Seule La Règle du Jeu, portée par Bernard-Henri Lévy et son équipe, pouvait proposer, à deux ans du cinquantenaire de la mort de Malraux (1901-1976), un dossier aussi riche sur l’œuvre et l’homme.
Il est heureux de trouver ici de nouvelles signatures, parmi lesquelles les rares femmes présentes, Perrine Simon-Nahum, Gabrielle Halpern, Sylvie Le Brihan et Zhang Xun. Mme Zhang est docteur és lettres à la Sorbonne et maîtresse de conférences à Shanghai Jiaotong.
C’est donc de Malraux qu’il s’agit, lui dont l’appel pour le Bangladesh en 1971 marqua à jamais la vie de Bernard, comme son voyage de la reconnaissance dans le pays convalescent en avril 1973 marqua jusqu’à aujourd’hui la vie de mon frère François et de moi-même. Deux ans plus tard, en novembre 1974, il adressait une lettre ouverte au directeur général sortant de l’Unesco, René Maheu, s’indignant de « l’étrange décision qui, en refusant d’inclure Israël dans une région déterminée du monde, lui interdirait de participer à toute activité régionale de l’Unesco. » Le lendemain, il quittait la France pour l’Inde, à l’invitation d’Indira Gandhi, Première ministre, pour y recevoir le prix Jawaharlal Nehru pour la compréhension internationale, en gratitude de ce qu’il avait entrepris pour le Bangladesh. Étrange juxtaposition, mais si naturelle pour lui, que ces deux fidélités indélébiles : l’Inde et Israël.
Dans ce dossier foisonnant, réjouissons-nous de nombreux domaines rajeunis ou renouvelés, et parmi eux la mort de ses fils par Bruno de Stabenrath et la question du Messie analysée par Michel Crépu.
Je salue ici trois compagnons du Centre international de recherches André Malraux, que nous avons créé avec quelques amis en 2022 : François-Jean Authier, Philippe Langénieux[1] et Zhang Xun. L’un des buts du CIRAM est de travailler au cinquantenaire en créant de nouveaux liens universitaires et institutionnels dans le domaine de la « malraucie », si l’on me permet ce néologisme. La question du Musée imaginaire, repensée cinquante ans après l’exposition extraordinaire de l’été 1973 à la Fondation Maeght, à Saint-Paul de Vence, et dans le grand mouvement des restitutions d’œuvres à certains pays, n’en demeure pas moins centrale, vertigineuse dans son actualité. Bernard-Henri Lévy avait, pour sa part, marqué en ces mêmes lieux habités par tant de génies qui y passèrent, de Giacometti et Braque à Miró, Picasso, Chagall et tant d’autres, le quarantième anniversaire de l’exposition Malraux. C’était à l’été 2013.
Sur le plan international, il nous faut nous réjouir que de jeunes chercheuses et chercheurs comme Xun continuent à travailler sur Malraux, ce qui n’est plus le cas, depuis trop longtemps en Inde ni en Europe, à l’exception sans doute de la Grèce, où Christos Nikou ravive la flamme – et sur le continent africain, avec Raphaël Lambal, professeur de littérature à l’université de Ziguinchor (Casamance), au Sénégal.
Dans ce dossier, nos amis ont abordé trois domaines majeurs : les romans (François-Jean Authier, Fabrice d’Almeida), le caractère politique mais surtout prophétique de l’homme Malraux (Perrine Simon-Nahum, Alexis Lacroix, Pascal Louvrier, Jérémy Sebbane), et la question du musée et de l’art (Gabrielle Halpern, moi-même). Les questions métaphysiques, à commencer par la question du Mal (Simon Liberati, Simon Berger) sont naturellement au programme, comme celle du cinéma (François Margolin).
Remercions particulièrement Sylvie Le Bihan d’avoir rappelé les liens d’amitiés rares de Louis Guilloux avec Malraux. Le Sang noir, chef-d’œuvre authentique sur la Première Guerre mondiale, est presque toujours éclipsé par le Voyage au bout de la nuit. Par ailleurs, Samuel de Loth consacre, lui, une réflexion stimulante sur L’Homme précaire et la littérature, le livre posthume si souvent oublié.
Tout ce qui ne figure pas ici est en germination pour les célébrations du cinquantenaire et naturellement le dialogue des cultures, que Malraux porta si haut, ses Voix du silence, sa trilogie La Métamorphose des dieux, ses Antimémoires, devenus le tome 1 du Miroir des limbes. Et puis, ne faudra-t-il pas faire un sort aux Noyers de l’Altenburg, dont Malraux devait reprendre le dernier chapitre dans son stupéfiant Lazare, livres qui fascinèrent Jorge Semprún pour la question du Mal, et sa lecture si personnelle de l’anamnèse de la Shoah, rendue palpable par le récit de la première attaque allemande au gaz de combat, à Boulgako, sur la Vistule écrit en 1943. Le dialogue planétaire de Malraux avec l’Afrique, l’Asie, l’Amérique du Sud mais aussi avec les États-Unis, avec la Grèce, l’Italie, l’Allemagne, la Russie et… l’Espagne, ne cessent de nous habiter… Comme son ultime dialogue avec Haïti… pays si tragique perdu dans les Caraïbes.
Lui et sans doute lui seul, avec cette exigence et cette hauteur de vue incomparable, maintient ce dialogue à son niveau le plus haut. Lui et qui d’autre que lui, envoya La Joconde à Washington et à Tokyo, et déjà la Vénus de Milo dans l’archipel nippon ?
C’est toujours lui, ignorant des choses de la science, qui, en 1974, réfléchit aux questions que la biologie moléculaire posait aux hommes d’aujourd’hui, et à celles, tragiques, posées par l’arme nucléaire. Il fut invité à parler aux élèves de Polytechnique en 1994 et une promotion de l’ENA porta son nom.
Malraux n’a pas fini de nous surprendre, voire de nous fasciner et de nous élever.
[1] Son dernier livre est Les Derniers Jours d’André Malraux, éditions Baker Street, 2023.
Bonjour,
Nous remercions la rédaction de la revue La règle du jeu de revenir régulièrement sur l’héritage spirituel et la réflexion esthétique d’André Malraux sans oublier ses engagements en faveur de la justice et de la condition humaine.
Pierre Coureux
Fondateur des AIAM
Amitiés Internationales André Malraux
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