Six mois nous séparent de ce samedi fatidique, et depuis, c’est un déferlement d’événements qui nous ahurissent et déconcertent. En y réfléchissant mieux m’est venue à l’esprit cette analogie pour décrire notre ressenti : celle d’une pierre jetée dans l’eau, en l’occurrence le massacre du 7 octobre, qui produit autour d’elle des ondes concentriques. Des ondes de choc. Un cercle en engendre un autre, puis un autre, et encore un autre… qui finissent par générer un chaos total. Les voici tels que je les conçois.

Le 7 octobre, ce n’est pas une guerre qui commence mais un film d’horreur dont la cruauté inimaginable a eu pour but de déstabiliser, déshumaniser et détruire la société israélienne. La première onde de choc, c’est le traumatisme qui prend corps les premiers jours, alors que nous comprenons petit à petit l’ampleur de la situation. C’est aussi le choc de constater un monstrueux échec des services de renseignements et de l’armée.

Immédiatement après ce constat, une deuxième onde : celle d’un double abandon de la part de nos institutions et de nos dirigeants, car le manquement des instances militaires et de sécurité dans la prévention de cette catastrophe est suivi d’une monumentale incapacité du gouvernement à réagir pour y pallier. 

Vient ensuite la peur existentielle : si cela est arrivé, tout semble possible. Le Hezbollah attaque Israël de même que les houthis, ces forces yéménites surgies de l’on ne sait où. On craint le réveil de cellules du Hamas en Cisjordanie et en Israël même. Au vu des événements du 7 octobre et des attaques multiples qui les ont suivis, envisager le pire quant à la survie du pays ne relève plus de la paranoïa.

En parallèle commence l’attaque aérienne fulgurante de l’armée israélienne sur Gaza, rassurante d’une part, mais aussi angoissante à plusieurs égards : le sort des otages, et la perspective d’une incursion terrestre imminente avec des pertes humaines parmi nos jeunes (et moins jeunes) servant à l’armée. Et puis, bien que compréhensibles stratégiquement pour limiter la progression de la guérilla à venir, ces attaques aériennes sont sidérantes par l’ampleur des destructions qu’elles provoquent.

Une nouvelle onde apparaît alors, certes anticipée, mais d’une violence inouïe : les réactions dans le monde, celles des médias, de la rue, d’une partie non négligeable du monde intellectuel et « éclairé » qui font de nous des bourreaux en oblitérant totalement le point de départ de la guerre. Nous sommes témoins d’un déferlement de haine vis-à-vis d’Israël et des juifs en général, d’un négationnisme des atrocités du 7 octobre, ou des empêtrements de recteurs d’universités américaines au sujet de manifestations pro-Hamas sur leur campus. Non moins violent est le silence glacial des organisations humanitaires et féministes fermant les yeux à propos des conditions de détention de nos otages et des sévices sexuels subis.

La guerre s’installe. Comme toute guerre, elle apporte son lot d’horreurs, de morts et de blessés et de victimes collatérales mais elle a certaines particularités. Ce sont les tunnels du Hamas dont l’étendue représente deux à trois fois le réseau du métro parisien, mais aussi la densité de la population intriquée – à son insu ou non – parmi les structures militaires du Hamas. Les deux rendent la situation particulièrement difficile.  Les pertes humaines s’accumulent, et les erreurs aussi.

S’ouvre alors un nouveau front : profitant abusivement de l’élan de solidarité et de l’angoisse de la population, le gouvernement de Netanyahu lance une campagne médiatique « Unis nous gagnerons ». Si l’intention peut paraître bonne, la réalité est toute autre. Car celui qui prône l’unité et la réconciliation est aussi celui qui a joué plus d’une fois sur les dissentions au sein de la population. Il est donc un peu tard pour parler d’unité, alors que des documents trouvés par l’armée dans les tunnels du Hamas font état d’une analyse de Yahya Sinwar, le chef du Hamas, qui juge particulièrement opportun le lancement d’une opération contre Israël du fait de la division du pays en 2023. Une division en relation directe avec l’entêtement de ce gouvernement à maintenir une réforme judiciaire très controversée.

En Israël, la crise humanitaire s’approfondit. En premier lieu, celle des familles d’otages qui oscillent entre faire pression sur le gouvernement ou le caresser dans le sens du poil. Mais aussi celle des réfugiés des localités dévastées du pourtour de Gaza, et des villes et villages du Nord bombardés à partir du Liban. Situation complexe, sans aucun doute, mais dont l’acuité est en relation avec une perte de confiance d’une majorité des citoyens vis-à-vis de leurs dirigeants, qui persistent et signent dans leur incompétence à traiter le sujet et dans leur manque de considération minimale requise pour ces victimes. 

Au fur et à mesure monte en puissance l’onde de choc de la crise psychologique, chacun la gère comme il peut en fonction de son rôle à jouer et de sa capacité à encaisser. Une panoplie de situations conduit à une augmentation en flèche de consommation de psychotropes : le deuil, la violence, le déracinement et l’incertitude prolongée pour les familles d’otages. Il y a aussi des cas de suicides parmi les plus vulnérables. Des études révèlent qu’environ 500 000 personnes sur dix millions d’Israéliens, soldats et civils, souffrent de troubles post-traumatiques.

Un déferlement de polémiques à ce sujet éclate autour de deux thèmes centraux. Le premier tourne autour de la désillusion : La population de Gaza est-elle oui ou non coresponsable des actes du 7 octobre et qu’espérer des relations israélo-palestiniennes ? Le second : Est-il légitime et solidaire de manifester contre nos dirigeants en pleine guerre alors que nos enfants/maris/ femmes sont au front ? Un peu comme avec la crise des vaccins du Covid, la planche de salut psychologique consiste à s’accrocher fermement à un système de valeurs, pour échapper à la douloureuse réalité d’un monde non manichéen. 

Ceux qui n’ont plus d’illusion quant à la population de Gaza font le choix volontaire de la cécité vis-à-vis de ce qui se passe à quelques kilomètres. Les arguments comme « c’est la guerre », « c’est la faute du Hamas », nous servent de bouclier pour nous éviter l’option assez insupportable d’avoir à faire deux choses à la fois : regarder cette crise humanitaire en face tout en revendiquant le droit à nous défendre contre le machiavélisme des terroristes. Ces deux mêmes arguments poussent certains à se réfugier dans une impressionnante solidarité civique, évitant de revendiquer un changement parmi nos dirigeants dans les manifestations de rue, bien que les deux soient en fait compatibles.

Et enfin, comme si cela ne suffisait pas, remonte à la surface une fracture fondamentale qui structure la société israélienne : celle qui distingue deux types de population juive en fonction de leurs droits et de leurs devoir, le tout-venant d’un côté, les ultra-orthodoxes de l’autre, exemptés de service militaire (la population arabe étant également exemptée). À l’heure où l’armée accuse un déficit de soldats, revient justement sur le tapis la loi de conscription des étudiants de yeshiva, et avec elle toute une problématique ô combien épineuse, politiquement parlant, avec la coalition actuelle. 

Voilà, il est temps d’arrêter d’ajouter une onde de choc supplémentaire : car au moment où j’écris ces lignes d’autres développements sont en cours. Ces collisions entre les diverses ondes nous ont frappés de plein fouet en tant qu’individus et que société et cette crise est probablement la plus importance que l’État d’Israël ait connue depuis sa création. Selon l’adage bien connu qu’une crise est une opportunité il reste à espérer un sursaut à la hauteur, et donc d’une ampleur inespérée, qui ira dans le sens des valeurs et de l’espoir de paix.

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