Fils d’Abraham et de Marianne, c’est ainsi qu’étudiants nous définissions notre rapport à la tradition et à la République. Le plus illustre dans cette lignée au sein de notre génération est François Heilbronn.
Il signe à la manière des grands auteurs américains un remarquable « romanquête » sur les traces de sa famille qui se confondent avec celle du judaïsme dans notre pays à travers deux épisodes, l’un glorieux, l’autre tragique : ce sont ses deux étés 44.
La première partie est une légende familiale autour d’un évènement notable de l’histoire de France : le sauvetage de Louis XV par un médecin juif, Isaïe Cerf Oulman, ancêtre en ligne directe de l’auteur, au nez et à la barbe des dévots, de la Cour et surtout des médecins du Roi.
L’épisode est connu et important. Nous lui devons l’édification de l’Église Sainte Geneviève mieux connue sous le nom du Panthéon par le monarque de droit divin pour remercier le tout puissant de sa guérison.
Ici le style sert l’histoire et l’histoire sert le style.
Sans rien concéder à l’approximation historique, nous voici plongés au cœur des intrigues de cour sans savoir jusqu’au dernier moment si l’auguste médecin juif pourra, aux termes de mille et une ruses qui n’ont rien à envier à la Méguila d’Esther, ne serait-ce qu’accéder à son illustre patient. Le plaidoyer du médecin pour les siens auprès du Monarque renvoie au paradigme inversé de l’abbé Grégoire sous la révolution : Ne rien demander d’autre que la reconnaissance de l’appartenance à la nation française de sa communauté. Il sera entendu sans avoir été écouté mais le défenseur sait qu’une plaidoirie mérite toujours d’être dite même si elle n’est pas suivie d’effets. Voici pour l’été 1744.
L’autre partie, toujours selon le même procédé de l’enquête recolle les morceaux de bribes laissés par la grand-mère de l’auteur sur les conditions de déportation et d’extermination des leurs au mois de juillet 1944.
À l’aide de sources nouvelles, de témoignages retrouvés, de documents inédits les béances se rétractent, les ombres reculent et la lumière se fait plus crue sur le drame. Il faut lire le moment savoureux où un aïeul cherchant à se faire enrôler dans les services alliés fait justement valoir sa prestigieuse filiation avec le médecin qui a sauvé Louis XV !
De manière renversante, cette famille qui a compté depuis des siècles des héros de guerre, des parlementaires, des ministres de la République et des financiers a vu son monde se dissoudre et la patrie se retourner contre elle. Ces patriotes dévoués se sont vu relégués, arrêtés et tués en raison de leur appartenance au judaïsme dont bien souvent ils ne faisaient pas grand cas.
François Heilbronn est habile avec ce superbe diptyque familial. Il fait mine de parler de lui pour faire revivre les siens. Mais quand il les évoque, c’est une autre manière d’aborder l’histoire de France avant l’avènement de la République et lorsqu’elle a été trahie par la collaboration. Il manquait au franco-judaïsme son Nom de la Rose.
L’offense est réparée par ces Deux étés 44 (éditions Stock).