Signalement. B7. Hélène. Naissance : 31 août 1918, à Levallois-Perret. Décès : 10 octobre 2000, au Mans. Écrivaine française. Fille de parfumeuse, divorcée d’un chauffeur de taxi. Profession : institutrice, à Roubaix.
Disparue des radars littéraires. Qui perd gagne, à la pointe de la modernité romanesque. Mode avion. Plume de feu. Encre de cristal.
« Tout ce que vous voudrez, mais ce que vous faites, ce n’est pas de la littérature. (…) – C’est peut-être de la moutarde ou des pruneaux. »
La comparer à trois poètes: 1. Celan, 2. Mandelstam, 3. Dickinson.
Adoubée par : Chevalier de Queneau ; Chevalier de Leiris ; Chevalier de Paulhan ; Chevalier de Duras ; Chevalier de Sarraute ; Chevalier de Beauvoir. Adoration dévorante de Jean Dubuffet. La lui déclare dans une lettre, en 1974. Saluée par les critiques Alain Bosquet, Claude Mauriac.
Je suis passée, hier, chercher certains de ses livres à L’Écume des Pages. J’en trouve un. Miracle… La Tour. Jamais lu. Confiance absolue… Le libraire m’indique que tous les autres sont retournés au distributeur. Personne ne les achète. Personne ne les connaît. Personne ne les lit. Il ajoute qu’« un certain Julien » en a acheté quelques-uns, dans le but d’écrire une biographie sur elle ; mais c’est tout. (Après recherche, matricule : Julien Doussinault, ouvrage paru en 2008.) Je dois cette découverte à un certain chauve de la rue de Verneuil, comme disait un certain chinois de la place du Palais-Bourbon. Hélène Bessette me fait penser à un personnage secondaire dans un film de série noire américain : amer et magnétique.
Queneau, découvrant son premier roman, Lili pleure, s’écrit : « enfin, du nouveau ! ». C’est encore vrai en 2024… « une écriture orpheline », dit-il encore. Toujours vrai.
C’est nouveau, et c’est archaïque. Nouveau, parce que c’est archaïque, et, donc, beau. Qu’importe sa misère. Qu’importe sa folie. Son style est impeccable. Sa valeur, indiscutable. Bessette parle la langue d’Aleph. La langue de Gilgamesh. La langue des étoiles et des planètes. C’est une éclipse totale. Un cercle parfait. Un changement d’axe, de point vernal… Un nouveau cantique. Une nouvelle reine dont on ne connaît pas le nom. Une révélation.
Je réclame une razzia générale. Ave, B7 !
Le journal Le Monde parle d’une « oeuvre âpre et compliquée »… ces tocards du Monde…
Des phrases comme des calices, une intelligence en peau de météore. La prose est cassante, oui, terrible, oui, mais belle… si belle… cristallisée, taillée, à la perfection, et cousue de fils en silence d’or pur. Style, musique, talent, maîtrise, intensité, originalité, liberté, élégance, justesse, rythme époustouflants… lyrisme clinique… écriture paradoxale… tout ce que j’aime… jeux de miroirs entre les lettres, les syllabes… par dessus tout, le Graal : audacieuse, admirable déconstruction des codes narratifs traditionnels. Cela s’appelle : « écrire comme personne ».
Mystère suprême d’une économie de moyens, rendant possible un scintillement de mots sans pareil. Je la range dans la famille de l’Aragon d’Irène ; du Bove de Mes amis ; du Simenon de Lettre à mon juge, de Betty, de Strip-tease ; du Giono de Colline ; de la Katherine Mansfield de Félicité ; de la Yourcenar de Feux ; du Pinguet de Quelqu’un ; du Meckert des Coups ; du Büchner de Lenz ; du Blanchot de L’attente, l’oubli… et j’en oublie… mes minimalistes flamboyants. En 1949, Hélène Bessette invente le « Gang du roman poétique ».
Hélène Bessette entre chez Gallimard en 1953. Elle y publie quatorze livres. Obtient le prix Cazes pour Lili pleure en 1954. Deux fois en lice pour le Goncourt. Queneau appuie ses nominations. Rien ne passe.
Titres, liste exhaustive : La tour ; Lili pleure ; La grande balade ; Vingt minutes de silence (qui a, je le sais, fasciné mon amie Gaëlle Obiégly, que je considère soit dit en passant comme l’un des meilleurs auteurs français contemporains) ; Ida ou le délire ; N’avez-vous pas froid ; Garance rose ; Histoire d’un chien ; MaternA ; Suite suisse ; Si ; Élégie pour une fille en noir ; On ne vit que deux fois (sa courte autobiographie) ; et Résumé, où elle explicite sa « démarche », si singulière, comme vous l’avez compris.
Bessette tient encore des journaux, des œuvres autobiographiques – dans lesquels elle sonde et capture ses influences, de Raymond Chandler à la poésie aborigène… Toujours, l’écriture vibrante, intense, excentrique, mystérieuse, tourmentée. Bleue de Prusse… La femme, l’écriture : entre l’attitude d’un rocker anglais et celle d’un punk new-yorkais. « Magnifique, total et solitaire. », comme me le répète souvent l’un des mes plus proches amis… totalement souveraine, et l’absence de reconnaissance lui fait caresser la folie.
Bessette, B7, vraie écrivaine. Pas une faiseuse. Vraie artiste. Vraie exploratrice. Vraie aventurière de la langue. A pris le job au sérieux. S’est battue contre l’ange du roman. A remporté le duel.
Duras, que je ne porte pas particulièrement dans mon cœur : « la littérature vivante, pour moi, c’est Hélène Bessette, personne d’autre en France. »
Littérature VIVANTE. Précisément. Et je crois, vraiment, en mon for intérieur, que c’est ainsi qu’il faut écrire, aujourd’hui.
Conclusion : B7, à vivre.
Article vivant, prenant, époustouflant.
Encore heureux, qu’à un moment donné, la Suisse ait adouci sa vie…