Raphaël Glucksmann est le fils d’André Glucksmann, l’auteur de La cuisinière et le mangeur d’hommes et des Maîtres-penseurs, initiateur avec Bernard-Henri Lévy et quelques autres, des Nouveaux Philosophes au mitan des années 70. Marchant très jeune sur les traces politiques et philosophiques de son père, Raphaël Glucskmann, qui s’était mobilisé aux côtés de Saakachvili lors de la Révolution des Roses en Géorgie, puis de Klitschko, le maire de Kiev, lors des manifestations du Maïdan, est aujourd’hui député de gauche au Parlement européen, où ce Don Quichotte en guerre contre l’état du monde a créé une Commission spéciale sur les ingérences étrangères dans l’Union européenne.
Le livre, La grande Confrontation, où il expose son combat, est sans appel. Il eût pu s’intituler La grande Compromission, tant il retrace à quel point l’Occident a vendu à la Russie la corde pour se pendre, s’est mis sous la dépendance énergétique de la Russie, s’est – Au diable les Droits de l’homme ! – volontairement aveuglé sur la malfaisance poutinienne, son néofascisme mafieux à l’intérieur, son expansionnisme guerrier à l’extérieur : Tchétchénie, Géorgie, Syrie, Crimée, Donetsk, Donbass, sans oublier l’intrusion massive de trolls dans les élections présidentielles américaine et française. Jusqu’à ce que l’agression contre l’Ukraine oblige tenants de la Realpolitik, complaisants et stipendiés, à un réveil brutal.
Ce long sommeil des démocraties – business oblige – s’est fait avec l’appui, dûment récompensé, de véritables Collabos idéologiques dans les milieux politiques européens, et sous l’influence des lobbies des grandes firmes mondiales, tout ce petit monde faisant bon ménage avec la kleptocratie au sommet de l’État russe.
Qui sont ces politiques sans vision stratégique ni principes ? Qui sont les tristes sires de cette Cinquième colonne en Occident, au service sonnant et trébuchant de la Russie poutinienne ?
À tout seigneur tout honneur, voici l’ex-chancelier allemand Schröder, membre d’innombrables directoires de sociétés mixtes en Russie, initiateur des méga-gazoducs North Stream 1 et 2 qui court-circuitaient l’Ukraine et manquèrent mettre l’Allemagne à la merci du Kremlin.
Voici l’inoxydable Fillon pantouflant dans l’entreprise pétrolière Zarubezhneft et le groupe pétrochimique Sibur.
Voici, plus encore, Tony Blair ouvrant tout grand les portes du Londongrad et de la City au blanchiment des oligarques russes et à leurs achats immobiliers pharaoniques entre deux razzias chez Harrods.
Quant à la France, elle vendit des Mistral à la marine russe, sous Sarkozy, vente que résilia Hollande, non sans mal. Sans oublier Marine le Pen quémandant des subsides à son ami Poutine, ou Jean-Luc Mélenchon qui, tout à son anti-impérialisme à sens unique, répondit à propos des armes pour l’Ukraine, que la France n’était pas un magasin de fournitures.
Emmanuel Macron, lui, se hasardera à déclarer qu’il ne faut pas humilier la Russie en train de martyriser l’Ukraine, et à lui offrir, le pays de Zelensky libéré, des garanties de sécurité.
En vrai Européen, Raphaël Glucksmann, dans ce livre comme au Parlement de Strasbourg, appelle à mesurer qu’à Paris non moins qu’à Kyiv, nous sommes bel et bien en guerre. La menace qui pèse sur nous, Européens, est existentielle. Car, par-delà l’Ukraine, l’Europe, décrétée décadente, sans loi ni foi ni morale, est la cible obsessionnelle des nihilistes du Kremlin, dans leur lutte sans fin contre l’Occident, ses mœurs, ses valeurs, sa libre citoyenneté, sans autre cap pour le navire russe en perdition et ses peuples lobotomisés que la fuite en avant. Y compris l’hypothèse de l’apocalypse atomique évoquée urbi et orbi par les apprentis sorciers du Kremlin.
Refusant, siècle après siècle, d’épouser les lumières de la civilisation, la Russie met, une fois de plus, le monde en péril. A nous Européens, face à la guerre qui nous est déclarée, de ne pas céder à la grande lassitude et au renoncement, que redoutait Lévy en conclusion du film Slava Ukraini.
Raphaël Glucksmann, La Grande Confrontation – Comment Poutine fait la guerre à nos démocraties, Allary éditions.
Je n’éprouve pas autant de réticence à démonétiser le concept de cobelligérance qu’à profaner la mémoire des martyrs d’authentiques génocides. En effet, l’OTAN est happée par la guerre que lui a déclarée l’hyperpuissance postsoviétique au travers d’un non-membre et néanmoins allié par l’esprit, la culture, les valeurs et, ontiquement parlant, le projet existentiel de sa personne psychophysique.
L’Occident est en guerre, là-dessus, nous sommes d’accord avec Poutine et son armée larvaire. Nous, défenseurs de la France libre trop conscients de notre héritage pour laisser quiconque le fouler aux bottes, sommes engagés à empêcher l’avènement d’un nouvel ordre mondial qui laisserait les ennemis de la démocratie nous arracher les rênes d’attelage de cette Histoire universelle à laquelle un schizo régressif à forte tendance maniaco-dépressive ne confèrera jamais son sens.
Mais il faut bien que l’on s’entende sur les cadres d’intervention que nous attribuerions à nos opérations extérieures, en qualité d’hyperpuissance militaire, contre une puissance équivalente.
Nous, membres de l’OTAN, ne faisons pas directement la guerre à l’entreprise d’autodestruction massive qu’est l’empire d’Eurasie ou la domination virtuelle qu’exercent déjà sur la planète les oniriques et ironiques singeurs qui en goupillent le rêve paradoxal. — Nous le savons, ils n’ignorent pas que nous le savons, nous n’ignorons pas qu’ils le savent, nous savons qu’ils n’ignorent pas que nous n’ignorons pas qu’ils le savent. Nous ne ferons rien qui enclencherait la campagne de bombardements stratégiques de Washington, Londres, Paris et Moscou par Moscou.
Nous en resterons donc là, au stade de la cobelligérance indirecte, car il ne sera jamais dans l’intérêt de l’humanité de provoquer sa propre vitrification ; car la violation d’un centimètre de souveraineté du territoire de l’OTAN ne déboucherait pas sur la Première Guerre nucléaire mondiale, mais sur le gel instantané d’un conflit implosif qui n’arrangerait aucun des antagonistes actuels.
Cobelligérants, oui, cobelligérants donc, mais cobelligérants indirects.
Dans un souci d’efficacité opérationnelle, s’abstenir de rendre grâces en toutes causes.
La leçon que nous donnent les acteurs du G7 ne porte pas sur la possibilité d’une réconciliation entre ennemis existentiels suite à l’usage de l’arme des armes. Si tel était le cas, Poutine la prendrait volontiers pour se projeter dans un avenir radieux entre Russes et survivants petits-russiens du prochain holocauste nucléaire.
Hiroshima a servi à une chose : enfoncer dans le cerveau du Soleil levant que son omnipotence impériale n’était qu’une archaïque vue de l’esprit. Si les réminiscences de ce petit avant-goût de fin des temps peuvent encore servir, c’est à sortir de sa torpeur notre conscience mondiale quant au fait que l’usage de la Bombe ne sera jamais plus une option, à savoir que les détenteurs vigilants de l’arme de dissuasion n’ont pas d’autre choix que d’apprendre à coexister de manière constructive si possible, en d’autres termes, à coopérer dans cette optique, seule et unique perspective profitable à des Nations en voie d’unification.
L’OTAN n’ira pas saboter plusieurs décennies de génie stratégique pour piétiner elle-même son invulnérabilité en se jetant sous les roues du chauffard moscovite. Lui redemander chaque jour si elle accepterait d’aller faire une balade en tricycle sur l’autoroute pour se voir retourner un même hochement de tête de gauche à droite, aurait quelque chose de, comment vous dire… immature ?
Inversement, la Russie doit être mise au parfum d’un droit international qui, pour les puissances éclairées ou éclairantes dont la souveraineté du Bien qu’elles préservent exerce sa domination sur toute forme de vie que son humanité condamne chaque seconde à effectuer un choix décisif, n’est pas renégociable. Ainsi, lorsqu’il déconseille à Poutine de penser à avancer d’un centimètre en territoire de l’OTAN, le président Biden avertit le tyran qu’il soutiendra l’effort de guerre de l’Ukraine aussi longtemps que cette dernière ne se sera pas vue restituer chaque centimètre du territoire qui est le sien.
La Chine et l’hyperpuissance conjointe des États-Unis d’Amérique et d’Europe, sont des entités politico-économiques et civilisationnelles que leur interdépendance oblige. Les ambitions de l’empire du Milieu sont empiriquement louables mais, jusqu’à nouvel ordre, irréalisables. Dans le domaine de l’innovation, le génie occidental demeure inégalé. La république de Chine redoute par-dessus tout de connaître un chavirement de régime à la russe. Elle cesserait vite d’être populaire si des sanctions la frappaient là où une pénurie lui causerait instantanément un arrêt de cœur artificiel.
La ligne de front se situe aujourd’hui à l’est de l’Ukraine où une partie de la flotte otanienne a sa place ; à cela, il n’y a rien à redire, sinon que soutenir que la rose des vents blanche y flotte ailleurs que dans le ciel des idées — ce qui est on ne peut plus fondamental et fondamentalement concrétisable, pour ne pas dire concrétionnable — serait un abus de langage auquel nous céderions volontiers si tant est que nous sachions où nous mettons les pieds de nos lettres. Nous sommes hyperconscients des répercussions que ne manqueraient pas d’avoir sur nos mondes, que ces derniers cultivent ou non les libertés fondant nos individualités, une victoire russe en Europe de l’Est, puis aussitôt sur toute proie non dotée, trop éloignée de l’Union européenne pour que celle-ci accoure au secours d’un jeu de dominos éclaboussé de sang. Nous voulons pour l’Ukraine une victoire sans appel dans la mesure où de sa victoire militaire dépend la victoire politique des États de droit unis. Nous ne pouvons pas nous permettre une défaite politique de cette ampleur au regard de l’envergure du consortium de survivants ayant forgé le concept d’unité des Nations. Il nous faut désormais vaincre le mal, et rien d’inefficace en la matière ne saurait nous aider à atteindre notre but.