Respireront-ils à nouveau un jour l’air de la liberté ? Quand et comment leur calvaire prendra-t-il fin ? Le sort des présidents, ministres et hauts responsables de la République du Haut-Karabakh (Artsakh), arrêtés dans la foulée de l’offensive militaire turco-azerbaïdjanaise contre cette entité, ne laisse pas d’inquiéter. Un an après leur incarcération, on ne dispose toujours d’aucune information vérifiable sur leur situation. Ce qui n’augure de rien de rassurant, eu égard à ce que l’on connaît des pratiques de la dictature azerbaïdjanaise. Ont-ils été maltraités ? Torturés ? Le sont-ils au moment où s’écrivent ces lignes ? Le pire est, hélas, à craindre d’un État dont le président s’est fait filmer en train d’essuyer ses pieds sur le drapeau du vaincu, ce à quoi même Hitler ne s’était pas abaissé. Est-il dès lors bien pertinent dans ces conditions d’invoquer la Convention de Genève sur les prisonniers de guerre, le respect des droits de l’Homme ? Ou encore la transparence ou la liberté d’informer ?
Parce qu’on lui a littéralement tout passé depuis 40 ans, cette pétrodictature du Caucase soutenue par Ankara et courtisée à la fois par Poutine et Ursula von der Leyen se croit aujourd’hui tout permis. Et ce, bien au-delà de son domaine de nuisance habituel. Ses défis envers l’État français, membre du Conseil de Sécurité, témoignent de son niveau d’arrogance. Après s’être essayé à des tentatives de déstabilisation de la République jusque dans ses départements d’outre-mer, c’est à ses citoyens, dont au moins deux sont actuellement pris en otage, que l’Azerbaïdjan s’attaque. L’artiste plasticien Théo Clerc, condamné le 12 septembre à trois ans de réclusion pour un tag dans le métro de Bakou, a ainsi rejoint dans les geôles azerbaïdjanaises son compatriote Martin Ryan, qui y croupit depuis le 4 décembre 2023, au motif d’une opportune accusation d’espionnage. Personne n’est bien sûr dupe : ces incarcérations visent à punir la France pour son soutien aux Arméniens après le nettoyage ethnique qui les a ciblés il y a un an et lever dans la foulée l’un des rares obstacles diplomatiques à la réalisation des dernières menées panturquistes dans la région.
Une telle agressivité envers un État occidental à la fois aussi éloigné de ses frontières et bien plus développé que lui sur le plan stratégique, en dit long sur la crédibilité des menaces qu’il profère en permanence contre son petit voisin arménien, militairement affaibli et à portée de tir. Alors que Paris se trouve dans l’incapacité d’obtenir de cette satrapie la libération de ses ressortissants, qu’est-il raisonnable d’espérer pour les 23 otages arméniens en souffrance dans ce pays ? D’autant que personne à ce jour ne se précipite vraiment pour voler à leur secours. Pas même certaines organisations humanitaires, comme Pen-international qui dans une pétition mise en ligne le 13 septembre sur son site, préfère contourner ce sujet qui introduit une dimension de « politique étrangère », pour défendre une cause plus « classique » : celle des Azerbaïdjanais « pur jus », ciblés pour délit d’opinion. Comme si les droits de l’Homme étaient solubles dans la nationalité des victimes !
Cette discrimination semble d’autant plus insupportable que, parallèlement, des institutions au-dessus de tout soupçon comme la Croix Rouge internationale, viennent de se faire épingler pour la complicité de leurs filiales azerbaïdjanaises avec le régime Aliev. C’est, en tout cas, ce qu’a révélé le 29 août l’OCCRP (l’Organized Crime and Corruption Reporting Projecta) dont un rapport décrit par le menu les entraves de l’Azerbaïdjan au travail du CICR[1] durant le blocus de l’Artsakh (12 décembre 2022-19 septembre 2023) et le soutien apporté par la Société du Croissant-Rouge azerbaïdjanais aux récits de son gouvernement…
Le pire est donc hélas à craindre pour l’avenir des trois derniers présidents de la République d’Artsakh (Araïk Haroutounyan, Bako Sahakyan, Arcady Ghoukassyan), ainsi que pour celui du philanthrope Rouben Vardanyan, et celui de chacun des 23 prisonniers arméniens. Lâchés par les instances internationales, y compris l’OSCE[2] qui avait reconnu à travers le Groupe de Minsk le droit du Haut-Karabakh à l’autodétermination, ils ne peuvent aujourd’hui compter ni sur les États, ni sur les associations humanitaires, ni même sur l’Arménie, qui n’est pas prête à sacrifier sa sécurité pour l’ombre de l’Arstakh.
Ne reste donc plus pour leur venir en aide que les réseaux de la diaspora et les amitiés qu’ils ont forgées à l’étranger ces 30 dernières années depuis la France jusqu’à l’Argentine, où Luis Moreno Ocampo, premier procureur de la CPI, a pris la tête d’une campagne pour leur libération. Est-ce que cela sera suffisant ?
Il y a 2400 ans le « barbare » Brennus, après avoir organisé le siège du Capitole qui avait duré sept mois, soit deux de moins que le blocus de l’Arstakh, avait lancé aux Romains encerclés le fameux : « Malheur aux vaincus ». Rien n’a changé depuis. À ceci près que la morgue qui triomphe aujourd’hui dans cette zone de non-droit sera mise à l’honneur sur la scène internationale le 11 novembre prochain avec l’accueil de la COP29 à Bakou. Du bon côté des barreaux.
[1] Comité international de la Croix-Rouge.
[2] Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.