Voyager en Iran, découvrir ce pays en adoptant le même circuit que celui emprunté dans les années 1950 par Nicolas Bouvier, l’auteur du récit de voyage l’Usage du monde, est un projet que l’écrivain François-Henri Désérable mûrissait depuis un certain temps. Lorsqu’éclata la révolution des femmes iraniennes consécutive à la mort de Mahsa Amini, jeune kurde décédée sous les coups de la police en raison d’un voile mal porté, François-Henri Désérable aurait pu décider de reporter son voyage à une période plus apaisée et plus sûre pour les touristes. Mais il décida de s’y rendre quand même, malgré l’appel du centre de crise du ministère des affaires étrangères pour lui rappeler le danger auquel il s’exposait : « L’Iran n’est pas un État de droit. » C’est après quarante jours à sillonner le pays et à rencontrer ses habitants, au cours de l’automne 2022, que l’auteur est revenu en France et nous offre ce magnifique récit. 

L’Usure d’un monde plonge le lecteur au cœur de l’Iran d’aujourd’hui, cet Iran marqué par la colère d’un peuple contre son gouvernement. L’auteur rappelle les horreurs commises par le régime islamique, les tortures en prison, les viols filmés de jeunes femmes par leurs bourreaux qui n’osent plus sortir de chez elles une fois sorties de détention. Il raconte le ras-le-bol de la population, qui inscrit « Zan, Zendegui, Azadi » (Femme, Vie, Liberté) sur les murs de la ville, et les langues qui se délient, toutes ces personnes croisées qui osent dire ce qu’elles pensent vraiment du gouvernement en place à ce Français inconnu, sans rien craindre. Comme cette jeune femme, Firouzeh, qui lui confie son projet de poster une vidéo sur Instagram où elle crierait « Mort au dictateur ! Et merde aux mollahs. » depuis le sommet du Mont Soffeh. Ou ce garçon, Amir, qui lui affirme que le plus beau jour de sa vie serait celui de la mort du guide suprême, davantage que celui de son mariage ou de la naissance de son enfant. Plus encore que la colère, c’est l’injustice subie par ce peuple qui est décrite. Certaines scènes du livre, pourtant décrites avec beaucoup de simplicité, se révèlent particulièrement graves et émouvantes, et font sentir au lecteur toute la souffrance de ce peuple auquel rien n’est épargné depuis plus de quarante ans. 

Mais la force de ce récit, c’est l’alternance entre ces passages éprouvants, et d’autres bien plus légers, voire carrément drôles. Il faut dire que François-Henri Désérable excelle dans l’art de l’auto-dérision, et sait raconter avec beaucoup d’humour les coutumes parfois étranges des Iraniens, comme le tarof, un « ensemble de règles de politesse non écrites, qui régissent les interactions quotidiennes ». Par exemple quand le chauffeur de taxi qui vous transporte propose de le faire gratuitement mais s’offusque si jamais vous acceptez de ne pas le payer, ou quand cette personne devant vous dans la queue à la poste suggère de vous laisser passer mais ne s’attend pas une seconde à ce que son invitation soit vraiment acceptée ! Les expériences culinaires de l’auteur prêtent également à sourire, et ne manqueront pas de titiller les Iraniens qui le liront. 

L’Usure d’un monde, c’est aussi et surtout un récit de voyage, qui entraîne le lecteur de dans toutes les villes mythiques du pays (Téhéran, Chiraz, Ispahan…), mais aussi dans des zones plus reculées comme Keshit ou Zahedan, à la découverte d’habitants très divers : de la jeunesse libérée qui regarde Friends sur internet aux minorités hazaras venues d’Afghanistan, sans oublier quelques Baloutches opiomanes ou des imams cumulant des mariages temporaires pour « baiser tout en restant dans les clous. » Les différents personnages, entre villes et campagnes, modernité et traditionalisme, sont décrits avec honnêteté mais sans jugement de la part de l’auteur. Ces descriptions offrent un panorama très fidèle et réaliste de ceux qui composent la population iranienne d’aujourd’hui, loin des images souvent réductrices qui circulent dans les médias et ne disent rien de la complexité de ce pays aux multiples facettes. Des rappels historiques viennent en outre approfondir notre compréhension de l’Iran, qui ne trouve pas dans cette situation aujourd’hui par hasard, mais en raison d’une construction politique marquée par les crises. 


François-Henri Désérable, L’usure d’un monde. Une traversée de l’Iran, collection blanche, Gallimard, 04/05/2023.

Un commentaire

  1. Et l’on se prend les pieds dans le cirrostratus à provoquer une ruade arabe dans le vide politique du saturnisme saoudinique ou khomeinique ? ottomanique ou tchétchénique ? Soviet suprématiste en diable.
    On connaît le goût russe pour la mise en abyme de l’Immaculée Conception, aussi l’hypothèse d’une ingérence de Matriochka dans la digestion électorale du cheval de Troie n’est-elle pas à balayer d’un revers du sabot ; cela étant.
    Nous ne rechuterons pas dans nos vieux travers suprémacistes, a fortiori entre Méta-Européens et Aryens de souche, — n’ajoutons pas du brouet conceptuel au désordre mental : non, les fréristes pur souk ne sont pas les pantins d’une opération spéciale coordonnée entre Mossad et CIA visant à déstabiliser les États-Désunis pour mieux les tenir entre les crocs de boucher de la finance mondiale ; le bellicisme mahométan n’est pas né en 2014, ni même en 2001, annus horribilis s’il en est, ni davantage en 1979 avec la Révolution mondiale dite iranienne dite islamo-marxienne dite verte de rage ou d’espérance : la chute éventuellement envisageable du Minisultan ne traduira la mutation démocratique tant attendue de la bombe à retardement Umma 3 qu’après que nos concitoyens de l’immonde se seront révélés aptes à endurer les libertés et droits fondamentaux à l’intérieur de leurs frontières internes, à commencer par le libre exercice des cultes, ou celui de la pensée philosophique, nous entendons par là l’abolition du blasphème et non sa fourbe tolérance entriste ; partant.
    Nous nous endormirons, telle la muse de l’invassalisable empereur Constantin Brâncuși, et ce, jusqu’à ce que le microphone filaire de Nina Hagen ait commencé de larsenner entre les jambes d’Éris de sorte que, quantisés comme une seule intrication d’hommes, nous n’allions pas bêtement tirer des plans sur la comète d’Élée ; l’immobilité de la flèche de Zénon n’a jamais été aussi flagrante que depuis qu’elle vise le cœur et le poumon des Argonautes modernes qui, en dépit de sa loi implacable, reviendront accoster sur l’Adâm primordial afin que nous échappions à la rancune que son obscure marâtre a gardée contre lui.