Peut-on faire parler les vivants une fois morts, faire revivre en images ce dont ils avaient eux-mêmes fait un film en propre quelques années plus tôt ? Peut-on reprendre le même matériau autobiographique dont ils avaient nourri de bout en bout leur film ? Et, de ce qui n’avait pas été retenu alors dans la masse énorme de rushs de toutes sortes ou d’images tournées en parallèle, est-il possible et permis d’extraire un second film ?

Tel est le pari, réussi, de L’automne à Pyongyang de François Margolin, qui, en tant que producteur, accompagna Claude Lanzmann en Corée du Nord en 2017 pour le tournage d’un film, Napalm, où il narrait, sur place puis depuis un bureau parisien, son séjour cinquante ans plus tôt dans la capitale nord-coréenne pas encore relevée des bombardements de la guerre de Corée. Le film racontait les amours impossibles de l’auteur avec une jeune infirmière locale.

Les images de L’Automne à Pyongyang sont celles, en quelque sorte, du making off de Napalm. Elles ont été tournées au même moment et en parallèle au film-mère. Ce matériau considérable et passionnant était trop tentateur, aux yeux du producteur-réalisateur qu’est Margolin, pour rester en l’état. Il en a fait un film-testament, qu’à une ou deux scènes près aurait pu signer Claude Lanzmann, un jour de bonne humeur, en homme soucieux de sa légende d’éternel grognard hédoniste, qui fut l’amant de Simone de Beauvoir, le directeur des Temps Modernes et, par-dessus tout, le réalisateur de Shoah.

Il n’est pas sûr, en revanche, que Lanzmann eût gardé, si tant est qu’il l’ait vue alors, cette scène où il fait, devant ses cerbères nord-coréens aux anges qui n’en demandaient pas tant, l’éloge des sourires de Kim Il Sung. Il a son fils en photo au-dessus de leurs têtes à tous. Il vante, pour obtenir de pouvoir tourner un combat de taïkido, le principe dynastique propre à la monarchie française. Et il l’applique tout de go à ces dirigeants communistes de père en fils, régime de fer et travail forcé de tout un peuple à l’appui. Certes, le cinéma-vérité est de mise, tout au long du film. Mais c’est tout de même, de la part du combattant de la liberté sous toutes les latitudes que fut Lanzmann, à en rester sans voix.

Si, par ailleurs, certaines scènes un brin cocasses font douter de la sobriété du héros du film – le Bordeaux, paraît-il, coulait à flot sur les rives du fleuve Taedong – le témoignage, à quatre-vingt-dix ans passés, de ce grand témoin du siècle sur son passé communiste, sur sa sœur Evelyne, sur Simone de Beauvoir, sur son amour de la vie, du judaïsme et d’Israël, de surcroît fou de poésie, nous rend immensément touchant ce cinéaste, écrivain et intellectuel considérable qui voulait vivre éternellement et se disait « prêt à vivre des milliards d’années. »

A cet égard, venu d’un lanzmannien patenté, ce portrait filmé, sous ses dehors parfois impudiques, fait figure d’ultime bouteille à la mer.


L’automne à Pyongyang, un portrait de Claude Lanzmann
Un film de François Margolin
Sortie en salles le 12 avril
Cinéma Les 3 Luxembourg
67 , rue Monsieur Le Prince 75006 Paris
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