Depuis le 2 novembre, nous sommes sans nouvelles d’Ahou Daryaei, l’étudiante en littérature française à l’Université islamique Azad de Téhéran dont l’acte de courage a ému la toile. Héroïne de l’esprit de résistance iranien, la jeune femme aurait été harcelée par des forces de sécurité pour avoir prétendumment mal porté un voile, le maghnaeh[1]. Ces mains policières du régime des mollahs auraient déchiré ses vêtements. En signe de rébellion, elle les a enlevés.
De cet instant puissant de révolte, seules quelques courtes vidéos, filmées par des téléphones portables, nous sont parvenues.
On l’y voit marcher parmi les étudiants, avec calme, les bras croisés. Certains semblent stupéfaits, d’autres feignent l’indifférence, d’autres encore demeurent en retrait. Ahou Daryaei, altière et seule, avec sa chevelure noire qu’elle ne cache plus, reste imperturbable. Comment savoir ce qui traverse son esprit à cet instant ? Des camarades auraient-ils pu la soutenir ? Quels mots a-t-elle pu prononcer là, assise sur le rebord d’un escalier, bravant tous les interdits ? La scène est sidérante.
D’autres vidéos racontent la suite. Ahou Daryaei est poussée de manière abrupte à l’arrière d’une voiture par plusieurs hommes. Elle est désormais internée dans un hôpital psychiatrique, en danger de mort parce qu’exposée aux tortures pratiquées dans ce genre d’établissement en Iran.
Dans la noble lignée des résistantes iraniennes
Dans un message-vidéo diffusé quelques heures plus tard, un présumé époux d’Ahou Daryaei, le visage flou, supplie en larmes : il ne veut plus que la vidéo de « son épouse » circule. Cela ressemble à une construction du régime iranien et de son atroce ministère de la Promotion de la vertu et de la Répression du vice. Mais il est déjà trop tard, la planète s’est emparée de la figure d’Ahou. Sa silhouette a fait le tour du monde en quelques heures à peine. On la dessine, on écrit son histoire, tout le monde en parle. Elle est devenue un symbole.
Son geste de désobéissance civile s’inscrit dans la lignée de celui de Mahsa Amini, l’étudiante irano-kurde décédée en 2022 lors de son arrestation par la Police des mœurs.
La jeune étudiante d’Azad perpétue la vague de protestations des Iraniennes contre l’obligation du port du voile.
Elle nous rappelle les manifestations advenues à la suite de la mort de Mahsa Amini et contre les tenants de la « conduite morale » capables d’éliminer une femme pour « port de vêtements inappropriés ».
La chevelure dévoilée d’Ahou Daryaei, comme une lame de fond, est aussi parlante que les mèches de cheveux que de nombreuses femmes ont choisi de se couper à l’automne 2022 – un rituel de deuil collectif, répandu dans certaines régions d’Iran, comme le Kurdistan. Dans la mythologie, la littérature et la poésie persanes des ghazals ce geste féminin pouvait relever de la protestation politique, de la lutte du bien contre le mal, mais aussi symboliser la pulsion de vie, l’évolution et le changement.
Ces cheveux poursuivis et craints par les ayatollahs sont devenus une arme de mobilisation massive. Ainsi, pour un instant, la parure sombre et solitaire d’Ahou a vaincu la censure des Mollahs, tandis que sa petite brassière violette a pulvérisé les stratagèmes de communication de ces hommes vêtus de noir et portant des turbans couleur de linceul.
Nous l’espérons vivante. Mais à cette heure, rien est moins sûr…
De la folie comme arme de guerre
Internée à l’asile, Ahou a été déclarée folle. Voilà comment les autorités en place l’ont réduite au silence. La machine à mensonges de la propagande iranienne s’est ainsi mise en branle. En France, l’ambassade d’Iran assure que « cette étudiante souffrait de certains problèmes familiaux et de condition psychologique fragile » et que « des signes de comportements anormaux avaient déjà été observés par son entourage ». D’une même voix, l’Université islamique Azad prétend qu’« elle était sous forte pression psychique et souffre de troubles mentaux ». Ahou Daryaei, mère de deux enfants, s’était séparée de son époux. Aux yeux des mollahs une femme divorcée, aspirant à la liberté, ne peut être que suspecte, malade, folle. C’est une habitude des systèmes totalitaires que de renvoyer leurs opposants à la psychiatrie.
Parce que le geste des femmes iraniennes est entendu à travers le monde, Mehri Talebi Darestani, directrice du Département des femmes et de la famille à Téhéran, répond par l’ouverture d’un « centre spécialisé de traitement psychologique » destiné aux femmes non voilées. Un projet aussi glaçant que les millions d’internements pour « schizophrénie torpide » en URSS dans les années 60 – lorsque le KGB inventait des maladies pour mater les dissidents. Il s’agissait alors de substituer l’asile au Goulag afin d’assurer une « détente » de façade pour l’opinion l’internationale. C’est dans cette symphonie paranoïaque, russe puis iranienne, nouée autour d’une propagande criminelle, que la quête de dignité et de liberté devient une maladie.
Face à l’alliance russo-iranienne, une internationale de la résistance ?
Les Ukrainiens résistent face à l’agresseur russe. Les armes de la Russie proviennent d’Iran. Ainsi les femmes et les hommes d’Ukraine se battent également contre la dictature islamique en Iran.
En effet, cet automne, les forces russes ont lancé sur l’Ukraine dix fois plus de drones iraniens Shahed (« martyre » en perse) que l’année dernière. Il y en eu 700 en septembre, puis 2000 en octobre. Des records ont été battus. Au cours de la semaine de l’arrestation d’Ahou Daryaei en Iran, 900 drones guidés par les Russes ont visé l’Ukraine. C’est énorme, et ce n’est pas un hasard.
Le 9 novembre, pour l’anniversaire de la Chute du mur de Berlin et les commémorations de la Nuit de Cristal, Odessa était en flammes : un essaim de 51 drones équipés d’ogives thermobariques a ciblé la ville.
Le 11 novembre, à Kryvy Rih, une famille a été décimée par une frappe balistique russe. Une femme et ses trois enfants (deux petits garçons de deux et dix ans, une petite fille de seulement deux mois) sont morts dans les décombres d’un immeuble résidentiel.
Au même moment, 12.000 soldats nord-coréens auraient été déployés dans l’oblast de Koursk auprès de la Russie. L’alliance qui va de l’Iran à la Russie en passant par la Corée du Nord dit désormais son nom, elle ne se cache plus.
Pour les indéboulonnables Norpois de l’époque, il serait plus « réaliste » et « raisonnable » que les Ukrainiens abandonnent d’un côté et que les femmes iraniennes acceptent de se soumettre de l’autre. La torture et les viols dans le silence des oblats se poursuivraient ainsi dans le cadre d’un conflit dit « gelé », à l’occasion d’une « finlandisation » du dossier ukrainien. Tandis qu’en Iran, les femmes et les dissidents seraient toujours cadenassés, internés, humiliés, muselés dans des centres psychiatriques.
Serions-nous alors dans un monde raisonnable et apaisé ? Non, bien sûr. Abandonner une nation à court d’armes, ne pas venir en aide à tout un peuple terrassé par un régime islamique, là serait la véritable folie.
De Téhéran à Kyiv, il est des femmes et des hommes de bonne volonté que nos lâchetés n’arrêteront pas. Je pense à Ahou Daryaei, aux combattantes ukrainiennes. Certaines tomberont en chemin. Elles le savent bien, mais ce qu’elles dessinent est si grand et si fondamental qu’elles disent ne pouvoir n’abandonner leurs luttes qui entrent en écho. Un jour ou l’autre, elles gagneront. Et celles qui n’auront pas eu à subir de chagrins irréversibles oublieront, peut-être, les jours où certains avaient songé à les laisser tomber. Ukrainiennes, Iraniennes, elles ont les mêmes aspirations : la liberté. Elles résistent pour leurs filles. Les guerres ne se gagnent jamais sans les femmes. « Résistance » est un mot féminin.
[1] Voile obligatoire dans les écoles et universités, couvrant les cheveux, les oreilles et les épaules.
Oui mais si ça se trouve elle a réellement fait une bouffée délirante…