à nouveau les populations, que les Russes ne seraient qu’à 7 kilomètres de Pokrovsk, que les combats dans les tranchées vont au-delà de l’épuisement pour une partie de l’armée ukrainienne, résistant, seule au sol, face aux vagues de soldats à usage unique envoyées par la Russie pour éreinter leurs défenses, ne serait-il pas « urgent de montrer au monde que la France et l’Europe sont prêtes à répondre au défi de l’histoire ? ».
La Tribune parue dans Le Monde
C’est la demande d’un collectif de militaires, intellectuels, chercheurs et représentant de la société civile ukrainienne dans une Tribune parue dans Le Monde le 20 novembre dernier, développant les arguments d’une décision que la France pourrait s’honorer de prendre, car « Vladimir Poutine, on le sait, ne s’arrêtera que devant la détermination claire de ses adversaires ».
« En effet, de la victoire de l’Ukraine dépendent les prochaines décennies et le destin des générations à venir. Liberté ou servitude, vie ou mort, dignité ou destruction : jamais depuis 1945 la question ne s’était posée en des termes plus radicaux », disent les auteurs de cette demande franco-ukrainienne, appelant la France à réunir une coalition européenne d’instructeurs militaires en Ukraine, « ce qui aiderait considérablement ce pays agressé et serait une manière efficace de dissuader les attaques de l’armée russe. »
« Cette initiative, en bénéficiant à l’Ukraine, contribuerait également à la sécurité et à la stabilité de l’Europe tout entière. Le déploiement de quelques milliers de soldats sous bannière européenne aurait, de fait, un effet de sanctuarisation du territoire ukrainien encore libre, mais irait aussi dans le sens du désir exprimé par la France d’un renforcement de l’Europe de la défense. » poursuit le texte, « En prenant l’initiative de cette coalition européenne, la France non seulement consoliderait la solidarité entre les nations européennes, mais affirmerait également sa position de leader sur la scène internationale. Tandis que, parmi nos alliés, certains se montrent hésitants, notre pays afficherait sa capacité à prendre une décision courageuse dans un moment critique. »
Quid, alors, de l’escalade redoutée par les partisans de l’apaisement ?
« Face à l’agression de Moscou, l’Ukraine a montré une résistance exemplaire et a témoigné de sa capacité d’innovation opérationnelle, en visant des objectifs militaires y compris sur le territoire de la Fédération de Russie, comme l’article 51 de la Charte des Nations unies l’y autorise » (…) « Cessons, au demeurant, d’évoquer le risque d’une prétendue “escalade”. Le terme n’a aucun sens lorsqu’on se porte au secours d’un pays attaqué, et il s’agit bien ici de sauver la vie de milliers de civils, sans impliquer les forces armées françaises directement dans les combats. »
Une telle coalition serait un geste fort, un geste utile, une affirmation politique fondamentale, un geste absolu de dissuasion conventionnelle. Nous savons qu’une partie significative des militaires y est déjà favorable. Ce serait une preuve essentielle de notre engagement pris auprès des Ukrainiens, une ultime façon d’écrire et de graver qu’on ne les abandonnera pas, que nous serons toujours à leurs côtés, que l’Ukraine n’est et ne sera pas seule à l’avenir.
Christophe Lemoine, porte-parole du Quai d’Orsay a pu apporter quelques éléments de réaction il y a quelques heures, sur la chaîne LCI : « Comme l’avait dit le président de la république en février dernier, en dynamique, toutes les options sont ouvertes et sont sur la table. (…) Des bataillons ukrainiens sont accueillis et formés sur le sol français, comme le Bataillon Anne de Kyiv. (…) Rien n’est à exclure et les idées qui sont développées dans cette tribune sont des idées qui rentrent dans cette logique-là. (…) Cette hypothèse est toujours valables et si cette coalition est européenne, cela doit être discuté entre européens ».
Ce 23 février, l’Ukraine commémora les 91 ans de l’Holodomor, soit l’extermination par la faim, entre 1932 et 1933, d’au moins 4,5 millions d’Ukrainiens par Staline et le régime soviétique. L’Holodomor a été reconnu il y a peu par la France comme génocide. Ce 23 février 2024, n’oublions pas de quelle nature est le crime du Kremlin à l’endroit de l’Ukraine et de quoi est faite l’agression russe contre le peuple ukrainien depuis tant d’années.