Elle est née un 16 août 1938, à l’Ariana, qui était à l’époque un gros village, près de Tunis. Elle est décédée à l’âge de 58 ans, un 28 mai 1998, à Paris.

Claudine, ma mère, était ce que j’appellerais, l’amour personnifié. Sa bonté qu’elle pouvait tant offrir, déposer, chérir, placer au centre de sa vie et de son existence et tout autour d’elle et de partout à la fois, ont été les moteurs de ma vie.
Elle portait en elle tous les attributs, toutes les qualités, toutes les grâces des mères. Ces femmes si fragiles, ces écrins de beauté éternelle et ces joyaux dont la force exemplaire, dont l’humanité rayonnante et dont l’amour éternel, illumine le monde et nos vies, depuis la nuit des temps.

Nos mères sont le tic-tac intérieur, le moteur de toutes les minuteries du monde ; la fleur de sel de toutes les beautés ; la vague puissante et déferlante qui submerge d’amour ; la volonté sublime qui n’est jamais épuisée d’élever et de grandir et qui emplit de joie ; la protection quasi divine et le regard, le doux regard porté aux choses, aux êtres chers, au monde et à l’enfant.
Mère prévenante et aimante, mère trop inquiète et joyeuse, mère souriante et si nostalgique du temps perdu définitivement en sa Tunisie si aimée, mère prévenante et présente, elle disposait de sa vie comme pour l’offrir, comme pour y déposer des baisers éternels, comme pour y prononcer des phrases simples et colorées, des mots lumineux et tendres, des sourires sublimes et des paroles réconfortantes.
De sa bouche sortait tous les sons de l’humanité.
Si chaleureuse, si méditerranéenne, si joyeuse, si aimée, qu’on pouvait croire la connaître depuis toujours et l’aimer de par sa gentillesse, sa bonté, ce qui faisait en sa si grande simplicité, sa parfaite humanité…

Ma mère.
Si fille envers ses parents, si sœur envers ses sœurs et frères, si femme envers son mari, si mère envers son fils.
Je revois encore son incroyable beauté, les longs cheveux bruns, les yeux d’un noir si profond, sa mince silhouette, son teint, si bronzé, noire elle pouvait être, assise et tenant de sa main, le poing fermé, sa tête, le visage fermé, nostalgie lorsque tu nous tiens.
Pendant que j’écris, j’entends la merveilleuse mélodie et les larmes me viennent.
Je n’ai pas pu m’empêcher de chanter ma mère, ce 16 août 2023, malgré mon âge et le temps.
S’il fallait que je la chante dans le monde entier et dans toutes les langues, malgré mes larmes, je la chanterai en toutes les langues parlées par les mères. Même s’il me manque, depuis tant d’années, son souffle, ses mots, sa voix, son regard. En chantant ma mère, je chante toutes les mères du monde. Celles qui pleurent leurs enfants tués à la guerre, celles qui s’inquiètent pour leurs fils, celles qui disent aux filles, celles qui élèvent seules des enfants, celles qui ne dorment pas la nuit, car elles sont fatiguées de nos absences, à nous les hommes, de notre insuffisance, nous les hommes, si imparfaits.
Je ne peux m’empêcher de penser à elle. Elle, qui a tant souffert à la fin de sa vie. Je ne peux m’empêcher de prononcer son nom. Je ne peux m’empêcher de prononcer chaque syllabe de son prénom, je ne peux m’empêcher de chercher encore et encore le doux souvenir, comme s’il fallait que je redevienne l’enfant que j’ai été, le bébé qu’elle a porté dans son ventre, qu’elle a tenu ensuite dans ses bras.
Claudine, ma mère.
Vous qui me lirez, vous qui peut-être relirez ce texte, ayez une prière pour ma mère et toutes les mères du monde.

Tous les jours, que Dieu fasse, nous devrions chanter nos mères. Parce que sûrement, il faut espérer. Parce que vraiment, il faut continuer d’aimer et de rappeler ce doux son, cette merveilleuse symphonie, cette grandiose harmonie.

Même après que la mort soit venue les chercher. Même la mort ne nous sépare pas de nos mères.
Même la mort ne peut, cette garce, triompher d’un amour éternel, celui d’une mère à son enfant et d’un enfant à sa mère.


Marc Knobel est historien, il a publié en 2012, l’Internet de la haine (Berg International, 184 pages). Il publie chez Hermann en 2021, Cyberhaine. Propagande, antisémitisme sur Internet.