Après l’exposition princeps, au printemps dernier, sur le Pop Art italien des années 60, T&L, qui fait là preuve de suite dans les idées, propose, cette rentrée, une rétrospective de la star historique de ce Pop Art ultramontain : le maestro Umberto Mariani, 87 ans, dernier survivant, avec Fernando De Filippi et Sergio Sarri, de cette cohorte d’enfants terribles des Sixties à Milan, et dont vingt-cinq œuvres parmi les plus emblématiques de sa production cinquantenaire ornent les cimaises de la galerie de la rue de la Verrerie, derrière l’Hôtel de ville de Paris.

La peinture italienne contemporaine n’a peut-être pas de figures aussi canoniques que sont Beuys, Kieffer et Baselitz pour l’Allemagne, Lucian Freud, Damian Hirst pour la Grande Bretagne, Pollock, Jasper Jones, Warhol, Basquiat, Rauschenberg, Liechtenstein, tant d’autres, pour les Etats-Unis, mais elle n’est pas avare pour autant d’artistes majeurs sur la scène internationale. Sans parler des grands ancêtres que furent les Futuristes, Chirico, Balla, Severini. Sans parler des Italiens de Paris avec Giacometti suivi de Cremonini, d’Adami et de Recalcati. Que l’on pense seulement à Fontana, Morandi, Enrico Baj hier, aujourd’hui à Mimmo Paladino, Sandro Chia, Francesco Clemente, tous de la Transavangarde. Que l’on pense à l’Arte Povera avec Penone, Mario Merz, Pistoletto, Enzo Cucchi, à Enrico Castellani, père du minimalisme, ou encore à Boetti et ses séries conceptuelles. Ou même, pourquoi pas, à Maurizio Catelan et son Pape Jean-Paul II frappé par une météorite. L’Italie n’est pas pour rien la patrie des Arts. Noblesse oblige.

Mais voici, aîné désormais des peintres italiens contemporains, Umberto Mariani.

Repéré à l’époque par Gassiot-Talabot, le théoricien de la Figuration narrative, Umberto Mariani n’est pas un inconnu à Paris, où il fait aujourd’hui retour. Il avait participé à l’exposition Mythologies quotidiennes 2, au Musée d’art moderne du quai de Tokyo en 1977.

Il y a un demi-siècle, de 1968 à 1974, Umberto Mariani produisait six chefs-d’œuvre, exposés aujourd’hui à la galerie T&L. Le plus célèbre s’intitule en anglais Sophisticated Beach. Ce tableau a fait le tour du monde. Acteur principal : le célèbre fauteuil Elda (1963) du designer Joe Colombo. Émergeant du dessous d’une pile de coussins verts, deux jambes de femmes au galbe parfait, peintes en noir, se posent délicatement, érotiquement, sur une mer de coussins, verts eux aussi. Sophisticated Beach, vraiment ? Et non pas Sophisticated Bitch, tel que, bien évidemment, le spectateur l’entend ? Autre tableau, L’Étonnement de Madame Tulipe. Les mêmes jambes laquées de noir émergent d’une chaise Tulipe à un seul pied, célèbre création du finlandais Saarinen en 1956, peuplée d’un serpentin de coussinets d’où émergent à leur tour deux mains aux doigts grands ouverts, comme appelant au secours, leur supposée propriétaire en passe, peut-être, d’étouffer sous l’amas des coussinets.

Mariani qui joue avec facétie sur le dit des cartels et le non-dit de la représentation nous livre ici en pâture des membres de femmes dont on ne voit jamais la face humaine ni ne devine le corps. Ailleurs il invente un amoncellement de casquettes anthracites, ailleurs encore une bouillote au bleu Yves Klein, purs artefacts objectaux ne signifiant rien mais théâtralisés comme des accessoires classieux de leurs utilisateurs humais. Représentation gaguesque et chiquissime d’un monde de choses fashionables et élitistes. Cela, dans le même temps que ses amis milanais pratiquaient, eux, un Pop Art de combat, multipliaient les figures tutélaires de la révolution russe ou cubaine sur leurs toiles, brandissaient des kalachnikovs de peinture, appelaient de leurs vœux le grand chambardement anticapitaliste.

Encore plus étrangers à toute velléité de critique sociale, voici, à partir de 1974, les incroyables drapés que va usiner Mariani, dans une quête sans fin de l’illusion parfaite d’un art plus vrai que le réel. Nouveau Zeuxis dont L’enfant aux raisins était si véridique, selon la légende, que les oiseaux venaient picorer les grappes sur l’œuvre elle-même, ses plissés ondulatoires, droits, réguliers, non flottants, sont en vérité des barres de plomb modelé, sablé puis peint, chaque « tableau » étant affecté, à la Yves Klein, d’un monochrome différent, blanc, rose, bleu pâle. L’Illusion drapée est parfaite, la gratuité du geste artistique totale. Allez chez votre marchand d’étoffes, drapés, popelines, vous ne trouverez pas mieux.

Tel est Umberto Mariani, Popartiste sans autre cause que l’illusion infinie du réel, son mystère ontologique et ses vanités anthropomorphiques.


Exposition « Umberto Mariani – Pop, mode et formes cachées » 
Galerie T&L 
61 Rue de la Verrerie, 75004 Paris
5 octobre – 11 novembre 2023.